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Félicité
Notre joie mitigée
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 18/07/2017
Jean-Marie Mollo Olinga (Africiné Magazine)
Jean-Marie Mollo Olinga (Africiné Magazine)
Alain Gomis, réalisateur de Félicité
Alain Gomis, réalisateur de Félicité
Scène du film Félicité
Scène du film Félicité
Scène du film
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Le réalisateur Alain Gomis et son trophée de l'Ours d'Argent (Grand Prix du Jury), à la Berlinale 2016
Le réalisateur Alain Gomis et son trophée de l'Ours d'Argent (Grand Prix du Jury), à la Berlinale 2016
Scène du film
Scène du film

Le film du Sénégalo-Français Alain Gomis a été projeté à l'Institut français de Yaoundé, le 21 mai 2017, à 18h. Il est le film
d'ouverture du festival Ecrans Noirs 2017 (15-23 juillet 2017), en présence du cinéaste qui y donne une masterclass.

En mai 2017, dans une salle presque vide, et pendant 103 minutes, Gomis a déroulé sa chronique d'une chaotique ville de Kinshasa dont il a pris sur lui non seulement de montrer les faits suivant un ordre chronologique, mais également ses bruits, les difficultés de ses habitants face au quotidien, leur misère. Fidèle à son cinéma fait de symboles et d'une part de rêves, il lui a collé sa signature ; c'est une œuvre d'auteur, où les allers et retours entre rêve et réalité confèrent sa première dimension ambivalente au film.



Comme pour adresser un clin d'œil à la musique dans cette ville où l'on chante et danse beaucoup, ville qui a enfanté des musiciens "hauts en couleurs", l'un des personnages est affublé du patronyme Tabu, qui nous rappelle le célèbre Seigneur Rochereau dit Tabuley (aussi écrit Tabu Ley Rochereau, mort le 30 novembre 2013 à Bruxelles). De plus, Alain Gomis a balisé son œuvre de deux moments musicaux. En effet, le film s'ouvre dans la moiteur et la puanteur d'un bar-concert, où une chanteuse à la voix perçante (Véro Tshanda Beya) s'efforce de tout son être d'égayer des buveurs invétérés et des prostituées à la quête de clients. Gomis clôt son film par une prestation de l'orchestre symphonique Kimbanguiste, dont nous avons salué le magnifique documentaire ayant retracé sa création, Kinshasa Symphony, réalisé par Martin Baer et Claus Wischmann. On sait depuis toujours que la musique adoucit les mœurs. A fortiori la musique classique, qui favorise la concentration, stimule la mémoire et surtout, dans le cadre de Félicité apaise les angoisses. Est-ce la félicité vers laquelle veut nous conduire le réalisateur ?

Au vu du film, l'on répondrait de manière ambivalente à cette question. Ambivalente parce que le film est lui-même ambivalent, à ce titre qu'il peut recevoir deux interprétations. Premièrement, Félicité décrit le drame - social - vécu par une femme qui ne compte que sur elle-même pour résoudre ses problèmes, comme par exemple faire (et refaire) réparer son réfrigérateur. Mais, l'indépendance ayant des limites, cette "mère courage" prête à tout pour sauver son enfant est parfois obligée de se renier, pour aller faire le siège chez un riche inconnu, où elle va quémander sans ménagement quelque argent. Immergée dans une ville essaimée d'escrocs de tout bord, y compris des femmes, elle l'apprendra à ses dépens à l'hôpital, où son fils a été transporté suite à un accident de moto.
Là, Alain Gomis transforme Félicité en film d'intervention sociale, car il y dépeint alors, au travers de sa caméra à l'épaule, l'incurie des praticiens qui ne peuvent soigner un patient que lorsqu'il s'est acquitté de tous ses frais médicaux. Et encore ! Dans cet hôpital, l'on transporte soi-même ses malades, fussent-ils des blessés graves, même sans en avoir la technicité.

Deuxièmement, l'Etalon de Yennenga 2017 se présente comme un regard sur l'amour d'une femme esseulée, qui finira par tomber amoureuse d'un homme qu'elle a précédemment dédaigné. Un peu comme si les épreuves la ramollissaient et fissuraient sa carapace de femme forte, dure. On peut donc logiquement le comprendre comme un film sur l'amour, et non un film d'amour, qui prend pour prétexte l'accident de moto d'un adolescent, pour faire évoluer les sentiments d'une dame de fer. André Gide, dans son Journal, en 1929, n'écrivait-il pas qu' "il est certaines félicités de la chair que poursuit, et toujours plus vainement, le corps vieillissant, s'il n'en a pas été soûlé dans sa jeunesse" ? La félicité, ici, serait, assurément, celle de la chair, dont Gustave Flaubert disait : "Je veux que tu sois étonnée de moi et que tu t'avoues dans l'âme que tu n'avais même pas rêvé des transports pareils."

Interprétée par la chanteuse Véro Tshanda Beya, dont c'est le premier rôle à l'écran, Félicité a beaucoup de mal à convaincre par son jeu. Sur une bonne partie du film, on eût dit qu'elle arbore un masque, tant son expression du visage est longtemps demeurée la même, alors que les différentes et douloureuses situations auxquelles elle est confrontée auraient exigé qu'elle jouât de ses traits émotionnels caractéristiques de ses peines, et, rarement, de ses joies. Que nenni ! Au lieu de cela, elle est restée imperturbable, comme indifférente au malheur qui lui est arrivé, à savoir l'accident de moto de son fils unique. Et pourtant, le réalisateur a fait le pari de la filmer souvent en gros plans, plans psychologiques par excellence.
Voulait-il embarquer le spectateur dans l'univers du moi profond de ce personnage, univers fait de souffrance franchement indicible, et sa quête d'indépendance empreinte d'orgueil qu'il n'aurait pas fait mieux. On la voit alors tantôt éperdue dans ses rêveries dans l'eau, tantôt prise de vertiges exprimés par des images superposées et floues. Des images, malheureusement, dont la photographie un tantinet approximative (la peau noire n'y est pas souvent éclairée avec bonheur), relativisent la qualité technique du film.

Au final, si ce film d'Alain Gomis a été désigné comme le meilleur film du plus grand festival africain de cinéma en 2017, l'on pourrait à juste titre s'interroger sur la qualité de la sélection officielle. Il ne m'a pas vraiment emballé.

Jean-Marie MOLLO OLINGA, Cameroun

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