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Nabil Ayouch : "Une religion bien apprise et une culture bien transmise peuvent tout à fait coexister"
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 17/07/2021
Nabil Ayouch, réalisateur marocain
Nabil Ayouch, réalisateur marocain
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Scène du film "Haut et fort", avec Anas Basbousi
Scène du film "Haut et fort", avec Anas Basbousi
Scène du film "Haut et fort"
Scène du film "Haut et fort"
Scène du film "Haut et fort"
Scène du film "Haut et fort"
Nabil Ayouch, réalisateur de "Haut et fort"
Nabil Ayouch, réalisateur de "Haut et fort"

Le cinéaste marocain a présenté Haut et fort (Casablanca Beats) en compétition de la 74 e édition du Festival de Cannes. Entretien.

Haut et fort, dites-vous, est votre film le plus autobiographique. Vous nous avez raconté les origines du projet : c'est la Positive School lancée par le rappeur Anas Basbousi au centre culturel Les Etoiles de Sidi Moumen ouvert en 2014 par votre Fondation Ali Zaoua. Mais il semble que vous avez fait ce film un peu pour vous aussi compte tenu de votre rapport au rap, une musique qui vous a bercé ?
Nabil Ayouch : Chaque fois que je fais un film, c'est avant tout pour exprimer un point de vue, un regard que je porte sur le monde. Après, on espère toujours qu'il va être partagé le plus largement possible et perçu dans toute sa multiplicité et sa complexité.
Par ailleurs, je viens d'un centre qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celui-là. C'est la vérité vraie. C'est surtout un centre dans lequel j'ai vraiment appris à regarder le monde. Je m'y suis construit, j'ai appris à m'aimer. Quand on grandit comme moi, avec deux identités, deux religions, deux cultures, deux nationalités et qu'on nous répète qu'on ne peut qu'avoir qu'une seule identité, cela peut devenir très rapidement une source de perte de confiance en soi. Et puis, à un moment, grâce aux arts et à la culture, j'apprends à me connaître et surtout je comprends que ce n'est pas une peine d'avoir plusieurs identités. Au contraire, c'est une richesse.



C'est à partir de ce constat que vous avez décidé de créer des centres culturels par le biais de votre fondation ?
C'est exactement pour cela parce que j'ai vu que ça pouvait changer des vies humaines. J'ai vu la différence, par exemple, entre mes copains de Sarcelles (banlieue française où le cinéaste franco-marocain a passé son enfance, NDLR) qui ont fréquenté la même maison de la culture que moi et ceux qui étaient dans la rue à ce moment-là. Je vois là où sont aujourd'hui les uns et les autres. C'était évident pour moi que cette jeunesse avait besoin de cela. Ils ont besoin de cet accompagnement. Sans ça, ils manquent d'oxygène. Quasiment. Après, c'est leur rêve et leur énergie qui sont portés
En outre, je crois aussi à la notion d'exemplarité. J'ai vu dans les banlieues françaises que quand il y en avait un qui arrivait à sortir du lot - un chanteur, un acteur ou un sportif - tous les gamins derrière se disaient qu'ils peuvent aussi y arriver.

Dans Haut et fort, c'est la première fois que vous dirigez un ensemble aussi vaste. Comment avez-vous abordé la mise en scène et travaillé cette musicalité ?
Dans ce film, il y a toujours cette volonté d'aller chercher la forme, la proposition de cinéma. Oui, c'est un film musical mais c'est aussi un film social et politique. J'avais envie de rester très proche d'eux, des corps, des visages et des paroles. J'avais envie de rester dans une forme très naturaliste, et là, se posait la question de comment filmer le slam, le rap, la chorégraphie et la danse en sortant des codes de la comédie musicale classique. J'ai cherché - c'est ce que j'aime au cinéma - j'ai creusé comme un chercheur d'or. Quand on creuse, on ne sait pas ce qu'on trouve et quand on le trouve. Mais à un moment ça apparaît et là ça a duré trois ans et demi. J'ai filmé beaucoup d'images avec mes directeurs de la photo, Virginie Surdej et Amine Messadi, juste pour voir, pour essayer d'appréhender tout cela et voir comment entre la classe, le débat, la danse, le chant et l'intime, on fait un film.
Et le groupe, oui, il était aussi large parce qu'il était constitué quand je suis arrivé : c'est la Positive School créée par Anas. Moi, j'ai juste essayé de venir, avec beaucoup d'attention et d'intérêt pour eux, trouver ma place dans ce groupe. À un moment, je me suis demandé s'il n'y avait pas un ailleurs quelque part, d'autres jeunes qui pourraient interpréter ces rôles. Mais, en fait, ils étaient déjà là. C'est ce qui est beau dans cette classe : ils partagent une énergie depuis des années.

Avez-vous casté tous les jeunes de la Positive School ou en avez-vous choisi quelques-uns ?
C'est toute la classe, rejointe par une personne ou deux issues d'un casting que j'ai fait dans tout le Maroc. Mais, au final, je suis revenu à cette énergie de groupe qui existait déjà.

En parlant d'énergie, une scène de votre film marque les esprits, peut-être parce qu'elle s'apparente à une transe collective. Comment parvient-on à ce genre de scènes avec ce groupe dont vous parlez ?
C'est beaucoup de travail parce que le film est avant tout une comédie musicale : ça chante, ça danse. C'est un genre un peu particulier. Comme tous les numéros dans une comédie musicale, cela demande des répétitions et des mois de travail. Avec un chorégraphe, avec Anas, au niveau de l'écriture des textes avec les gamins, bien en amont, et les compositeurs qui sont venus pendant deux mois et demi pour faire la bande-originale. Il y a tout cet aspect que l'on ne voit pas forcément dans le film parce qu'on a l'impression que c'est une réalité brute, filmée telle quelle.

Ali Zaoua, prince de la rue, Whatever Lola Wants, Les Chevaux de Dieu et même Razzia : l'attention aux jeunes est une des constantes de votre filmographie. Pourquoi cet intérêt pour la jeunesse ? Pensez-vous que c'est la période reine de la construction d'un être humain ?
Complètement. En tout cas, c'est la période où je me suis le plus construit. Je trouve que les jeunes portent en eux l'avenir du monde. Je crois qu'il y a une part du petit enfant en moi qui n'a jamais véritablement grandi et qui essaie, le plus possible, de protéger sa part de naïveté et d'inconscience.

Vous l'avez récemment fait dans Razzia. C'est important de revenir sur la thématique de la religion et de souligner qu'elle constitue une problématique complexe dans le monde arabe, au Maroc, afin d'éviter tous ces raccourcis que l'on fait trop souvent ?
Il y a beaucoup de gens qui veulent opposer la religion aux arts. On l'entend d'ailleurs dans le film, des gens qui veulent faire croire que les arts et la culture sont incompatibles avec la religion. Je pense tout à fait le contraire : une religion bien apprise et une culture bien transmise peuvent tout à fait coexister.

Falila Gbadamassi, correspondante spéciale

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