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El Maestro Laba SOSSEH
Gloire, désespoir et chavirement d'une légende
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 06/10/2021
Bassirou Niang est rédacteur à Africiné Magazine
Bassirou Niang est rédacteur à Africiné Magazine
Maky Madiba Sylla, co-réalisateur sénégalais
Maky Madiba Sylla, co-réalisateur sénégalais
Lionel Bourqui, co-réalisateur suisse
Lionel Bourqui, co-réalisateur suisse
Laba Sosseh (1943-2007), chanteur gambien & sénégalais
Laba Sosseh (1943-2007), chanteur gambien & sénégalais
Djibril Gaby Gaye, journaliste et animateur musical
Djibril Gaby Gaye, journaliste et animateur musical
Ousmane Noël Cissé, directeur artistique du Grand Théâtre National (Dakar)
Ousmane Noël Cissé, directeur artistique du Grand Théâtre National (Dakar)
Mame Sira Konaté, journaliste sénégalaise
Mame Sira Konaté, journaliste sénégalaise
Pierre Gomis, producteur du dernier album de Laba Sosseh
Pierre Gomis, producteur du dernier album de Laba Sosseh
Alioune Diop, journaliste culturel
Alioune Diop, journaliste culturel
Pape Fall, chanteur sénégalais
Pape Fall, chanteur sénégalais
Pascal Dieng, chanteur sénégalais (Africando)
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Scène du film, avec Moustapha Kamara
Scène du film, avec Moustapha Kamara
Alassane Ngom, guitariste sénégalais
Alassane Ngom, guitariste sénégalais
Denzy Sosseh, fils de Laba Sosseh
Denzy Sosseh, fils de Laba Sosseh
Laba Sosseh
Laba Sosseh
Laba Sosseh, à Abidjan
Laba Sosseh, à Abidjan
Laba Sosseh, à Abidjan, avec des proches
Laba Sosseh, à Abidjan, avec des proches

Une légende tombée dans les abysses de l'oubli qu'il faut ressusciter pour la postérité. C'est en somme le défi relevé par Maky Madiba Sylla avec son co-réalisateur, Lionel Bourqui, journaliste et monteur à la télévision Suisse Romande.
El Maestro Laba Sosseh (L'histoire du plus grand salsero africain) - 2021, documentaire, 70 min, Sénégal / Suisse - refait le portait historique d'un artiste dont ses pairs et témoins de son époque louent le génie. Il s'agit du chanteur Laba Sosseh (parfois crédité Laba Socé) que la gloire par le talent a longtemps placé au centre des attentions - et par glissement, sur un genre musical - puis profané par le déclin. Au point qu'on pourrait se demande si ce film n'est pas une impossible tentative d'exhumation d'une mémoire ensevelie moins par la souillure du souvenir que par l'indifférence de notre temps.
D'une durée de 1h10, produit par Linkering Productions (Dakar), le long métrage documentaire est sorti en 2021, après six longues années de parturition. Il lustre la mémoire du Premier Disque d'Or africain, une distinction glanée en 1980.

Ce documentaire recherche-t-il les traces laissées sur la carte par un génie de la chanson (afro)cubaine ? Un genre musical arrivé sous nos tropiques grâce aux disques 78 tours traînés dans leurs bagages par les marins entre les années 1940-50. Sans risquer une réponse formelle, ça y ressemble fort bien. Ce sont des traces d'une époque post-indépendance d'une Afrique "libérée" des affres du colonialisme occidentale, dont la jeunesse cherchait les marques de son épanouissement, quelque part, sur les pistes de danse. Avec à la clef, une génération d'artistes de la trempe de Laba Sosseh qui poussèrent la chansonnette jusque dans l'imitation des maîtres, à l'image de ceux de l'Orchestra Aragon.



C'est une page historique artistiquement lumineuse dans laquelle se retrouve le nom de ce Sénégambien qui conquit les cœurs de ses compatriotes à Banjul, avant de poser son baluchon dans la capitale sénégalaise, sur les conseils de l'animateur Djibril Gaby Gaye. Il pourra ainsi achever de convaincre enfin qu'il est une voix qu'il faudra désormais prendre en compte dans un paysage musical au sein duquel ceux qui cherchent leur chemin passent chez l'incontournable feu Ibra Kassé, maître du mythique temple nommé Le Miami, célèbre discothèque dakarois. Ce night-club verra défiler de jeunes talents encore dans l'approximation et qui finiront par conquérir l'Afrique et le monde.

Les réalisateurs usent de la technique du split consistant à mettre (ou superposer) à l'écran deux ou trois images ramenant à la même réalité. Une option que l'on remarquera tout au long de ce documentaire. Les images panoramiques de lieux géographiques, marquées par des indications temporelles, informent sur la linéarité du récit.
Il y a la Gambie, lieu premier, lieu de naissance de Laba Sosseh. Abidjan est aussi présent, puisque le président Houphouët-Boigny, charmé par le génie de ce chanteur salsero, l'y invita joyeusement.

