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Festival de Cannes 2021 : "Titane" de Julia Ducournau, Palme d'or du jury de Spike Lee
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 19/07/2021
Palme d'Or 2021
Palme d'Or 2021
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Julia Ducournau, Palme d'Or 2021, réalisatrice française
Julia Ducournau, Palme d'Or 2021, réalisatrice française
Scène du film "Un Héros" de Ashgar Farhadi (Iran), Grand Prix 2021 ex æquo
Scène du film "Un Héros" de Ashgar Farhadi (Iran), Grand Prix 2021 ex æquo
Grand Prix 2021 ex æquo
Grand Prix 2021 ex æquo
Prix de la mise en scène 2021
Prix de la mise en scène 2021
Prix du scénario, Cannes 2021
Prix du scénario, Cannes 2021
Prix du Jury (ex aequo), Cannes 2021
Prix du Jury (ex aequo), Cannes 2021
Scène du film "Le Genou d'Ahed", de Nadav Lapid (Israël), Prix du Jury (ex aequo), Cannes 2021
Scène du film "Le Genou d'Ahed", de Nadav Lapid (Israël), Prix du Jury (ex aequo), Cannes 2021
Renate REINSVE, actrice norvégienne, Prix d'interprétation féminine (Cannes 2021)
Renate REINSVE, actrice norvégienne, Prix d'interprétation féminine (Cannes 2021)
Caleb LANDRY JONES, acteur américain, Prix d'interprétation masculine (Cannes 2021)
Caleb LANDRY JONES, acteur américain, Prix d'interprétation masculine (Cannes 2021)
Caméra d'or (Prix du Meilleur Premier film)
Caméra d'or (Prix du Meilleur Premier film)
Palme du court métrage, Cannes 2021
Palme du court métrage, Cannes 2021
Mention spéciale (Court métrage), Cannes 2021
Mention spéciale (Court métrage), Cannes 2021

Le palmarès dévoilé par le jury de la 74e édition du Festival de Cannes atteste de la singulière richesse des approches cinématographiques proposées à travers le monde par des cinéastes déterminés.

Titane de Julie Ducournau a décroché le 17 juillet 2021 la Palme d'or de la 74e édition du Festival de Cannes dont le jury a été présidé par le réalisateur afro-américain Spike Lee. La Française est devenue la deuxième femme - après la Néo-Zélandaise Jane Campion qui l'avait remporté avec La Leçon de piano en 1993 - à repartir avec la récompense suprême du Festival de Cannes. La Palme d'or a couronné le récit d'une relation improbable et déjantée entre un pompier (Vincent Lindon) et une tueuse en série, à qui la comédienne française Agathe Rousselle prête littéralement son corps, qui se fait passer pour le fils de ce dernier.
Ce film de genre, qui est à la fois dur, drôle et tendre, a divisé la Croisette. Les uns l'ont trouvé "trop violent", d'autres "vain" et certains l'ont tout simplement "adoré". Mais c'est le jury qui avait le dernier mot.

Julia Ducournau, en recevant son prix, a indirectement réagi à l'agitation qu'avait provoquée son long métrage. Expliquant qu'elle avait longtemps cru que les films primés à Cannes étaient "parfaits", elle a constaté : "Ce soir, je suis sur cette scène et je sais que mon film n'est pas parfait".
"On dit même (...) qu'il est monstrueux", a-t-elle ajouté en remerciant le jury, à travers le prix qui lui était décerné, d'appeler ainsi à "plus de diversité dans nos expériences au cinéma et dans nos vies". "Merci au jury de laisser rentrer les monstres", a conclu la réalisatrice française. Les jurés ont expliqué leur choix lors de la conférence de presse qui a suivi la cérémonie de clôture. "C'est le premier film où une Cadillac met une femme enceinte (…) C'est de la folie", s'est extasié Spike Lee. "Nous avons vu 24 films (…) On savait qu'il fallait prendre une décision", a précisé le président du jury. "Nous avons appris à ne pas être d'accord". Et Spike Lee d'insister : "Je suis heureux des prix que nous avons remis". Son jury a, entre autres, attribué deux prix ex æquo.

Le premier d'entre eux est le Grand Prix. Il a été décerné à Ghahreman (Un Héros) de l'Iranien Ashgar Farhadi et Hytti NR°6 (Compartiment N°6) du cinéaste finlandais Juho Kuosmanen. Le premier suit les pérégrinations de Rahim dont le comédien Amir Jadidi dépeint avec brio les zones d'ombre. Emprisonné parce qu'il n'a pas pu honorer une dette, Rahim est prêt à tout pour recouvrer la liberté. Y compris à se laisser embarquer dans un tourbillon de semi-vérités pour redorer son blason.

Quant au film de Juho Kuosmanen, il embarque le spectateur dans un voyage en train aux confins de la Russie, à la suite d'une jeune femme (Seidi Haarla) qui veut découvrir les célèbres pétroglyphes dans la région de Mourmansk (extrême nord de la Russie). En attendant, elle doit partager son compartiment avec un homme qui, a priori, ne semble pas des plus sympathiques. L'héroïne de Hytti NR°6, fiction rythmée entre autres par l'entêtant et célèbre tube "Voyage, voyage" de la chanteuse française Desireless, n'imagine pas encore les surprises que lui réserve son périple.

