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Mort de David Endene, acteur camerounais éternel
Révélé par le film Muna Moto, beau et talentueux.
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 10/09/2019
David Endene dans Muna Moto, 1976
David Endene dans Muna Moto, 1976
Jean-Marie Mollo Olinga est rédacteur à Africiné Magazine depuis 2004
Jean-Marie Mollo Olinga est rédacteur à Africiné Magazine depuis 2004
Le regretté David Jata ENDENE
Le regretté David Jata ENDENE

Cet article est une version remaniée de l'hommage au regretté David Endene prononcé par Jean-Marie MOLLO OLINGA, lors de la soirée qui lui avait été dédiée, le 31 juillet 2019, à Yaoundé. Cette soirée organisée par le ministère camerounais de la Culture à la suite du décès du très grand acteur.


Lors de la remise des prix ayant clôturé la 23ème édition des Ecrans Noirs en juillet dernier, le prix de la meilleure interprétation masculine n'a pas été attribué, dans la catégorie où compétissaient les Camerounais. A la suite de ce résultat nul, nous avons entendu pousser des cris d'orfraie dans les réseaux sociaux, cris de gens prétentieux pour qui cette décision prise par le jury présidé par le très rigoureux Mansour Sora Wade apparaissait comme une insulte à leur prétendu talent, dont on sait pourtant qu'il vole au ras des pâquerettes, en tout cas, pour nombre d'entre eux.
C'est Daniel Kamwa qui me fit remarquer un jour que la plupart des acteurs camerounais ne savaient pas marcher, simplement marcher, que quand on leur demande de marcher, ils se dandinent. Et je lui rétorquai que parler alors relève de la croix et la bannière. Combien de prétendus acteurs camerounais savent que même la forme qu'on donne à ses lèvres est importante pour parler au cinéma ? La sentence de Mansour Sora Wade, qui sait de quoi il est question, si elle était intervenue dans un milieu où l'on ne se complaît guère dans le nivellement par le bas, aurait été interprétée comme un appel à plus d'ardeur au travail. Soit dit en passant, son film, Le Prix du Pardon, avait été couronné du Prix de la Meilleure Comédienne au Festival International du Film de Carthage, Prix attribué alors à Rokhaya Niang.






La disparition de David Endene nous donne l'opportunité de célébrer, aujourd'hui, un acteur, un vrai. Après seulement trois films (Muna Moto de Jean-Pierre Dikongué Pipa, où il tient le rôle principal, et dans une autre mesure, Les Coopérants d'Arthur Si Bita, et Bikutsi Water Blues de Jean-Marie Teno), il avait réussi à créer cette intimité que recherche tout spectateur entre l'acteur, que disons-nous, entre le film et lui.
Un acteur de cinéma est le vecteur essentiel du développement d'une passion cinéphilique. Il est le premier contact visuel que les spectateurs ont avec une œuvre filmique. Et parce qu'ils sont soit charismatiques, soit talentueux ou simplement beaux, les acteurs ont pour objectif de créer des émotions de la part de ceux qui les regardent jouer, surjouer, interpréter ou incarner des rôles, à savoir, les spectateurs. Il s'agit alors pour le spectateur de rentrer dans un processus d'identification avec l'acteur, au point de susciter son empathie ou sa sympathie. Et dans le cas d'espèce, David Endene, vous en conviendrez avec moi, fait partie des acteurs, à la fois, beaux et talentueux.

La beauté d'abord

Dikongué Pipa, le réalisateur de Muna Moto, la voulait physique. Il a donc choisi ce bel étalon qu'il fait jouer torse nu tout le film durant, se couvrant seulement la partie inférieure du corps soit avec un pagne, soit avec un short élimé. Il nous est ainsi donné d'admirer ses pieds, dont l'insert pendant qu'il s'enfuit avec Muna Moto, l'enfant de l'autre, montre la puissance athlétique et physique de cet homme qui porte son enfant comme Atlas, ce Titan condamné à soutenir la voûte céleste. D'ailleurs, il n'est pas seulement Atlas, il est aussi Hercule, célèbre pour ses Douze travaux, car Ngando (joué par David Endene), se livre également à de multiples travaux, pour réunir la dot de sa fiancée.
Dikongué Pipa nous montre aussi le torse de Ngando pour laisser admirer ses pectoraux, la vigueur de ses bras et ses abdominaux d'athlète. Ne l'avons-nous pas évoqué, il court aussi vite qu'un sprinter des 100 mètres. Et pendant ses rares moments de joie, ne laisse-t-il pas éclater, bien que timidement, son sourire Colgate qui expose la blancheur de ses dents ? Cette beauté physique serait demeurée insipide si elle n'avait pas été associée au talent du comédien.

