LM Documentaire de Dieudo Hamadi, RDC / France / Belgique, 2020
Sortie France : 29 septembre 2021
Dist. (France) : Latérit
La ténacité des protagonistes de En route pour le milliard de Dieudo Hamadi, fait écho à celle du cinéaste, labellisé par la sélection officielle du Festival de Cannes 2020. Depuis qu'il s'est fait reconnaître, Hamadi excelle à saisir les réalités de la RDC avec des documentaires édifiants. De Atalaku, 2013, à Kinshasa Makambo, 2018, sa caméra se faufile habilement dans les rues, entre les groupes divers. Entretemps, il tourne Maman Colonelle, 2017, sur une femme commissaire, forte et militante, chargée de la protection des femmes et des enfants, dans l'est du Congo. C'est là que Hamadi filme une délégation de l'Association des Victimes de la Guerre des Six Jours, venue la consulter.
Le groupe lutte pour la reconnaissance du conflit sanglant ayant frappé Kisangani, redistribuant des vivres, organisant un "théâtre du souvenir". Car la guerre civile qui déchirait la RDC de 1998 à 2003, opposait l'armé loyaliste de Kabila dans l'ouest, aux rebelles de l'est, divisés entre le Rassemblement Congolais pour la Démocratie, appuyé par le Rwanda, et le Mouvement de Libération du Congo, soutenu par l'armée de l'Ouganda. Et quand ces deux forces tentent de s'emparer de Kisangani, ville stratégique, voisinant des mines d'or et de diamant, la population en fait les frais.
Les combats provoquent des centaines de morts, de blessés, entre le 5 et le 10 juin 2000. Les dégâts sont considérables et traumatisants. Le réalisateur, né dans cette ville, se rappelle : "Je me souviens des cadavres jonchant les rues, dévorés par les chiens, je me souviens de l'odeur fétide, des chagrins de nos voisins, de la joie de ceux qui se découvraient encore en vie".
Sa rencontre avec les membres de l'Association des Victimes le motive à les défendre. "Cette tragédie n'était pas seulement tue, mise à distance, mais elle semblait effacée des mémoires", déplore le cinéaste. Et lorsque les rescapés, handicapés, décident de se rendre à Kinshasa, en 2018, pour faire reconnaître leurs droits, ils préviennent Hamadi qui entreprend de les suivre pour filmer En route pour le milliard.
Les Victimes se rendent au cimetière où reposent plus de 1000 morts, pour un hommage. Après des discussions passionnées, leur bureau décide qu'une délégation de 12 personnes, parte à Kinshasa pour réclamer leurs indemnités. On prépare le voyage, compliqué par les soins et les prothèses. Parallèlement, des scènes de théâtre jouées par les Victimes, ponctuent les vues sur le vif et leur font écho. La délégation embarque dans un bateau bondé. Les Victimes se heurtent à l'inattention des autres passagers. "On ne vaut rien pour nos familles", déplore une femme sans bras. Mais le bateau affronte des orages qui endommagent ses bâches. On fait escale pour réparer, échanger des marchandises. Chants et danses réchauffent le cœur car "le voyage est dur", d'autant que les pluies redoublent, mettant l'embarcation en péril.
"Que devons nous faire pour être écoutés", se demandent les Victimes sur scène. Car en 2018, même si l'Ouganda a été condamné à payer, rien n'a été versé. Kinshasa est en pleine période électorale. Les Victimes veulent porter une lettre au président de l'Assemblée Nationale mais les militaires les refoulent, comme le réalisateur empêché de filmer. "La guerre ne concerne pas l'ONU", leur rétorque ensuite une responsable, semant le découragement et le doute dans la délégation décimée. Tandis que les élections du 30 décembre 2018, plébiscitent l'opposant Félix Tshisekedi, les sept Victimes qui restent se sentent en suspension. Comme dans le drame théâtral qu'interprètent leurs acteurs.
"Ce film est une aventure humaine où les protagonistes, bien que lourdement handicapés, sont mus par une rage de vivre inaltérable, décidés à regagner leur dignité au sein d'une société qui les ignore", résume Dieudo Hamadi. Il capte leurs échanges, leurs démarches, avec vivacité et précision en soulignant : "Je veux célébrer leur témérité, leur ténacité, leur abnégation à se battre pour leur avenir." Sans lâcher ses personnages, il pointe des travers de la société congolaise, la pauvreté ambiante, la débrouille impérative, l'omniprésence de la police…
La sublimation du handicap, des blessures, de l'injustice, est relevée par l'action des Victimes au théâtre, créant une distanciation par rapport aux plans du voyage. C'est une des premières incursions de la fiction devant la caméra de Dieudo Hamadi. "Mon cinéma s'oppose à une esthétique fondée sur l'empathie et la compassion", estime le réalisateur congolais, aidé par une coproduction française, belge et de nombreux fonds internationaux. En route pour le milliard lutte ainsi contre l'oubli cultivé en RDC. "Enfouir la vérité, c'est aussi rendre impossible l'avènement d'une société de paix, réconciliée avec elle-même et avec son passé", affirme Dieudo Hamadi, filmant des Victimes en marche résolue vers la reconnaissance et la visibilité.
Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine
