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Selma Bargach, une réalisatrice qui voit clair
"Tant qu'il y a de la liberté d'expression, je crois au pouvoir du cinéma"
critique
rédigé par Amina Barakat
publié le 10/12/2019
Selma Bargach, réalisatrice marocaine
Selma Bargach, réalisatrice marocaine
Amina Barakat (Rabat) est rédactrice à Africiné Magazine
Amina Barakat (Rabat) est rédactrice à Africiné Magazine
Scène du film Indigo, 2018
Scène du film Indigo, 2018
Scène du film Indigo, 2018
Scène du film Indigo, 2018
Scène du film Indigo, 2018
Scène du film Indigo, 2018
Scène du film
Scène du film

Selma Bargach est une Marocaine de Casablanca qui a tout fait pour réaliser ses rêves, dont le premier est de faire bouger les choses et de donner de l'âme à l'image. Elle a toujours voulu être une réalisatrice qui compte dans le monde magique de l'art cinématographique. Cette jeune femme active est pleine de vie. En 1997, elle a décroché son Doctorat en art et sciences de l'art (option audiovisuelle), à la Sorbonne, à Paris. Ce diplôme était un visa pour passer à autre chose : se mettre derrière la caméra, un métier jusqu'à pas très longtemps réservé aux hommes (même si plusieurs femmes ont été pionnières, en France ou en Egypte). Faire de ce 3ème œil un moyen d'expression est un pari du cœur, afin d'afficher sa vision sur tout ce qui l'intéresse autour d'elle.
Selma a dorénavant cumulé un certain nombre d'expériences, dans différents métiers du cinéma, en tant qu'assistante à la réalisation sur les plateaux de réalisateurs marocains, collaboratrice dans un centre de documentation et de recherche sur les arts du Maghreb, stagiaire dans le montage. Elle a aussi travaillé en production à la chaîne de télé Antenne 2 (France), responsable audiovisuelle à la fondation de l'ONA (Maroc), plus l'écriture d'un téléfilm. À son actif, elle a réalisé Les jardins de l'Islam (1989-1990), un court métrage expérimental de 5 minutes en Super 8 mm dans le cadre d'une installation. On lui doit aussi Regard, Psychose, Tentation, Des-voiles, quatre courts métrages expérimentaux également en Super 8 mm et tous d'une durée de 5 minutes, tournés entre 1988 et 1991. Selma a réalisé trois autres films : Restauration de l'école d'architecture de Nanterre (1992, un court sur un diplôme d'architecture, 10 mins), Jamais plus (son premier court métrage de fiction, en 2004, 10 mins, 35 mm) et L'ascenseur (2005, son second court métrage de fiction, 23 mins, en 35 mm).
Elle a fait aussi des documentaires : Femmes en situation précaire atteintes du cancer du sein (2004-2005, 26 mins, en co-réalisation, pour l'association "Coeur de femmes"), Tournée des établissements scolaires (2004-2005, 26 mn, pour la société événementielle "Trapèze" en partenariat avec les confitures Aicha) et L'appel de l'âme (2006-2007, 3 mins, dans le cadre d'une formation pour le documentaire avec la cinémathèque de Tanger et le DFG (Documentary Filmmakers Group) de Londres.
En 2011, elle sort La 5ème corde, son premier long métrage fiction (1h38 min, drame, couleur, 35 mm), avec Khouloud Bétioui, Ali Esmili, Hichem Rostom, Claire-Hélène Cahen, Mohamed Elkhalfi, Abdallah Chakiri. C'est l'histoire de Malek, un jeune musicien passionné de luth, ayant quitté son ancienne Médina de Casablanca pour partir apprendre les subtilités du luth chez son oncle Amir, maître de musique qui lui promet de lui révéler le secret de la 5ème corde. Durant son enseignement rigoureux, Malek rencontre Laura, une jeune musicienne, qui lui donne l'énergie suffisante pour poursuivre son rêve.
La 5ème corde / The 5th String a eu plusieurs prix et sélections internationales (Prix du meilleur son et une Mention spéciale du jury au Festival national du film de Tanger, sélectionné au festival de Khouribga, Festival du film de musique de Kicheon en Corée du Sud, Festival du film arabe de Fameck, Festival du film arabe de Bruxelles et Festival Cinéalma de Carros en France).


