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Jihan El Tahri, Judy Kibinge, Jean-Marie Teno, John Akomfrah, Idrissa Ouédraogo, Mohammed Lakhdar-Hamina, à l'Académie des Oscars
Ils sont parmi les 774 nouveaux membres invités. Ils rejoignent Nadia Ben Rachid.
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 29/06/2017
Thierno I. Dia (Africiné Magazine)
Thierno I. Dia (Africiné Magazine)

En juin 1927, ils étaient 293 professionnels du cinéma représentant 5 branches à avoir créé la Academy of Motion Picture Arts and Sciences (Académie des Arts et Sciences du Cinéma). Quatre-vingt-dix ans plus tard, les membres étaient au nombre de 7 000, à travers 17 branches professionnelles (acteurs, producteurs, monteurs, …), dont le plus jeune a 19 ans et le plus âgé 95.
Ce mercredi 28 juin, à 19h, heure de Dakar, les Oscars ont officiellement invité dans cette famille 774 personnes provenant de 57 pays, d'après le communiqué de presse adressé à notre rédaction. En leur sein, 24 ont remporté un Oscar, dont l'Africain Américain Barry Jenkins ou encore l'Américain Justin Hurwitz qui a eu deux Oscars (La La Land et Whiplash). "Les meilleures histoires ne sont jamais définitivement écrites. Aujourd'hui [ces professionnels] deviennent une partie de nous-mêmes", souligne l'annonce.
Sept branches ont invité un peu plus de femmes que de coutume. Il s'agit des catégories acteurs/actrices, direction de casting, costumes, décors, réalisation documentaire, production déléguée et montage.
Entre 2015 et 2017, il y a eu un accroissement de 359% femmes invitées à rejoindre l'Académie des Oscars. Si la progression est impressionnante, c'est qu'elles reviennent de loin : elles ne représentaient que 25% des membres en 2015, 27% l'année dernière pour passer à 28% cette année (où malgré tout elles ne composent que 39% du total des invités). Par rapport à 2015, cette année-ci marque par ailleurs pour les nouveaux à l'Académie une augmentation de 331% à l'endroit de ce que les Américains appellent "People of color" ("Personnes de couleur", en français, pour désigner les personnes non-blanches : asiatiques, métisses, noires, …). Eux aussi étaient largement sous-représentés : 8% en 2015, 11% en 2016 et désormais 13%. Parmi les invités de 2017, les personnes de couleur sont de l'ordre de 30%.

Une double invitation pour Safi Faye, Idrissa Ouedraogo, Barry Jenkins, Jordan Peele et Nelson Pereira dos Santos

L'Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS) a lancé ses invitations à l'endroit d'artistes et Managers ("Executives") qui se sont distingués par leurs contributions au cinéma. Seules les personnes qui acceptent l'invitation qui leur est faite seront considérés comme membres de l'Académie en 2017.
Trente personnes ont été invitées par plusieurs branches. Elles devront sélectionner lequel des secteurs rejoindre. Pour ce que nous avons pu déterminer, c'est surtout les réalisateurs et scénaristes qui ont été conviés par ces deux domaine d'activités à la fois. C'est le cas de la Sénégalaise Safi Faye (Mossane, Lettre Paysanne), du Burkinabè Idrissa Ouedraogo (Tilaï, Yaaba), des Africains-Américains Barry Jenkins (Medicine for Melancholy, Moonlight qui a eu l'Oscar 2017 du meilleur film, celui du meilleur scénario adapté et l'Oscar du meilleur second rôle masculin pour Mahershala Ali interprète de Juan) et Jordan Peele (dont le premier long métrage Get Out salué comme brillantissime est déjà pressenti aux Oscars 2018), ou encore Nelson Pereira dos Santos (cinéaste brésilien, considéré comme le père du cinema novo, auteur de How Tasty Was My Little Frenchman / Qu'il était bon mon petit français et Barren Lives sorti en France sous le titre Sécheresse dont le titre original était Vidas Secas), pour ne citer que ceux là.

Le Prix de la Critique africaine aux Oscars

"Nous sommes fiers d'inviter à l'Académie notre toute nouvelle promotion. La communauté du cinéma dans son ensemble est ce que nous en faisons. Il revient à nous tous de nous assurer que les nouveaux visages et voix soient vus et entendues, et miser sur la prochaine génération de la même manière que quelqu'un a bien voulu nous laisser tenter notre chance aussi", a estimé Cheryl Boone Isaacs, la Présidente de l'Académie des Oscars.
Il y a deux ans, beaucoup de professionnels avaient été ulcérés de voir le manque de diversité dans les nominations aux Oscars. Cette réaction a permis de constater qu'une seule ethnie (et majoritairement masculine) dominait outrageusement au sein de l'Académie dont les membres procédaient au choix des nominé-e-s. Cheryl Boone Isaacs, elle-même femme et Africaine-Américaine, a accéléré le mouvement qu'elle a impulsé à son arrivée à la présidence de l'Académie des Oscars : soutien aux cinématographies fragiles (dont les cinémas africains en amplifiant leur appui pour des festivals comme Seattle,...).
C'est ainsi que la réalisatrice égyptienne-française Jihan El-Tahri (Nasser, Cuba : Une odyssée africaine), le cinéaste camerounais Jean-Marie Teno (Lieux Saints, Chef !), le réalisateur ghanéen-britannique John Akomfrah (The Stuart Hall Project, The Nine Muses), le réalisateur algérien Mohammed Lakhdar-Hamina (Chronique des années de braise, Le Vent des Aurès, …), Omar Sy (acteur français-sénégalais-mauritanien, Inferno, Intouchables), Nabil Ayouch (réalisateur franco-marocain avec des racines tunisiennes, Les Chevaux de Dieu / Horses of God, Ali Zaoua), Khadija Alami (productrice marocaine, Insoumise / Rebellious Girl, Narrow Frame of Midnight / La Nuit entr'ouverte) et Sélim Azzazi (monteur son et réalisateur français, Ennemis Intérieurs, ACADEMY AWARD NOMINEE, film nominé à l'Oscar du Meilleur Court métrage 2017) rejoignent en 2017 l'Académie des Oscars.

