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Dieudo Hamadi : "Il est fondamental de commencer à rassembler nos mémoires"
Le cinéaste congolais sort son film En Route pour le milliard
critique
rédigé par Sidney Cadot-Sambosi
publié le 07/10/2021
Sidney Cadot-Sambosi est rédactrice à Africiné Magazine
Sidney Cadot-Sambosi est rédactrice à Africiné Magazine
Dieudo Hamadi, réalisateur congolais
Dieudo Hamadi, réalisateur congolais
Scène du film
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Projection du film à Carthage (JCC 2020) avec le cinéaste (en Visio).
Projection du film à Carthage (JCC 2020) avec le cinéaste (en Visio).

En Route pour le milliard, le dernier documentaire du réalisateur congolais Dieudonné Hamadi sort le mercredi 29 septembre dans les salles, en France.
De Kisangani à Kinshasa, il suit l'épopée des membres éclopés de l'association des victimes de la Guerre des Six Jours, en route pour demander réparations et reconnaissance auprès des autorités kinoises. Le documentariste multi-primé capture encore une fois la mémoire à vif de la République Démocratique du Congo (RDC) à travers une traversée pour la dignité d'un groupe solidaire résolu à obtenir justice. La caméra restitue avec respect la force de ces personnes déterminées, ni héroïnes militantes, ni victimes passives, en même temps qu'il rend hommage au chant optimiste de leur persévérance. C'est une odyssée pour la dignité des rescapés congolais de la Guerre des Six Jours.

En lice dans la sélection officielle du Festival de Cannes et lauréat du prix Gilda de Vieira Mello au FIFDH en 2020, il est en sélection officielle du 27e Festival Panafricain du cinéma et de la télévision de Ougadougou (Fespaco) au Burkina Faso.
De passage à Paris pour la promotion du film, la rédaction a eu le plaisir de rencontrer ce cinéaste d'exception.

Entretien avec Dieudonné Hamadi.



EN ROUTE POUR LE MILLIARD de Dieudo Hamadi - bande-annonce from laterit productions on Vimeo.


Dieudonné Hamadi, vous êtes originaire de Kisangani et avez également survécu à la Guerre des Six Jours. Pourtant il aura fallu 8 films avant de traiter ce sujet à l'écran. Ce film est-il né d'un projet de longue haleine ou est-il le fruit de rencontres ?

Dieudo Hamadi : Je dirais que c'est plus une histoire de rencontres parce que, pendant plusieurs années, cette guerre m'est sortie de la tête. Je crois même qu'il était nécessaire, pour tout le peuple congolais, d'oublier, un moment, ce traumatisme pour pouvoir avancer. Je n'ai pas échappé à ce processus. Juste après la fin de la guerre, avec ma famille, nous avons dû fuir la ville. Nous nous sommes installés à Goma. Depuis, nous ne sommes plus revenus à Kisangani. Jusqu'au jour où j'y suis retourné pour filmer une policière partie de Bukavu pour Kisangani afin de lutter contre les violences sexuelles [colonelle Honorine Munyole, film Maman Colonelle, 2017]. Alors que nous étions dans son bureau, j'ai vu arriver un groupe d'éclopés, de mutilés qui se sont présentés à elle comme étant des rescapés de la Guerre des Six Jours. C'est seulement à ce moment-là que je me suis souvenu de cet épisode atroce que j'avais aussi vécu. Aussitôt, je me suis rendu compte que ce n'était pas normal que cette histoire fut passée sous silence toutes ces années. En effet, plus personne n'en parlait, le pays entier semblait l'avoir effacé de sa mémoire. J'ai alors eu un cas de conscience, je crois même que j'ai eu honte. Ma famille et moi n'avons pas été marqués physiquement par la guerre, c'était donc plus facile pour nous de l'oublier. Nous l'avons échappée belle, si je peux dire.

C'est à ce moment-là que le projet du film a réellement démarré ?

Dieudo Hamadi : Oui, en effet. Ces personnes qui se tenaient devant moi, elles, ne pouvaient pas occulter cette guerre, tout simplement parce qu'elles la portent encore dans leur chair. Certaines sont amputées d'un membre, d'autres ont subi des sévices corporels aux conséquences irréversibles. J'ai pensé que la meilleure façon, en tant que cinéaste, de parler de cette tragédie et de rendre hommage à ces rescapés qui font vivre la mémoire de cette guerre, était de les suivre pour faire un film avec eux. J'ai donc pris leur contact. Nous avons beaucoup échangé.

