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Miraculous Weapons, de Jean-Pierre Bekolo
Les plaisirs de la mort
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 20/11/2017
Jean-Marie Mollo Olinga, rédacteur à Africiné Magazine depuis 2004.
Jean-Marie Mollo Olinga, rédacteur à Africiné Magazine depuis 2004.
Jean-Pierre Bekolo, réalisateur camerounais
Jean-Pierre Bekolo, réalisateur camerounais
Scène du film
Scène du film
Tournage du film
Tournage du film
Tournage du film
Tournage du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Tournage du film, avec le réalisateur
Tournage du film, avec le réalisateur
Xolile Tshabalala est Lesedi, l'épouse
Xolile Tshabalala est Lesedi, l'épouse
L'acteur Emil Abossolo-Mbo avec Marc Nekaitar, producteur exécutif
L'acteur Emil Abossolo-Mbo avec Marc Nekaitar, producteur exécutif


"Si dans ton ciel toutes les étoiles s'éteignent, qu'elles disparaissent l'une après l'autre, sache qu'en fermant les yeux tu trouveras une lueur d'espoir". Tel est le refrain de la chanson de Valéry Ekoume, qui revient comme une antienne rythmer la dernière production de Jean-Pierre Edgar Bekolo Obama, Miraculous Weapons (Les armes miraculeuses). Ce texte, à lui seul, constitue, sinon le moment sémantique du film, du moins, apparaît-il comme un signifiant fondamental en tant qu'image acoustique qui permet de comprendre où veut nous mener le réalisateur. Le film déroule les derniers jours d'un condamné à mort, dont la vie devient un ensemble de situations de communication et une quête de liberté, tout au moins sous son aspect métaphysique. Sinon, à quoi bon avoir des projets, alors qu'on se trouve déjà dans le couloir de la mort ? Djamal Okoroko, puisqu'il s'agit de lui, est enfermé dans un réduit sordide, où il ne dispose que d'une écuelle pour manger et d'un seau pour ses autres besoins naturels. Dormant sur un matelas posé à même le sol, ses mains et ses pieds sont entravés, respectivement, par des menottes et des chaînes, qui l'empêchent de se mouvoir convenablement. D'ailleurs, où peut-il aller, en dehors d'effectuer le chemin aller et retour entre sa cellule et le parloir ? Si ce n'est pas La dernière marche de Tim Robbins (1995), avec Susan Sarandon dans le rôle de la sœur Helen Prejean et Sean Penn dans celui de Matthew Poncelet, le film de Bekolo y tient à plusieurs égards. Entre autres ressemblances, les "trois femmes" d'Okoroko (interprété par Emil Abossolo Mbo) ne jouent-elles pas le même rôle auprès de lui que la sœur Helen Prejean auprès de Poncelet ?

Cependant, contrairement à La dernière marche, Miraculous Weapons se présente comme un gigantesque moment de dialogues, où les mots prennent tout leur sens et se disent dans tous les contours de leur pouvoir et de leur puissance. En effet, dans le film de Bekolo, l'on parle beaucoup, pas pour "bavarder", comme le mentionne, en passant, Stéphanie Foucault [Maryne Bertieaux, ndlr], l'enseignante de français du condamné, mais pour surmonter tout le côté négatif de ce que peut subir Djamal Okoroko ainsi que toutes celles qui l'aiment, pour le transformer ou le remplacer par tout ce qui est positif et valorisant. C'est ainsi que le cliquetis lugubre des clés des geôliers lorsqu'elles s'enfoncent dans la serrure, le sinistre son provoqué par la matraque chaque fois qu'elle heurte, avec force et brutalité, la lourde porte du condamné ne déteignent nullement sur sa sérénité.
Ce faisant, Jean-Pierre Bekolo nous plonge dans la psychologie du prisonnier, qu'il filme par conséquent en gros plans. Ce qui nous fait découvrir Emil Abossolo Mbo dans un registre qu'on ne lui connaissait pas : le comédien camerounais, qui porte merveilleusement le film, joue magistralement avec les muscles de son visage, ce qui relève de la double performance physique et artistique.

