AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 364 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Mohamed Ben Attia: "Je voulais évoquer un malaise que l'on ressent en Tunisie et un peu partout dans le monde"
Réalisateur de Weldi
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 30/05/2018
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Mohamed BEN ATTIA, réalisateur tunisien
Mohamed BEN ATTIA, réalisateur tunisien
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film

Pour son deuxième long métrage, le réalisateur tunisien Mohamed Ben Attia s'est plongé dans la psyché d'un père désarçonné par le choix de son fils unique de rejoindre les rangs de l'organisation terroriste Daech en Syrie. Weldi (Mon cher enfant) a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. Entretien avec l'une des figures montantes du cinéma tunisien.


Africiné Magazine : On avait déjà cette sensation dans Hédi, un vent de liberté, votre premier et précédent film. Vos héros sont des jeunes en résistance par rapport à un ordre établi, celui d'un chemin tout tracé que leurs parents voudraient qu'ils prennent…

Mohamed Ben Attia : Il y a de nombreux points communs entre ces deux films, même si le sujet du second est plus grave et plus noir. Ce qui peut lier Weldi (Mon cher enfant) à Hédi, c'est cette jeunesse qui se sent oppressée, y compris par une sorte d'itinéraire du bonheur complètement balisé : le mariage, la famille… Des choses, a priori, positives et rassurantes mais qui, paradoxalement, peuvent devenir très étouffantes.






Au point où Sami choisit de prendre un mauvais chemin, celui qui l'emmène dans les rangs de Daech en Syrie. Que vous êtes-vous dit quand vous avez décidé de travailler sur un sujet que beaucoup d'autres avaient déjà traité, à savoir le désarroi des parents face à des enfants qui deviennent des terroristes ?

Dès le départ, je savais que nous n'allions pas avoir la prétention de vouloir expliquer ce choix, dans la mesure où on s'est rendu compte que tous ces jeunes qui partaient en Syrie n'avaient rien en commun. Par ailleurs, je voulais évoquer un malaise que l'on ressent en Tunisie, mais qui doit être malheureusement ressenti un peu partout. Je voulais parler de cette misère affective qui ronge que l'on soit seul ou entouré. Cette misère-là pouvait avoir une résonance avec la problématique du film. En somme, le parti pris était de ne pas sombrer dans les justificatifs mais de faire passer une émotion et de lier tout cela à nos propres vies. Car on a tendance à penser que c'est très éloigné de nous mais tout le monde peut être frappé.

Le désarroi de ces jeunes, les héros de vos deux films, semble vous attirer. Pourquoi ?

Nous en parlions sur le tournage d'Hédi avec Majd Mastoura (l'acteur principal du film, NDLR)… J'ai été frappé, après la révolution (tunisienne de 2011), de voir combien les jeunes sont désabusés. Je m'énerve parfois contre eux en me disant que c'est de la paresse, qu'on ne peut pas être nihiliste à ce point et détester la vie alors qu'il faut se donner les moyens de rêver à une alternative. Je me "bagarre" parfois avec ces jeunes. D'autant que, sept ans après la révolution, certains veulent encore quitter la Tunisie. Il y a donc un problème et cette problématique me passionne.

L'appartement de ses parents ressemble à un cocon dont Sami veut à tout prix se libérer. Comment avez-vous choisi ce décor ?

Depuis l'écriture du scénario, je voulais tourner dans cette résidence nichée dans la forêt (située à Radès, dans la banlieue sud de Tunis). Pendant que j'écrivais, il m'arrivait souvent de faire une promenade dans les alentours avec mon fils. Nous avons eu beaucoup de mal à trouver ce décor car il est toujours difficile de demander à des familles de prêter leur maison pendant six semaines. Nous avons finalement trouvé cet appartement vide. Il devait être sobre, nous permettre de mettre en relief les personnages et surtout correspondre au standing de cette famille. Et puis, pendant le tournage, nous avons appris que le propriétaire avait perdu ses deux enfants en Syrie. C'était horrible pour toute l'équipe car nous tournions dans les chambres des disparus. Cela nous a beaucoup émus.

Généralement, ce sont les mères qui sont étouffantes. Mais dans Weldi, c'est plutôt le père de Sami, Riadh, qui l'est…

Ils sont tous les deux étouffants mais chacun à sa façon (sourire). Le père aime trop son fils, il l'aime pour lui. Riadh se définit à travers son fils. Il a une vision très simpliste où le boulot et la famille sont la clé de tout. Quand il part à la retraite, c'est un premier coup qu'il encaisse. Et quand il perd son fils, la situation devient insupportable. Cet amour étouffant émane, cette fois-ci, d'un père. J'ai choisi de mettre en avant le regard de l'homme. Mon prochain film sera d'ailleurs dans la même veine. Pour le moment, ce sont les hommes qui m'intéressent !

