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Fespaco 2019 : les esprits se sont invités au Fespaco
critique
rédigé par Annick R. Kandolo
publié le 27/12/2019

La cérémonie de libation, un hommage aux cinéastes disparus, qui est pratiquée à chaque édition du Fespaco, atteste bien de l'importance des croyances dans le quotidien des Africains. Et le monde du cinéma n'y échappe pas. Cette année, quelques-unes des fictions en lice pour l'Etalon du Yennenga s'intéressent particulièrement à tous ces esprits qui hantent la vie des individus mais aussi des lieux.

C'est d'ailleurs à un temple du cinéma, la cinémathèque africaine, que le film du Burkinabè Issiaka Konaté, Hakilitan (Mémoire en fuite) s'intéresse. Le long métrage a pour décor le siège du Fespaco à Ouagadougou. En chantier depuis plus d'une décennie, le futur pied-à-terre de la biennale du cinéma africain peine à voir le jour.
Les raisons sont mystiques. Le site serait habité par des génies. Du pain béni pour Issiaka Konaté qui y trouve un prétexte pour parler de ce qui a, toujours, été au coeur de son oeuvre.
L'introspection pour trouver le sens de la vie. Entre documentaire et fiction, réel et irréel, il interroge. Qu'est-ce qui pourrait advenir de l'individu, mais également de la collectivité, si la mémoire se perdait ?
Entre l'histoire fictive d'un amnésique qui se réveille dans la salle inachevée du Fespaco et les phénomènes - l'inondation de 2009 et l'incendie de 2017 - dont les causes restent inconnues, quasi surnaturelles, le réalisateur oscille. Il le fait avec des références "aux habitants invisibles" des lieux. La scène du marécage est-elle innocente ? Le siège du Fespaco ne jouxte-t-il pas un canal qui, jadis, était un marigot sacré, le Kadiogo, qui doit son nom à la province dont le chef-lieu est Ouagadougou ? Mais faire référence au surnaturel, au paranormal, n'est pas nouveau chez Issiaka Konaté. Par exemple, dans son court métrage Souko (Le cinématographe en carton) tourné en 1998. Il y met en scène deux jeunes garçons. Passionné de cinéma pour l'un, et de chevaux pour l'autre, ils fabriquent un cinématographe en carton. Ils projettent l'image d'un cheval blanc magique sur un drap. Cependant, le cheval s'échappe de l'écran et prend vie. Aucun doute, le cinéaste, dit du surréel au Burkina Faso honore le rendez-vous du cinquantenaire du festival en invitant dans son monde, cet autre
monde.

Dans le long métrage malien Barkomo, malédiction, pratiques de rituels ancestraux, croyances populaires et réincarnation se mêlent pour relater l'histoire de la création d'un village dogon, niché dans une grotte sur les falaises de Bandiagara, au Mali. Après dix ans de mariage, Yamiyo n'a pas enfanté. Elle autorise son mari à prendre une seconde épouse pour lui donner l'héritier qu'il désire. Mais, cela se retourne contre elle. Elle subit insultes et humiliations de la part de sa coépouse et de son époux. Elle décide, sans savoir qu'elle est enceinte, de se donner la mort. Par miracle, elle survit et se retrouve dans un village voisin, frappé par une malédiction pour avoir exécuté, il y a quelques années, un gaucher.
Celui-ci reviendra à la vie grâce à l'enfant que porte Yamiyo.
Cependant, le gaucher s'enfuit avec la promise du prince. Dans ce film, la place du surnaturel est indéniable et est le socle de l'histoire. Mais rien de bien surprenant, quand on sait que les faits se déroulent au 17e siècle. C'est d'ailleurs, la légende liée à la création de Barkomo qui est mise en images dans cette fiction. Boucary Ombotimbé, un des deux réalisateurs du film (le second est Aboubacar Draba) est natif du village. Ses us et coutumes, il semble bien les connaître. Mieux, y tenir, vu la manière dont il en rend compte dans le film.

"Les morts ne sont pas morts. Ils sont dans l'arbre qui frémit", clame le célèbre poète Birago Diop. Il est pris au mot par le cinéaste mozambicain Joao Luis Sol De Carvalho dans Mabata Bata. En adaptant la nouvelle de son compatriote Mia Couto, O Dia Em Que Explodiu Mabata Bata (Le jour où a explosé Mabata Bata), le réalisateur s'intéresse aux états d'âme des esprits que l'on évoque souvent lors de différentes cérémonies sur le continent africain. Il se penche, ainsi, sur celui d'Azaria dont l'esprit est invoqué lors de la cérémonie de dot de la fiancée de son oncle Raul. Donnera-t-il sa bénédiction ? Pour répondre à cette question, Joao Luis Sol De Carvalho raconte au spectateur l'histoire de ce jeune berger orphelin qui rêvait d'aller à l'école en donnant la parole à son esprit. Un
exercice qu'il aborde, de manière originale, en répondant à une autre question : comment incarner l'intangible ?