Le voyage sur le fleuve Congo a-t-il été organisé avec vous ?

Dieudo Hamadi : Non. Quelques mois plus tard, ils m'ont informé de leur projet de voyage vers la capitale, Kinshasa, depuis Kisangani, pour réclamer des réparations. J'ai tout de suite compris que l'événement était exceptionnel. Il a fallu mobiliser très rapidement le peu de ressources matérielles, financières et humaines pour retourner à Kisangani et préparé ce voyage avec eux. Cette traversée m'a semblé être l'unique occasion pour raconter de manière vivante ce conflit complétement occulté et effacé des mémoires.

Comment avez-vous vécu ce voyage, cette épopée ?

Dieudo Hamadi : C'était une expérience très particulière. La RDC est un pays vaste. Presque 2 000 kms séparent Kisangani de la capitale. Le seul moyen de relier les deux villes, pour la majorité des Congolais, est d'emprunter le fleuve Congo en bateau. Je n'avais jamais fait ce trajet avant. Alors, quand j'ai su que nous allions faire le voyage par bateau, j'ai d'abord fantasmé : j'ai cru que ça serait l'occasion de faire des beaux plans, avec de superbes paysages, et de découvrir cette partie du pays que je ne connaissais pas. Seulement, je me suis vite aperçu qu'il ne s'agissait pas d'un vrai bateau, j'entends par là un bateau destiné au transport de voyageurs, sécurisé et adapté aux contraintes imposées par le trajet. J'ai découvert que la majorité des Congolais des couches socio-économiques les moins favorisées, empruntent des embarcations de fortune pour voyager de Kisangani à Kinshasa. C'est-à-dire juste une barge sans cabine, sans abri, qui flotte, avec des personnes dessus, exposées aux intempéries. Ça a été un choc pour moi. J'ai tout de suite réalisé que j'aurais des problèmes pour recharger mes batteries et mettre à l'abri mon matériel.

À quel point ce voyage était-il dangereux ?

Dieudo Hamadi : Ce n'est qu'une fois arrivés à Kinshasa que j'ai pris conscience de la dangerosité de notre périple. Pendant la traversée, non seulement nous étions à la merci des intempéries mais nous redoutions aussi une épidémie. La proximité entre les cinq cents personnes embarquées et le manque d'équipements pour maintenir notre hygiène, était une source d'angoisse. Cela sans compter les problèmes techniques nous contraignant à bricoler le moteur tous les soirs. Les membres de l'association des victimes de la Guerre des Six Jours ont également été choqués de ces conditions de voyage. Ils ont reçu en plein visage la misère de la grande majorité des Congolais, qui, même s'ils sont valides, ne s'en sortent pas mieux qu'eux. Cette réalité-là les a apaisés d'une certaine manière : ils n'étaient pas les seuls à être des laissés-pour-compte, puisque quasiment toute la population du Congo l'est. Ils réalisaient avec calme que ce pays-là ne pouvait pas grand-chose pour eux finalement. Après la traversée, ma relation avec eux a aussi changé : j'étais devenu un membre de leur famille désormais car nous avions pris les mêmes risques. Nous n'en avons pas discuté entre nous, mais c'est ce que j'ai ressenti. La réalité les a dépouillés de leurs illusions et fantasmes : ils mesuraient enfin toutes les difficultés qui les attendaient à Kinshasa.

Quelle est votre intention lorsque vous filmez les répétitions de la pièce de théâtre créée par les membres de l'association des victimes de la Guerre des Six Jours, qui semblent chapitrer les différents moments du film ? Cette intention est-elle née pendant l'écriture ou plus tard ?