Le personnage de Stéphanie Foucault

Dès l'ouverture du film, dans la séquence d'exposition, Jean-Pierre Bekolo, par un montage alterné, nous montre une femme noire chevauchant une bicyclette, et deux femmes blanches dans des véhicules de couleur rouge et jaune, respectivement. Les choix chromatiques du réalisateur nous renseignent là, d'un côté, s'agissant de la tonalité rouge, non seulement sur la charité, la force vitale, l'amour et la souffrance de l'une des femmes, mais aussi et surtout, de l'autre, pour ce qui est du jaune, de la lumière apportée au détenu, à l'exemple de la lumière céleste révélée aux hommes. A ce niveau, Stéphanie Foucault n'incarne-t-elle pas ce Prométhée qui est allé arracher le feu aux dieux pour l'apporter aux hommes ? Par l'instruction qu'elle instille au détenu et les arguments intellectuels que déploie, à la longue, Miraculous Weapons, l'œuvre de Bekolo Obama ne se mue-t-elle pas en film politico-philosophique ou, à tout le moins, idéaliste ? Au travers des auteurs français et de la poésie de leur langue, le réalisateur, manifestement, dresse un réquisitoire subtil contre la langue française, que les Africains doivent s'approprier, pour s'émanciper de cette tutelle qui les étreint et qui dure. Il s'agit ici de s'inspirer de la technique de l'aïkido japonais, qui canalise la force de l'adversaire pour la retourner contre lui, au lieu de s'opposer à lui de front. Exactement comme l'ont fait les poètes de la Négritude avec la langue française, à laquelle ils ont opposé ce concept. Il s'agit ici de prendre son destin en main pour exister et de se sauver soi-même, au lieu d'attendre d'être sauvé par les autres. "Je rêve d'un endroit où personne ne devra mourir pour nous sauver. Nous devons apprendre à nous sauver nous-mêmes, nous devons apprendre à devenir immortels", martèle Djamal Okoroko.

Filmée de manière dépersonnalisée dès son premier contact avec le prisonnier, le personnage de Stéphanie Foucault est l'un de ceux qui évoluent avantageusement (hormis celui d'Okoroko, ce qui constitue l'une des faiblesses de l'œuvre, les deux autres femmes étant demeurées figées dans leurs rôles. Les autres faiblesses se situent au niveau du jeu sans émotion de Laurence Neumann [Andrea Larsdotter, actrice suédoise, ndlr] et de l'absence de tension, de "ré-flexion" entre les êtres du dehors, les femmes, et celui du dedans, le prisonnier). Lors de son premier contact avec Okoroko, c'est à peine que Foucault - un patronyme évocateur pour le cinéma ! - est visible derrière la glace qui la sépare de celui qui va devenir son apprenant ; elle y apparaît comme une ombre, un fantôme, et l'émotion la fait balbutier. Par la suite, au fur et à mesure que s'établit une relation de confiance entre elle et le prisonnier, elle prend de l'assurance, et son image devient plus nette. N'est-ce pas alors à dessein que Bekolo va la faire passer de l'ombre à… la proie, clin d'œil à ce type de relations sentimentales risquées qui, bien que sans lendemain, s'épanouissent du fait de la proximité et de la promiscuité ? Foucault devient si… proie qu'elle va jusqu'à vouloir faire un enfant à Okoroko - dont elle tombe sous le charme - sans même se questionner sur le lieu et la manière. Ce n'est pas un hasard si c'est avec elle que se déclenche le processus des dialogues entre le prisonnier et ses "trois femmes". Avec Foucault, l'œuvre de Marshall Rosenberg, Les mots sont des fenêtres… ou bien ce sont des murs, prend toute sa dimension. Ceux que s'échangent Foucault et Okoroko déclenchent une réaction, transforment leur relation, et deviennent de ce fait des choses : à ce niveau, les mots luttent contre les maux. C'est pourquoi Djamal Okoroko demeure positif face à son destin, et trouve même qu'il y a comme des plaisirs face à la mort. Celle des autres n'aide-t-elle pas à vivre ? N'est-ce pas la raison pour laquelle il répétera inlassablement à sa femme, Lesedi [Xolile Tshabalala, ndlr] : "Don't give up ! Don't give up !" ? Ceux qui l'ont condamné peuvent le tuer, mais ils ne peuvent pas tuer son âme. Les entretiens entre Okoroko et ses "trois femmes" apparaissent comme un culte de résurrection avant la mort. C'est assurément dans ce contexte que l'on devient immortel.

Au final, le film de Jean-Pierre Edgar Bekolo Obama s'inscrit dans le cinéma d'enfermement, où le milieu carcéral participe d'une esthétique de l'isolement. Expression de la pression, de la contrainte physique, sociale et psychologique, entre autres, un tel cinéma est encadré par et dans un espace, un décor clos, et, finalement, une histoire où le protagoniste a perdu toute relation avec le monde extérieur. Mais, dans le cas de Miraculous Weapons, les "femmes" du prisonnier y remédient ; ce sont les intermédiaires entre le dedans et le dehors. Partant, la prison de Djamal Okoroko lui apparaît comme un lieu ouvert, où seul son corps est embrigadé, pendant que son esprit, ou son "âme", continue d'avoir des projets. Le film de Jean-Pierre Bekolo nous le montre avec de belles images et beaucoup de poésie.

par Jean-Marie MOLLO OLINGA, Cameroun

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