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Les Bienheureux, de Sofia Djama
Alger, je ne te hais point !
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 14/10/2017
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
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La réalisatrice algérienne Sofia Djama
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Scène du film Mollement, un samedi matin, avec Laëtitia Eïdo et Medhi Ramdani
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Scène du film
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Scène du film, avec Sami Bouajila
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Scène du film
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Scène du film, avec Lyna Khoudri
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Scène du film
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Scène du film
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Scène du film, avec Nadia Kaci
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Scène du film
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Affiche internationale
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Namur 2017
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Mostra de Venise 2017 (Venezia 74)
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Lyna Khoudri, actrice française (ORIZZONTI AWARD FOR BEST ACTRESS, Venise 2017)
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Neffa Films
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Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)
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Au 32ème Festival International du film Francophone de Namur (29 septembre- 06 octobre 2017), Les Bienheureux de l'Algérienne Sofia Djama n'a pas manqué de faire sensation. Quelques semaines auparavant, lors de sa Première Mondiale au 74ème Festival International de Venise, le film a été couronnée par trois prix. Le prix de la meilleure interprétation féminine pour la jeune actrice Lyna Khoudri, outre deux prix parallèles : le Prix Brian 2017 (récompensant un film défendant les valeurs de respect des droits humains, de la démocratie, du pluralisme, et de la liberté de penser) et le Prix Lina Mangiacapre (du nom de la figure du féminisme italien, ce prix est destiné à une oeuvre qui change les représentations et l'image des femmes au cinéma). A Namur, en Belgique, la production algéro-belge remporte le prix de la meilleure première œuvre de fiction francophone. C'est notre coup de coeur. Il sort en France le 13 décembre (distribué par Bac Films).

Les Bienheureux (The Blessed) s'inscrit dans la continuité du deuxième court métrage de Sofia Djama, Mollement, un samedi matin (fiction, 2012). Dans ce premier long métrage de fiction, Alger joue un rôle central. Tous les personnages, toutes générations confondues, ne sont que des morceaux de miroir reflétant les paradoxes de la capitale algérienne, ses joies, ses dés-illusions et ces impasses. Comme si chacun des personnages, par ses propos mais aussi par sa posture et même par l'expression de son visage, portait en lui la ville blanche.






Deux générations d'algérois s'aiment, se disputent, se déchirent jouissent - ou tentent de jouir comme elles peuvent- de la vie. L'essentiel de l'action se passe pendant une nuit. Après un long prologue d'exposition où les personnages avec le mal dans leur peau sont présentés et où l'atmosphère plutôt suffocante est mise en place, tout le monde sort à la recherche d'une satisfaction qui semble tant réelle qu'illusoire. Les discussions qui préparent cette nuit, qui s'avérera particulièrement animée, donnent à voir des personnages cherchant à avancer tout en se sentant tirés vers l'arrière. Le passé pèse. Il pèse sur la génération qui a vécu les événements de 1988 mais il pèse aussi, comme par translation, sur celle qui, en 2008, a la vingtaine. Les blessures n'ont pas encore cicatrisé.

Amal (Nadia Kaci) et Samir (Sami Bouajila) veulent fêter leur vingtième anniversaire de mariage. Ils sortent dîner dans un restaurant après un apéro avec des copains. Elle est universitaire rongée par la désillusion et le regret de ne pas être partie lorsque le pays était dans le chaos comme certaines copines. Lui, un gynécologue qui fait des avortements clandestins par militantisme et rêve d'ouvrir une clinique privée et s'entête à croire que les choses finiront par aller mieux. Outre leur différend au sujet de l'avenir de leur fils - elle veut qu'il parte en France alors que lui croient qu'il peut s'en sortir en Algérie - les fissures de leur amour s'ouvrent de plus en plus faisant que leur relation menace de lâcher à tout moment.

Lui, Fahim, un étudiant perdu tout comme ses deux amis Ferial et Reda. Il ne sait à qui donner de la tête ; à sa mère qui croit le sauver en l'envoyant ailleurs ou à son père qui veut lui laisser un legs sans se demander si ce n'est pas trop lourd pour lui. Fériel a une blessure beaucoup plus profonde que la cicatrice que l'on voit sur son coup, allusion à une tentative d'égorgement à laquelle elle a dû échapper. Reda, un petit receleur de haschisch, dont la tête grouille d'un mélange intenable de Coran et de rock à tel point qu'il cherche à tatouer des versets du coran sur son dos. Il peine à trouver un tatoueur.

Comment Sofia Djama filme ses personnages et comment elle les fait mouvoir dans l'espace, c'est là que réside la force de sa mise en scène et de sa direction d'acteur. L'essentiel de l'action se déroule dans des intérieurs où les corps sont serrés et où les tensions montent après quelques répliques seulement, passant de la cordialité et de l'affection au déchirement et aux accusations réciproques ; chacun renvoyant aux autres leurs angoisses enfouies comme par un effet de miroir. Et cela se traduit par des changements rapides au niveau des expressions des visages et mène très vite à des accrochages physiques d'où l'abondance des plans rapprochés, une caméra hyper-nerveuse et un montage qui devient de plus en plus saccadé au fur et à mesure que la tension monte. Un jeune qui bouscule le tatoueur parce qu'il croit que tatouer des versets c'est "haram" ("blasphématoire", en arabe) et enclenche une dispute qui risque de mal tourner. Fahim qui retire brusquement le foulard de Feriel, découvre la cicatrice sur le cou de celle-ci et exhume la douleur qu'elle croyait avoir oubliée.

Pour le moindre geste ou la moindre parole les personnages explosent en face les uns des autres à l'image de toute la ville où personne ne supporte personne et où personne ne se supporte soi-même. Cependant, il y a dans la mise en scène de Djama une finesse qui fait que, dans cette atmosphère de violence et de désillusion, il y a aussi et surtout beaucoup d'amour. Le film est ponctué par des montées de tension jusqu'à un point paroxystique. Le calme revient juste avant le moment fatal de l'explosion et les relations continuent de tenir à un fil extrêmement fin mais qui tire sa force de l'amour. Les personnages se déchirent parce qu'ils s'aiment et gueulent contre la ville qui les fait souffrir parce qu'ils l'aiment à la folie. Et c'est cette folie que Sofia Djama a su capter jusqu'aux moindres détails. Bac Films sort le film en salles, en France, le 13 décembre 2017.

par Hassouna Mansouri
Correspondance spéciale

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