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ZINDER : Catalogués méprisés
Un long métrage documentaire d'Aïcha Macky, 2021, Niger, 81 minutes
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 19/11/2021
Bassirou Niang est rédacteur à Africiné Magazine
Bassirou Niang est rédacteur à Africiné Magazine
Aïcha Macky, réalisatrice nigérienne
Aïcha Macky, réalisatrice nigérienne
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Bawo
Scène du film, avec Bawo
Scène du film, avec Ramsess
Scène du film, avec Ramsess
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film

Il n'y a que la puissance de l'image pour ‘'conter'' l'histoire d'une communauté regardée sournoisement avec des yeux moqueurs et quelque peu teintés de ce que les sociologues appellent "la discrimination réciproque" déclinée en "eux/nous". Et quand c'est dans une entreprise du réel, ça procure le sens recherché. Ce long métrage documentaire d'Aïcha Macky (2021) est avant tout une conscience sur la condition humaine d'un no man's land d'un Niger infidèle aux rêves de réussite de sa jeunesse, et pire : démissionnaire.
Film en compétition aux JCC 2021.

Pour peu qu'on connaisse un bout de la littérature (américaine), on a vu Jack London parler du "Peuple de Londres", une bande de ratés, de loques humaines vivant le long des rails. On a vu, au cinéma, tout récemment, Ladji Ly "mettre" dans la gueule de sa caméra "Les Misérables". Ce n'est point une coutume, mais plutôt un croisement naturel dans la créativité artistique quand on tombe sur Zinder de la réalisatrice nigérienne Aïcha Macky. C'est une photographie touchante et troublante à bien des égards - pour inaugurer un regard critique sur l'opus - rendant crue l'austère existence d'un petit peuple d'âmes repoussantes. Elles sont entourées de préjugés, cataloguées avec mépris, même si dans les histoires que l'on en entend, certaines semblent avoir les contours d'une légende.



Zinder est une bourgade initialement vue comme une poubelle humaine accueillant les plus coriaces, les bannis, les rejetés, les lépreux, comme pour leur demander d'aller se chercher une identité autre. Mais laquelle ? Ce que les images de ce documentaire montrent ne permet pas de trouver la réponse. Cependant, la certitude est que ces images-ci restituent à chacun ce qu'il est. Ce kaléidoscope éclaté n'est pas offert au cinéphiles ou spectateur comme un spectacle de délectation. D'une part il y a une bande de jeunes gens respirant dans la violence, la drogue et le trafic de carburant. D'autre part, se trouve cette cohorte de "femmes libres" (prostituées) enracinée dans le vice, révoltée du regard extérieur et du snobisme des autorités. Et enfin il existe le petit clan de repentis cherchant, par volonté, la reconversion. Cette myriade est plutôt comme l'exposition d'un caractère (a)social recouvert pendant longtemps de la poussière de l'indifférence. Et que la documentariste a choisi d'essuyer pour y voir clair. "Pour la société, c'est comme s'il y avait un monstre enchaîné de l'autre côté", confiera Aïcha Macky.

À Kara-Kara, l'un des quartiers rebelles de Zinder, la (sur)vie ressemble à une épreuve de force. L'image de la bande de Sinia Boy, Bawo et Ramsess (la femme-homme), dans leur éternel lieu de musculation, en détient tout le symbole ; ainsi que l'histoire des "cicatrices". Zinder n'est-il pas le documentaire des cicatrices ? Et de quelles cicatrices ? De celles qui embellissent ou déshonorent ? Là n'est pas certainement la préoccupation de celui qui a l'œil rivé sur le grand écran blanc qui ‘'accouche''. La préoccupation est, on s'en doute, dans la compréhension de cette illégalité qui donne sens à une vie, sauve momentanément des dignités, rappelant qu'un sourire est possible malgré la tyrannie de l'opprobre face au sentiment, chez ces milliers de femmes et d'hommes, de n'être rien.
Comme dans un club virtuel de victimes anonymes, chacun parle de ses douleurs physiques : les batailles entre bandes à l'arme blanche, la décapitation d'une "femme libre" sans aucune enquête, le viol, la sensation d'être presque revenu d'outre-tombe… Surtout à Tudun James, le lieu du commerce sexuel où le mal est quasiment une norme de vie. Le documentaire retire la couverture jetée sur ces êtres et leur ouvre la porte de l'épanchement. Celle-là qui leur offre la sensation d'une humanité lorsque tout les éloigne de ce qui est convenu comme normal.
Un film du réel d'une grande sincérité, situé entre la force du préjugé et l'intention de rendre visible une (in)humanité (rafistolée).

Bassirou NIANG
(Sénégal)

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