La cinéaste marocaine Selma Bargach reste, elle aussi, dans le domaine de l'intangible en abordant la question des enfants dits indigo. Ils auraient des pouvoirs surnaturels, notamment le don de prédire l'avenir. Dans Indigo, c'est le cas de Nora. L'adolescente de 13 ans entretient des rapports difficiles avec sa mère et se fait souvent maltraitée par son frère. En cause, ses dons et son "étrange" comportement qui mettent mal à l'aise son entourage, à l'exception de sa tante. C'est elle qui semble appréhender le mieux le malaise de cette adolescente pour le moins habitée. Bargach souligne, entre autres, l'incompréhension qu'inspire ceux et celles qui "fricotent" avec les esprits. D'autant qu'ils sont souvent les seuls à qui ils se manifestent.

Les amis des esprits deviennent souvent des incompris. Le commun des mortels a toujours du mal à appréhender l'invisible, voire l'inexplicable. La situation dans laquelle se trouve le héros de Karma, réalisé par l'Egyptien Khaled Youssef, relève de ces phénomènes qui laissent interrogateurs. Adham, riche homme d'affaires égyptien, rêve chaque nuit d'un alter ego, Watany vivant dans les quartiers pauvres du Caire sur des terrains qu'il compte acquérir pour un grand projet. La culpabilité expliquerait-elle ce
dédoublement de personnalité ? C'est l'une des thèses de son thérapeute soufi. En explorant les tensions sociétales qui traversent la société égyptienne - le fossé entre riches et pauvres ou encore l'intolérance entre chrétiens musulmans -, Youssef décrypte la façon dont les traumatismes d'une vie affectent le psyché d'un homme qui a, en apparence, tout pour être heureux. L'ésotérisme affiché de Karma est porté par une production très hollywoodienne où luxe, glamour et sens de la famille s'entremêlent pour le plus grand plaisir des spectateurs. L'extraordinaire performance de l'acteur principal du film, Amr Saad qui incarne quatre personnages, nous rappelle pourquoi nous aimons tant le cinéma égyptien. Et, au delà, le cinéma africain.

Falila Gbadamassi (France-Bénin)
Annick Rachel Kandolo (Burkina Faso)






Africiné Magazine, No4, Samedi 02 mars 2019, page 5 /// 26è FESPACO

Ce magazine est publié par la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC / AFFC). La publication a été rendue possible grâce au soutien de l'OIF, Africalia Belgium, le Goethe-Institut et l'Ascric-B. Il est réalisé par un collectif de 43 journalistes provenant de 22 pays.

Directeur de Publication : Khalil Demmoun

Comité de Rédaction
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LES 43 PARTICIPANTS À L'ATELIER DE LA CRITIQUE AU FESPACO 2019
1. Abou ADAM (Côte d'Ivoire)
2. Anita AFATCHAO (Togo)
3. Charles AYETAN (Togo/ Bureau FACC)
4. Marco Ibrahima Sory BAH (Guinée Conakry)
5. Alceny Saïdou BARRY (Burkina-Faso/ASCRIC-B)
6. Abraham BAYILI (Burkina-Faso/ASCRIC-B)
7. Eugénie BILLA (Burkina-Faso /ASCRIC-B)
8. Aboubakar CISSÉ (Burkina-Faso /ASCRIC-B)
9. Rodéric DÉDÉGNONHOU (Bénin)
10. Khalil DEMMOUN (Maroc, Bureau FACC)
11. Espéra DONOUVOSSI (Bénin/ Bureau FACC)
12. Sahar EL ECHI (Tunisie)
13. Salimata FOFANA (Mali)
14. Falila GBADAMASSI (France / Diaspora)
15. Cornélia GLÉLÉ (Bénin)
16. Youssoufa HALIDOU HAROUNA (Niger), Commissaire Facc
17. Victor KABRÉ (Burkina-Faso /ASCRIC-B)
18. Polly KAMUKAMA (Ouganda)
19. Annick Rachel KANDOLO (Burkina-Faso /ASCRIC-B)
20. Alassane KÉRÉ (Burkina-Faso /ASCRIC-B)
21. Marcel KPOGODO (Bénin)
22. Renate LEMBA MUKOKO (RD Congo)
23. Aïssatou LY (Sénégal)
24. Nadege MBABAZI (Rwanda)
25. Josué MÉHOUENOU (Bénin)
26. Mwenda MICHENI (Kenya)
27. Souley MOUTARI (Niger)
28. Robert Garikai MUKONDIWA (Zimbabwe)
29. Ruth MYGNOLET SANDZOU (Gabon)
30. Yero Hamel N'DIAYE (Mauritanie)
31. Pélagie NG'ONANA (Cameroun/Bureau FACC)
32. Chinyere OKOROAFOR (Nigéria)
33. Aliou OURO TCHITCHIRI (Togo)
34. Fatoumata SAGNANE (Guinée / Commissaire FACC)
35. Sid-Lamine SALOUKA (Burkina-Faso/ Formateur)
36. Yacouba SANGARÉ (Côte d'Ivoire / Bureau FACC)
37. Annick SEDSON (Madagascar)
38. Fatou Kiné SÈNE (Sénégal/ Bureau FACC)
39. Ahmed SHAWKY (Egypte)
40. Rachel SOMÉ (Burkina-Faso /ASCRIC-B)
41. Pierre Patrick TOUKO (Cameroun)
42. Franklin UGOBUDE (Nigéria)
43. Patrick Hervé YOBODE (Bénin)

Mise en page : Korotimi Sérémé
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