Son deuxième long-métrage Indigo (2018) a remporté le Prix Paulin Vieyra, de la Critique Africaine, au Fespaco 2019 (Ouaga, Burkina) ainsi que le Prix du Meilleur Scénario au festival écrans Noirs 2019 (Yaoundé, Cameroun), après de nombreuses nominations dont celle au FCAK 2018 (Khouribga, Maroc) et celle du 20éme Festival National du Film (Tanger, 2019, Maroc).
Avec Rim Kettani Khouloud, Marwa Khalil, Aicha Mahmah, Karim Saidi et Malek Akhmiss, dans les premiers rôles, le film Indigo suit Nora, 13 ans. Après un choc émotionnel, la jeune fille se réfugie dans le monde de la voyance pour échapper à la brutalité de son frère Mehdi. Nora découvre un cadeau qui pèsera sur elle comme une malédiction et provoquera des malentendus autour d'elle.

Pour en savoir un peu plus, cette réalisatrice qui fait de son métier une priorité a accepté de nous accorder cette interview exclusive. ENTRETIEN



Un film est un point de vue, une sensibilité

Est-ce que le défi d'être femme peut entraver ton travail de réalisatrice ?
Réaliser un film c'est se donner les moyens psychologiques, physiques, émotionnels d'aller jusqu'au bout de cette aventure. Ce n'est pas une question de sexe. Le défi c'est de faire changer les mentalités sur ces préjugés. En tant que femme, je me suis toujours sentie soutenue et respectée dans mon travail.

Votre choix de devenir réalisatrice, c'est de votre bon gré ou bien c'est un pur hasard de se trouver derrière la caméra ?
"Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous" disait Eluard… J'ai toujours voulu raconter des histoires, m'exprimer à travers l'art. Quand j'étais enfant, je fabriquais des films et je les projetais sur un mur. J'étais attiré par le monde de l'illusion. Plus tard, cela m'a semblé une évidence. Tout mon parcours m'a mené là où je suis. Pourtant, j'avais aussi envie d'étudier la physique quantique, danser à Broadway, chanter à l'Olympia, dessiner sur les murs ou écrire des poèmes. Mes personnages portent parfois ces rêves en eux… C'est la magie du cinéma.




Est-ce que vous croyez que la femme (la réalisatrice) peut avoir un regard différent aux sujets qui concernent la cause féminine, par rapport aux réalisateurs (hommes) ?
Un film c'est un point de vue, une sensibilité qui peut être plus féminine ou plus masculine, indépendamment du genre. Le regard se perçoit dans la force de conviction portée à l'écran. Je vous mets au défi de vous montrer des films et vous ne saurez pas me dire qui l'a réalisé, une femme ou un homme.

Le nombre de réalisatrices marocaines s'accroît de plus en plus. Mais on constate que certaines ont disparu après la première apparition. Quels sont les réels problèmes qui ont mis fin à leurs activités dans les milieux du cinéma ?
C'est vrai, mais beaucoup de réalisateurs ont disparu aussi. C'est un métier où l'on est souvent vulnérable. Il est parfois difficile de concilier une vie artistique avec tout ce qu'elle comporte parfois comme instabilité. Il faut plus que de la passion.

Est-ce que vous croyez au cinéma au féminin ?
Plus de femmes font des films aujourd'hui, c'est indéniable. Pas suffisamment encore, mais c'est en voie constante. Notre monde a besoin de réalisatrices pour un meilleur équilibre et une plus grande harmonie. C'est essentiel ! Je rêve un jour d'une vraie parité, dans le sens où la place sera la même pour tout un chacun dans ce domaine.

En tant que réalisatrice, que peuvent-vous rapporter les festivals internationaux du cinéma ?
Une visibilité plus grande. Les festivals internationaux sont des plateformes importantes pour renforcer les industries cinématographiques. C'est aussi le lieu idéal des rencontres pour d'autres projets.

Que pensez-vous des festivals spécifiques à la femme ?
Je préfère évidement des festivals pour tous, mais nous avons de la chance d'avoir cette possibilité de montrer nos films. Les œuvres sont destinées à circuler. Ces festivals apportent plus de visibilité.

Le pouvoir du cinéma (tant qu'il y a de la liberté dans l'expression)

Quels sont les problèmes épineux qui se posent le plus dans la fabrication d'un film ?
Le plus important dans la fabrication d'un film, hormis le budget, c'est d'être bien entouré à toutes les étapes du film, de s'entendre avec l'équipe technique et artistique. Il suffit qu'un maillon de la chaîne défaille pour que cela engendre des complications et des retards.




Quel regard portez-vous sur le cinéma arabe ?
Notre cinématographie possède des films magnifiques, d'une grande sensibilité et de toute époque. J'ai une vraie tendresse pour le cinéma arabe, pour son authenticité et ses histoires touchantes. Certains pays arabes ont fait confiance à leurs artistes et ont développé une vraie industrie. On commence à en entrevoir les résultats, dans la quantité proposée et dans la qualité. J'ai foi en l'avenir, car nous avons beaucoup encore à raconter sur nous.

Est-ce que vous croyez que le cinéma peut participer, au freinage de l'extrémisme religieux et du terrorisme qui menacent la sécurité et la stabilité dans le monde ?
Je crois au pouvoir du cinéma tant qu'il y a de la liberté dans l'expression… Celui qui émeut, qui exalte, qui fait rêver et/ou réfléchir. Un film peut contribuer à éduquer et à changer les mentalités. Un film peut révéler des vocations, susciter des interrogations, réveiller les consciences. Pourquoi croyez-vous que les extrémistes de tout bord cherche d'abord à supprimer l'art, à détruire des salles de cinéma, des centres culturels?

Est-ce que vous croyez que la coproduction Nord/Sud ou Sud/Sud peut résoudre le problème de la production d'un projet filmique ?
Un film, c'est un montage financier. Tout dépend de la coproduction. Il faut choisir les bons partenaires, avoir des intérêts communs. En règle générale, elle peut contribuer à faire évoluer un projet. Pour développer la coproduction dans notre industrie, ce serait utile d'avoir des structures juridiques spécialisées, plus à même de nous soutenir.

Des moyens réduits pour promouvoir le cinéma au Maroc

Vous croyez que le cinéma au Maroc se porte bien ?
On a de la chance d'avoir un fonds d'aide mais la commission a réduit les budgets, alors que la demande a évolué et que la concurrence s'est accrue. Les tranches arrivent tardivement et cela entrave tout le processus de fabrication. Nous avons de plus en plus de films bien réalisés, mais nous n'avons pas les moyens de les faire connaître au public, parce que nous n'avons pas de budget pour les promouvoir. Les Marocains veulent de plus en plus voir leurs propres films, mais les tickets de cinéma sont hors de prix et les salles ferment. La TV est censée nous apporter son soutien financier mais elle favorise uniquement les films de divertissement. Nos films sont réellement bien reçus à l'étranger mais dénigrés par une certaine tranche d'intellectuels ou de journalistes qui ont un problème avec leur identité culturelle et qui fantasment sur les productions étrangères, alors que nous avons des talents incroyables.

Dans pratiquement chaque ville marocaine, il y a un festival alors que les salles obscures sont de plus en plus en voie de disparition. Que pensez-vous de cette problématique ?
Ces festivals sont très importants car ils font travailler beaucoup de gens, contribuent à développer l'économie de la région d'accueil, permettent aux populations locales de se nourrir intellectuellement, de s'éduquer et parfois de susciter des vocations. Les autorités régionales - pour que ces festivals aient encore plus d'impact économiquement - doivent rénover les salles de cinéma, développer une stratégie de communication et créer des événements autour, en faisant participer au maximum la population locale. Dans certains pays européens, la politique culturelle fait que certains secteurs industriels importants rapportent bien moins que la culture, pour ne voir que cet aspect ! C'est le cas de la France, si on devait s'en inspirer comme modèle.

Propos recueillis par Amina BARAKAT

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