L'Egyptien Mohamed Diab est lui convié comme scénariste (il a réalisé Clash, Prix de la critique africaine 2017 et Le bus 678). Au département son, on retrouve en 2017 Charlotte Buys (mixeuse, monteuse dialogues sud-africaine, elle a mixé Call Me Thief / Noem my Skollie de Daryne Joshua et White Wedding de Jann Turner, entre autres). L'année dernière, la monteuse tunisienne Nadia El Rachid (César 2015 du Meilleur Montage pour Timbuktu) avait été promue au sein de l'Académie.



Parmi les autres nouveaux invités africains (diasporas ou autres) que nous avons repérés, il y a aussi le monteur cubain-canadien Ricardo Acosta (Sembene!, Marmato), la productrice britannique Lina Gopaul (The Stuart Hall Project, The Nine Muses), la réalisatrice kenyane Judy Kibinge (Wagalla - The Story of a Massacre, Headlines in History), Peter Muyzers, nommé à l'Oscar des Effets Spéciaux (VFX) pour le film District 9 (2009), il a travaillé sur Elysium également de Neill Blomkamp (2013), The Incredible Hulk (2008), Harry Potter and the Sorcerer's Stone), Fatih Akin (réalisateur allemand, In the Fade, The Edge of Heaven), Carlos Diegues (réalisateur brésilien, Orfeu, Bye Bye Brazil), Paula van der Oest (réalisatrice hollandaise, auteure du sublime biopic sur l'écrivaine sud-africaine antiraciste, Ingrid Jonker / Black Butterflies), Zus & Zo), Ezra Edelman (documentariste africain américain, ACADEMY AWARD WINNER avec O.J.: Made in America, Cutie and the Boxer) et aussi réalisateur brésilien Karim Aïnouz (Love for Sale, Madame Satã).

Signalons Tendo Nagenda (producteur ougandais, il est Vice-Président Exécutif en Production à la major Disney où il a facilité la production de Queen of Katwe. Le scénariste de ce film, l'Américain William Wheeler est du reste parmi les 774 invités. Il avait déjà écrit The Reluctant Fundamentalist pour Mira Nair, la réalisatrice de Queen of Katwe. Il y a également l'Italien Gianfranco Rosi, nominé aux Oscars pour son film sur Lampedusa (Fire at Sea), Alexandra Strauss (monteuse française, I Am Not Your Negro de l'Haïtien Raoul Peck nominé à l'Oscar du Meilleur Documentaire 2017, A Pigeon Sat on a Branch Reflecting on Existence du Suédois Roy Andersson, et Ouaga Girls) ou encore le réalisateur français d'origine vietnamienne Tran Anh Hung (Norwegian Wood, L'Odeur de la papaye verte).

Une autre vision de l'action (affirmative)

Cette annonce intervient alors que l'Académie africaine qui délivre les AMAA vient de se tenir. sa composition et ses choix sont pour le moins controversés. En France également, où la presse a largement fait écho au manque de représentation de minorités aux Oscars, la situation n'est guère plus reluisante. Le jour du choix américain de 774 invités, le casting du nouveau film de Philippe Faucon (Fatima, 2016) faisait scandale : l'annonce officielle demandait un acteur "entre 35 et 45 ans, originaire d'un pays d'Afrique francophone (Mali / Cote d'Ivoire/ Burkina Faso / Sénégal), il doit parler français avec son accent d'origine et la langue de son pays". Car la nécessité d'avoir un accent d'origine pour jouer un personnage récemment immigré est de l'ordre de la caricature, à la fois à l'encontre des acteurs qui peuvent théoriquement tout jouer et c'est aussi une manière de continuer à graver le Noir comme radicalement non-similaire dans l'imaginaire collectif. C'est d'autant plus regrettable que cela vient de la production d'un cinéaste qui a fait des films remarquables d'intelligence et qui plus est né sur le continent africain.
L'assignation reste hélas encore une réalité très prégnante dans le cinéma français (les médias en général) et une profonde remise en cause tarde à se faire. Ce qu'on appelle aux États-Unis "Affirmative Action" et qu'on pourrait traduire par "action affirmative" a été curieusement adaptée sous le vocable de "discrimination positive". C'est très réducteur et négatif, pour parler d'une action qui vise à rétablir l'égalité des chances.

Par cette invitation massive qui souligne l'importance de la volonté pour tailler en pièces le manque de diversité au sein de ceux qui portent le sceau dans les représentations, les Etats-Unis donnent une leçon qui, sans nul doute, interrogera d'autres institutions. Je peux même espérer, sans être trop rêveur, que cette initiative les inspirera très certainement. Loin d'être un fardeau, une punition, s'ouvrir à la diversité paie. Dans le cas d'espèce l'organisation présidée par Cheryl Boone Isaacs s'octroie un formidable coup marketing qui porte les Oscars encore plus loin que la traditionnelle soirée de remise des trophées et les annonces qui précédent les pré-sélections (cette année Le Puits, en autres). Les nouveaux membres seront accueillis officiellement, à l'automne par l'Académie après avoir manifesté leur accord. Avec les 7 000 autres académiciens du cinéma, ils auront pour mission de voter pour les candidats sélectionnés dans chacune des catégories des Oscars, puis élire le lauréat parmi les 5 nominés dans chaque catégorie.

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