Mais le premier chavirement de cette voix majeure se fera non loin des côtes américaines, précisément à New York, renseigne le documentaire. Un séjour à New York, creuset de cultures, de croisement des sensibilités artistiques, rendu possible grâce au producteur Daniel Luxac. Puis survient l'étape de Paris pour mettre en boîte quatre titres de l'homme qui "avait dans sa voix quelque chose de nostalgique", selon l'expression de l'un de ses compagnons, le soliste Yakhya Fall. "Il reprenait les chansons des Cubains et leur donnait sa touche personnelle, à tel point qu'on avait l'impression que ce sont ces derniers eux-mêmes qui en sont venus à reprendre les titres de Laba", s'émerveille-t-il.
"Un style, une démarche vocale propres à Laba" comme le magnifie dans le film Alioune Diop, journaliste et spécialiste des questions musicales.
L'usage d'archives photographiques et audiovisuelles donne plus d'intensité au récit. Surtout, elles donnent à voir les premières années à succès de l'artiste hors pair. Elles permettent d'entendre sa voix claire et posée lorsqu'il parle de sa musique.



Le film revient sur les témoignages par une alternance de gros plans sur des visages familiers - comme pour en surprendre l'émotion qui s'en dégage - de la sphère musicale et radiophonique, et sur lesquels on peut facilement poser des noms comme Djibril Gaby Gaye cité ci-haut, Jules Guèye, Michael Souma, Balla Sidibé, Pierre Gomis, Ndongo Thiam, l'Ivoirienne Thérèse Taba, l'ancien ministre de la culture Abdou Latif Coulibaly. Et aussi Cheikh Tidiane Gadio, ministre des Affaires étrangères sous Wade. Ce dernier facilitera le pèlerinage à La Havane, lieu subliminal de ce genre musical qui ravagea Laba. Un voyage qui fut essentiel à la carrière de l'artiste.
Il y a surtout les mots de sa dernière femme, Mariétou Goudiaby qui soulignera l'humanisme d'un homme refusant de vivre l'indifférence devant la misère de ses semblables. Et enfin ceux de Demba Denzy Sosseh, l'un de ses nombreux enfants, né au Pays des Lagunes [la Côte d'Ivoire], respectueux de l'héritage de son père, quand bien même il a choisi le rap pour s'exprimer. Dans la discographie du fils, on peut surprendre une reprise du fabuleux titre "El Divorcio".

Dans la progression du récit, déserté de temps en temps par la voix off, arrivent les images des moments de la douleur, du déclin après la gloire. Comme symbolisé par cette scénarisation de la maladie du chanteur débusquée par la caméra sur une page d'un journal people assez lu, montrant tristement un homme rongé par son mal, dont la voix a pansé tant de plaies, éloigné tant de désespoirs, apaisé tant de cœurs. Un homme oublié de l'État et de ceux qui lui sont redevables, suppliant l'aide des autorités publiques, de ses amis et âmes sensibles afin de faire face à ses frais d'hospitalisation. Une image dégradante - un étalement médiatique, si l'on peut dire - qui suscita la colère à peine contenue de Djibril Gaby Gaye, affecté. La journaliste ayant mené l'entretien étale sa bonne foi, arguant que c'est Laba Sosseh lui-même qui a fait appel à elle.

Cependant, il faut souligner que le documentaire, l'on ne sait par pudeur des réalisateurs ou par choix esthétique, ne s'attarde pas trop sur ce moment de désolation sur un lit d'hôpital. Il ne manquera pas tout de même de poser l'objectif sur ces instants photographiés d'un téléthon qui permit d'amasser la somme de 17 millions 500 mille FCFA [environ 26 678 euros]. Cela, hélas, n'empêchera pas la survenue de la mort de la légende salsero le 20 septembre 2007. Corbillard dans le cimetière musulman de Dakar, derniers témoignages émotifs… et des regrets : "Il est dommage qu'il ne soit pas allé jusqu'au bout de son talent", dira Daniel Luxac. Lui, ce salsero, paraphrase par le ministre Cheikh Tidiane Gadio, affirmant que "la salsa, "c'est notre musique recyclée par l'histoire qui nous est revenue".

Ce documentaire a bénéficié de l'appui du Fopica (Fonds de Promotion de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle) et de la collaboration de la RTS (Radio-Télévision du Sénégal), de la RTI (Radio-Télévision Ivoirienne). Il est intéressant en ce sens qu'il interroge nos consciences sur la nature de nos rapports avec notre mémoire de façon générale. Cependant, ses concepteurs auraient pu davantage élargir la recherche documentaire et étudier les connexions et influences suscitées par la carrière de l'artiste dans certains pays d'Afrique traversés par la mode (musicale) afro-cubaine, puisqu'il y est question du Premier Disque d'Or du continent.

par Bassirou NIANG

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