Le Prix de la mise en scène est allé au superbe Annette du Français Leos Carax. Dans cette comédie musicale où il est question de l'histoire d'amour tourmentée de deux artistes, Henry (Adam Driver dont Carax a fait du corps un instrument au service de sa mise en scène) et Ann (Marion Cotillard), le réalisateur prend le spectateur par la main de bout en bout en lui proposant une réflexion à la fois sur le couple, la pression médiatique que subissent les stars et la façon dont elles gèrent leur vie privée, notamment quand elle concerne leur progéniture. Tout cela est servi par une envoûtante bande-originale composée par les frères Ron et Russel Mael qui ont reçu le prix, en l'absence de Leos Carax empêché.
Annette, le film d'ouverture de cette 74e édition du Festival de Cannes, semble avoir donné le ton à une sélection 2021 où la musique occupe une place prépondérante dans les différents récits, soit à travers la bande-originale, soit dans la vie des protagonistes des fictions proposées.

Drive My Car du Japonais Hamaguchi Ryusuke est parti, lui, avec le prix du scénario. Le film raconte l'histoire d'un acteur et metteur en scène (Hidetoshi Nishijima), qui dans le cadre d'une résidence artistique, doit renoncer à conduire sa sublime voiture rouge - un personnage à part entière du film -, à laquelle il est très attaché. Il laisse le volant à une chauffeure (Toko Miura), embauchée pour l'occasion, tout en travaillant à l'adaptation d'Oncle Vania du dramaturge russe Anton Tchekhov avec un casting qui dialogue plusieurs langues. Drive My Car rappelle ainsi combien l'émotion qu'elle véhicule suffit à la compréhension d'une œuvre. C'est cette émotion à laquelle ont été sensibles les jurés du Festival de Cannes en accordant le Prix du jury à Memoria du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul dont la vision unique, parfois inaccessible, s'est de nouveau exprimée en terre colombienne. C'est aussi par l'intensité d'une œuvre courageuse, à savoir celle du film israélien Ha'Berech (Le Genou d'Ahed) de Nadav Lapid, que les jurés ont été touchés. Critique sans concession de la politique de l'Etat d'Israël, Ha'Berech qui prend des allures d'autofiction était justement le film le plus politique des œuvres en lice pour la Palme d'or.

Du côté des comédiens, le prix d'interprétation féminine est revenu à Renate Reinsve dans Verdens Verste Menneske - Julie (en 12 chapitres) - du Norvégien Joachim Trier. L'actrice illumine la reconstitution, en 12 chapitres, des évènements qui ont façonné la vie d'une jeune femme qui tente de donner du sens à son existence. Son personnage, indécis mais solaire, contraste avec celui de Nitram, qui donne son titre au film de l'Australien Justin Kurzel et qui vaut à l'Américain Caleb Landry Jones, le prix d'interprétation masculine. L'acteur livre une vraie performance en confrontant le spectateur au psyché de l'auteur de la tuerie de Port-Arthur, en Australie. Une tragédie qui a conduit le pays à légiférer sur les armes à feu au milieu des années 90.

L'édition 2021 du Festival de Cannes restera historique pour la place faite aux femmes. Le jury de Spike Lee, auquel la cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop participait, était à majorité féminin et le palmarès général a salué le travail de plusieurs réalisatrices. De la Caméra d'or (récompense attribuée aux premiers films), décerné à Murina de la Croate Antoneta Alamat Kusijanovic (présenté à la Quinzaine des réalisateur), à la Palme d'or de Julia Ducournau en passant par la Palme du court métrage décrochée par la Hong-Kongaise Tang Yi pour Tian Xia Wu Ya (Tous les corbeaux du monde) et de la Mention spéciale obtenue par le court métrage de la Brésilienne Jasmin Tenucci, Céu de Agosto (Le Ciel d'août).

Deux films africains étaient en compétition pour cette 74e édition du Festival de Cannes, Lingui, les liens sacrés du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun et Haut et Fort du Marocain Nabil Ayouch qui a marqué les esprits sur la Croisette. Ils ne figurent pas au palmarès dont Spike Lee a failli tout de suite révéler le clou, provoquant l'hilarité générale.
A l'instar de Dora Tillier, la pétillante maîtresse de cérémonie, tous les jurés sont venus à son secours, notamment Tahar Rahim qui s'est finalement assis auprès de Spike Lee pour veiller à ce que le palmarès soit rendu public dans le bon ordre afin de maintenir le traditionnel suspense.

"J'ai raté mon truc", s'est excusé plus tard le réalisateur américain lors de la conférence de presse du jury. Mais qui pourrait lui en vouloir d'avoir, malgré lui, fait le show ? Le quiproquo qui a quelque peu perduré durant la cérémonie de clôture est digne d'une scène de cinéma.
Le palmarès 2021 a récompensé des œuvres au profil singulier attestant de la volonté de leurs auteures et auteurs de donner à voir leur vision du monde. Une fois encore, la fête du cinéma était belle et d'autant plus appréciable qu'elle intervient dans un monde à jamais bouleversé par la pandémie liée au Covid-19.

Falila Gbadamassi, correspondante spéciale

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