Dieudo Hamadi : C'est un dispositif auquel j'ai pensé très tôt parce que j'ai découvert une troupe de théâtre au sein de l'association qui s'appelle "Les Zombies de Kisangani". Ce nom m'intriguait beaucoup et j'ai compris que le voyage s'articulait autour de la pièce de théâtre qu'ils étaient en train de monter. En somme, cette pièce a été conçue comme un porte-voix pour rassembler le plus de monde possible dans les rues de Kinshasa, afin de sensibiliser la population à leur histoire et à la guerre qui éclata le 5 juin 2000.
J'ai tout de suite filmé les répétitions car il y avait un bel enjeu à exploiter. La pièce de théâtre allait-elle réussir à émouvoir les kinois et à rendre leur combat plus audible dans la capitale ? J'ai filmé ces représentations avec l'intention de créer un contraste entre cette parole projetée depuis une scène noire éclairée, et leur vie quotidienne. Cela m'a permis d'épaissir leur combat. Malheureusement, les élections présidentielles de 2018, très tendues dans la capitale, ont rendues impossible les représentations publiques dans les rues. Dès lors, je me suis dit que l'enjeu que j'avais projeté ne tenait plus. Or, au moment du montage, j'ai vu que ce qui se passait pendant les répétitions était assez fort pour l'intégrer dans le récit. Toute la question était désormais de savoir comment les intégrer. Le résultat est assez simple : nous avons intercalé les instants du quotidien avec les passages de théâtre en fonction des résonnances de sens.

Avez-vous réussi à projeter le film à Kinshasa et Kisangani ? Si oui, quelle a été la réaction du public ?

Dieudo Hamadi : Oui, nous l'avons projeté à Kinshasa et Goma dans le cadre de deux festivals de cinéma, respectivement Fickin (Festival International de Kinshasa) et Yolé!Africa. Quand il s'agit de la réception de mes films sur le continent africain, comme toujours, le public se divise en deux. Ça a été le cas après la projection d'En Route pour le milliard dans ces deux villes. Il y a ceux qui sont touchés et considèrent ce film comme nécessaire puisqu'il ravive la mémoire du Congo. Les autres pensent que ce film est problématique car il donne à voir au monde entier l'état de délabrement du pays, renforçant les préjugés misérabilistes. Le débat s'est concentré sur la question suivante, qu'est-ce qui doit le plus inquiéter les Congolais : la réalité compliquée dans laquelle nous vivons ou les images qu'on en fait ? J'ai l'habitude de ce genre de remarques et de débats après chacun de mes films.



Quels sont les arguments exposés pendant ces débats ?

Dieudo Hamadi : Je suis toujours confronté à certaines critiques qui me reprochent d'exposer la "plaie" de la RDC, ces mêmes critiques reconnaissant que la situation est dramatique et qu'il est important d'en parler. En effet, je pense que ce n'est pas en nous cachant que nous pourrons résoudre nos problèmes. Même si je pense que les films n'ont pas vocation à résoudre quelques problèmes que ce soient. Ils existent et ont valeur de documents. Ils renseigneront ceux qui le voudront et, j'espère, les générations futures. C'est déjà ça.

Je le redis ici : la chose la plus précieuse, que nous avons perdue au Congo et plus généralement en Afrique, c'est la mémoire. Cette rupture avec notre mémoire, le fait qu'on ne se souvienne plus de qui nous sommes et de qui nous avons été, c'est ce qui nous a plongé dans l'obscurité et a fait de nous des égarés.
C'est pourquoi, je pense qu'il est fondamental de commencer petit à petit, à nous documenter, à rassembler nos mémoires. Ce film, et plus globalement tout mon travail cinématographique, peut servir à entretenir notre mémoire, c'est le plus important. C'est scandaleux de laisser des évènements terribles, qui ont eu des conséquences irrévocables sur notre destin, se dissoudre dans le néant. Le peu de mémoire qu'il nous reste est constituée par les non-Africains, qui l'ont écrite et transmise à notre place. Cela est dangereux à mes yeux.

D'une manière générale, le travail de mémoire est très important, surtout pour mon pays le Congo. À travers mes films, j'ai choisi de constituer une sorte de mémoire collective contemporaine qui servira aux générations futures. Si certains veulent s'en inspirer pour changer les choses, j'en serais heureux.

Pouvez-vous nous donner un avant-goût de vos prochains projets ?

Dieudo Hamadi : Je prépare une mini-série avec Canal + qui convoquera notre mémoire, encore une fois, mais d'une façon originale. C'est une mini-série de six épisodes dont l'intrigue se déroule à Kinshasa. Parallèlement, j'écris un long-métrage de fiction qui évoquera un pan de notre histoire récente.

Propos recueillis par
Sidney Cadot-Sambosi

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