Le talent ensuite

Celui-ci est introduit par Dikongué Pipa dans la scène lors d'une cérémonie du Ngondo. Ngando (David Endene) joue des coudes pour se frayer son chemin parmi les figurants, histoire de mieux s'en distinguer. La cerise n'est-elle pas mieux visible lorsqu'elle est posée sur le gâteau ? Par la suite, le gros plan servi aux spectateurs, où l'on peut lire la fermeté de son visage, n'est-il pas suffisamment indicatif de la détermination de Ngando à résoudre le problème auquel il est confronté. Il nous rappelle par là même les 36 situations dramatiques de Georges Polti, notamment les 12ème et 28ème, respectivement (obtenir ou conquérir : un personnage principal essaie de s'emparer d'un bien précieux ; amours empêchées : un amour est entravé par la famille ou la société) ? Tout commence par le face-à-face entre Ndomè, sa fiancée, et lui.
A ce niveau intervient une forme de regard, qui n'est nullement sartrien, celui-là même qui chosifie l'autre. Il s'agit ici du regard d'un homme éperdument amoureux, qui fixe droit dans les yeux la femme qu'il voudrait épouser, et qui semble lui dire : "J'ai envie de toi, grave, si tu es d'accord de venir avec moi, regarde-moi aussi fixement."
Dans Muna Moto, une bonne partie de ce que dit Ngando ne se trouve pas dans les mots, mais dans la manière de le dire. Et parfois, l'intensité de l'intonation de sa voix est fléchie par son geste. Par exemple, lorsqu'il offre un bracelet à sa dulcinée, ne l'appelle-t-il pas fermement : "Ndomè !", pour ensuite s'adoucir : "Prends !", en lui tendant ledit bracelet. C'est ainsi qu'on peut apprécier ses hésitations lorsqu'il vient au secours de sa fiancée tabassée par son père, et qu'il s'arrête net, le souffle court, ou bien quand son ami lui révèle que si son oncle paye la dot de sa femme, il en sera le vrai mari. Sa tête penche alors à gauche, il semble perdre de sa superbe, et sa posture fait vivre intensément les questionnements intérieurs suscités par ce constat. Comme nous pouvons le remarquer, David Endene, dans le rôle de Ngando, joue de techniques gestuelles et vocales qu'il sait maîtriser, ce qui lui confère une forte personnalité dans ce film, tout au moins par rapport aux autres acteurs. N'utilise-t-il pas à bon escient et son corps, et sa voix, pour donner aux spectateurs une palette d'émotions des plus complètes ? Au-delà de faire comprendre le message de Muna Moto, David Endene a su faire vivre le personnage de Ngando, en rendant poétiquement l'histoire de ce film de fiction.

Chaque fois que l'on regarde un film, en l'occurrence ici Muna Moto, n'inspire-t-il pas de changer de comportement, de vie, pour agir différemment ? Cela, nous le devons aux acteurs qui, de ce fait, portent le message, et deviennent conséquemment des sources d'inspiration. A travers leur art, les acteurs de cinéma, les vrais, qui sont propulsés dans la catégorie des artistes, ont une influence sur le monde à travers, justement, leur art. Pour ce faire, comme David Endene, ils rendent leur inspiration disponible pour les autres. Ce sont des experts de la vie, disait un comédien, parce que les films sont des enseignements sur la vie.
David Endene, comme tout artiste, est éternel, car il continue d'exercer son métier même après sa mort. Il a combattu le bon combat, il mérite le repos. Et puis, Dikongué Pipa ne signale-t-il pas, tout au début de Muna Moto, qu'aucun combat n'est vain ?

par Jean-Marie MOLLO OLINGA

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