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143 rue du désert
Contempler la poussière du temps algérien
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 15/06/2021
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine et Afrimages
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine et Afrimages
Hassen FERHANI, réalisateur algérien
Hassen FERHANI, réalisateur algérien
Malika (dans une scène du documentaire)
Malika (dans une scène du documentaire)
Scène du film
Scène du film
Le relai de Malika (scène du film)
Le relai de Malika (scène du film)
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film

LM Documentaire de Hassen Ferhani, Algérie / France, 2019
Sortie France : 16 juin 2021

Les cinéastes algériens s'aventurent volontiers vers le sud pour y camper leurs histoires. Amin Sidi-Boumédiène y traque le fantôme d'un terroriste pour Abou Leila, 2019, après Merzak Allouache et le héros perturbé d'un village sahélien de Vent divin, 2018, précédés par Karim Moussaoui qui suit l'incartade esquissée d'anciens fiancés au désert, dans la deuxième partie de En attendant les hirondelles, 2017.



Animateur, à ses débuts, de la structure Chrysalide à Alger, pour promouvoir le jeune cinéma algérien, Hassen Ferhani a été le compagnon de route de Karim Moussaoui.
Ici, il s'engage à son tour vers le sud pour un nouveau documentaire. Après avoir ausculté les anciens abattoirs d'Alger avec Dans ma tête un rond-point qui l'a fait connaître en 2015, le réalisateur reprend sa caméra et signe 143 rue du désert, déjà primé à Locarno, Séoul ou Tunis en 2019.

Hassen Ferhani prend la Nationale 1 et fait halte au croisement de la route de Timimoun qui contourne le plateau du Tadmaït vers le nord, et la route de Ain Salah, au sud, vers le Hoggar. C'est là que dans une cabane qui semble isolée, se tient une sorte de café, bordé par une terrasse de 4m2, où officie Malika. C'est une femme d'un certain âge, plantureuse, un rien désabusée. Elle vend aux clients qui passent, des cigarettes, un thé, du thon en boîte ou une omelette qui est son plat unique.
Dans son café de 20m2, Malika accueille un imam en voyage, une routarde qui explore le désert en moto, un groupe de musiciens de retour d'un festival, des camionneurs familiers de la route et même l'écrivain Chawki Amari qui l'a présentée à Hassen Ferhani. Malika offre à ses visiteurs un relai d'humanité en plein désert. Elle écoute mais reste peu diserte sur son passé et les circonstances qui l'ont conduite là. Sous le regard attentif du réalisateur, des rencontres choisies du quotidien, on perçoit des douleurs passées, le besoin de s'éloigner de la ville, le désir de Malika de se retrancher sans cesser de communiquer.

La caméra de Hassen Ferhani est patiente, attachée à suivre des moments de vie de Malika, éclairés par ses visiteurs. Elle se plaint de changements qui surviennent dans les environs avec la construction d'un commerce plus grand, pas très loin, tout en déplorant l'harmonie perdue à cause de l'accroissement des richesses. Les prises de position de Malika, appuyées par son charisme fort, impressionnent durablement l'objectif. Hassen Ferhani exploite des plans larges, fixes, où il semble ne rien se passer mais où frémit l'humanité de Malika et ses interlocuteurs. Ses rencontres sont révélatrices. "Elle sait écouter comme personne", observe le réalisateur. "De nombreux clients n'hésitent pas à lui confier des pans de leur histoire." Les scènes intimes d'intérieur contrastent avec l'immensité du désert environnant.
La Nationale 1, longue de 2300 kms, traverse le sud algérien jusqu'à la frontière du Niger. Elle est aussi dénommée la "transsaharienne", vestige de la "route de l'unité africaine" imaginée dans les années 1960, pour relier le Maghreb à l'Afrique subsaharienne. Au cœur de cette épine dorsale, le relai de Malika reçoit les voyageurs qui vont jusqu'à Tamanrasset comme ceux qui remontent vers Alger. Ce lieu de passage où le temps se suspend, a impressionné Hassen Ferhani après avoir lu un texte de Chawki Amari qui l'a guidé sur place. Le réalisateur joue sur le contraste entre le désert venté et la boutique étroite de Malika où il place adroitement sa caméra. Les scènes aux axes immobiles, sont révélatrices des mouvements intimes d'une femme brisée par les coups du sort, qui récupère sa liberté par la solitude, les échanges choisis, la détermination à suivre son propre temps.

Le film est surtout une affaire de rythme, d'espace, de personnages d'où émerge Malika. "Pendant plus d'un mois et demi, nous avons fait chaque matin les 70 kilomètres qui nous séparaient d'elle", confie Hassen Ferhani, flanqué d'un preneur de son. "Je déterminais mon cadre et j'attendais le surgissement." Ainsi se dessine un portrait de femme, mais aussi la captation intense d'une vie algérienne en suspens, résolument posée dans le désert. Et le montage judicieux permet au cinéaste de construire un univers personnel et vibrant.
Il bénéficie d'une production française qui aide le film pour circuler à l'international avant sa sortie en salles. Hassen Ferhani se révèle comme un observateur pertinent d'un monde habité mais précaire, tangible mais évanescent. Son documentaire pourrait se lire sans doute comme la métaphore, peut-être visionnaire, d'une société algérienne à la croisée des chemins. Une image qui surgit au fil des scènes où s'impose Malika, "une femme forte, qui écrit son histoire dans un lieu où ne vivaient que des scorpions avant qu'elle ne s'y arrête", pointe Hassen Ferhani. Invitation à faire halte avec elle, 143 rue du désert où scintillent les poussières du temps, et du désert algérien.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine

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