Weldi est une réflexion très intéressante sur la paternité et surtout la culpabilité de tous les parents de ces jeunes qui vont rejoindre les rangs de Daech. Comment avez-vous pensé l'évolution du personnage du père qui traverse plusieurs phases après la disparition de son fils ?

L'écriture s'est faite assez vite. Le scénario me trottait déjà dans la tête pendant le tournage d'Hédi. J'ai beaucoup lu sur le sujet et vu plusieurs vidéos. C'est tout cela qui m'a aidé à savoir ce que je ne voulais pas faire. Plus je développais le personnage du père, plus je me rendais compte que je resterai dans le domaine du ressenti. D'ailleurs, je constate que j'ai beaucoup plus de mal à parler de ce film que du précédent. Il y a des situations sur lesquelles il n'est pas toujours aisé de mettre des mots. C'est peut-être pour cela que je fais des films (rires).

Votre casting est formidable, notamment Mohamed Dhrif qui est époustouflant dans le rôle du père, Riadh. Comment avez-vous choisi vos comédiens ?

Tout s'est déroulé avec une très grande facilité, alors que j'ai toujours très peur du casting. On fantasme, on a toujours une idée de ses personnages et j'ai toujours peur de ne pas avoir le même ressenti face aux comédiens qui vont les incarner. J'ai eu beaucoup de chance même si les premiers essais étaient laborieux. Mohamed Dhrif s'est acharné : il a même fait des essais chez lui qu'il m'a envoyés. Cependant, dès que je l'ai vu, j'ai su que c'était lui. Les doutes sont venus après et nous avons donc continué à rechercher son profil. La chose la plus belle et la plus importante chez Mohamed Dhrif, c'est sa confiance et sa disponibilité. C'est très difficile de travailler avec des gens d'un certain âge et qui ont une certaine expérience parce qu'ils peuvent se braquer. Mohamed Dhrif, lui, m'a fait confiance. Une expérience magnifique.

Quelle a été la principale difficulté sur le tournage de Weldi ?

Le tournage a été physiquement éprouvant. Notre plan de travail était serré, nous devions gérer beaucoup de décors… Le film a été tourné en hiver. Conséquence : moins de lumière. Cela nous a forcés à toujours être prêt à tourner vers 4h du matin.

Votre premier film a été distingué à la Berlinale en 2016. Vous avez été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, édition 2018. Votre talent a été reconnu dès votre première fiction. Ressentez-vous ou avez-vous ressenti une certaine pression à faire un nouveau film après le succès d'Hédi ?

J'ai eu la chance d'avoir l'idée de mon deuxième film pendant le tournage d'Hédi. Et quand j'ai une idée, ça tourne à l'obsession. Je vis avec cette idée. Par conséquent, il n'y a pas de place pour les doutes. Je suis nerveux et angoissé par rapport à la réception de ce nouveau film. Et comme ça se passe à Cannes, c'est doublement angoissant… Mais j'ai déjà l'idée d'un troisième film. J'espère pouvoir le faire car ce sera un peu plus compliqué que les deux autres. Ce qui me passionne, c'est cette obsession de vouloir raconter des histoires et de faire des films…

La révolution semble avoir libéré les artistes tunisiens. A-t-elle créé une émulation chez vous également ?

Absolument. Aujourd'hui, nous commençons à être un peu blasés quant à cette révolution. Mais il faut reconnaître que cela nous a procurés une grande émotion. Elle a chamboulé notre perception des choses. Et même si cela a eu des répercussions négatives sur l'économie, le tourisme notamment, il n'en demeure pas moins que les gens ont été bousculés. La parole a été libérée et cela nous a permis de raconter des histoires, et surtout de le faire différemment.

D'où vient la différence ? Du fait d'être moins censuré ?

La censure était politique. Nous arrivions, à quelques exceptions près, à traiter de tous les sujets sous Ben Ali (l'ancien président tunisien chassé du pouvoir par la révolution, NDLR). Seulement, on utilisait beaucoup de symboles. La révolution nous a libérés de tout ça. Nous avons, en premier lieu, gagné en sincérité. Cela se ressent aussi bien dans les films que dans les autres productions artistiques. Pour écrire des histoires et avoir envie de faire du cinéma, il faut être bien dans sa tête, ne pas se sentir oppressé, éventuellement par la censure, ou contraint par des tabous.

Falila Gbadamassi

Le film est montré le 30/05/18, à 20h30, dans le cadre de la Reprise de la Quinzaine des Réalisateurs, au Forum des Halles, Paris.

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés