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ENTERRÉS - Le tourment de la rédemption
un film de Françoise Ellong-Gomez, Cameroun
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 21/03/2022
Martial Nguéa (Yaoundé), rédacteur à Africiné Magazine
Martial Nguéa (Yaoundé), rédacteur à Africiné Magazine
Françoise ELLONG-GOMEZ, Scénariste et Réalisatrice camerounaise-béninoise-française
Françoise ELLONG-GOMEZ, Scénariste et Réalisatrice camerounaise-béninoise-française
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Anurin Nwunembom (Ndéwa)
Scène du film, avec Anurin Nwunembom (Ndéwa)
Affiche internationale
Affiche internationale
Film disponible dans les avions Emirates, depuis le 1er mai 2021
Film disponible dans les avions Emirates, depuis le 1er mai 2021
Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)

Le deuxième long métrage de la Camerounaise Françoise Ellong est un film de genre, typique d'un cinéma sans concessions. Ce fascinant huis-clos à ciel ouvert expose le drame de quatre amis sexuellement abusés par leur "ange gardien".

Il est des films qui passent trop discrètement dans notre actualité du petit monde du cinéma camerounais. La culture de l'absence des salles de cinéma, ainsi que la culture du mauvais cinéma diffusé et produit par de mauvais cinéastes, font passer de grandes œuvres sous l'éteignoir des projecteurs de l'actualité. Pourtant, réputé d'être un pays avec trop peu de productions de qualité ces dernières années, le Cameroun s'accroche irréversiblement à des films de facture très "classique".

Françoise Ellong-Gomez ne joue pas dans cette dernière catégorie. Son deuxième film ENTERRÉS fait un long chemin depuis sa sortie officielle en octobre 2020 à travers des salles et festivals dans le monde, dont le Fespaco 2021.
Après W.A.K.A. (2014), la réalisatrice propose un surprenant huis-clos et efficace comme on en voit peu chez nous. Une fois sorti de la projection, aussi surpris qu'ému, on plonge dans un questionnement sans pareil entre soi et les autres. La vilaine blessure de son enfance remonte.



Pour raconter son histoire, ENTERRÉS mobilise quatre amis d'enfance, tous élevés dans un orphelinat dirigé par un psychopathe sans doute. Ils sortent de l'enterrement de "Daddy", le prêtre de leur pensionnat où ils y ont vécu toute une enfance pleine d'histoires et d'atrocités individuelles. Sa mort donne à chacun l'occasion de faire son deuil, comme il est de tradition dans plusieurs sociétés africaines. Il s'agit de faire le procès au mort et de tirer définitivement le trait de la vie du disparu ; même s'il reste présent dans nos vies.
Ndewa est magistralement joué par Anurin Nwunembom, avec à ses côtés Lucie Memba Bos, l'héroïne de La Patrie d'abord ! de Thierry Ntamack. Il y a également Emy Bassong qui est une belle découverte tout comme Assala Kofane, ainsi que Denis Etouka jouant le bourreau de la confrérie.
C'est donc à ciel ouvert que le deuil de Daddy doit se faire. Un endroit où il est question de se libérer. Et pour cause, chacun d'eux même devenu adulte, cache les cicatrices encore visibles de sa rencontre avec Daddy. Entre les mots, le silence, les souvenirs, chacun a sans doute une verve anti-Daddy. Ils y ont pris de l'espace. Des vies troubles, des révélations fracassantes, des moments de tensions qui frisent la confrontation, le film est alors flamboyant dans sa couleur des mots et l'intensité du suspens. Françoise Ellong rentre ainsi dans l'intimité du spectateur, pour l'emporter dans son univers psychologique et onirique.

"Nsili awou" la rédemption

Le film tient ainsi son intensité dans cet assemblage des histoires autour du "maître protecteur", Daddy. Des histoires naissent d'un personnage à un autre. Le modus operandi du père violeur est révélé (attouchement sexuel sur mineur, homosexualité, agression verbale). Le film monte en révélations. Tout tourne autour de la blessure d'enfance. Ils ont tous subi le père. Personne n'était venu à leur secours. L'église a fait entrer les loups dans la bergerie. Le film montre alors l'impuissance de ces enfants à dénoncer, à se libérer de cette chape de plomb. Devenus grands, et comme l'exige la tradition du "Nsili awou" : littéralement "Demander le deuil", en ewando (langue du grand Sud Cameroun comprenant les régions du Centre, Sud et Est au Cameroun).

Françoise Ellong-Gomez n'oublie rien du procès du défunt. Elle colle les mots aux maux. De ces sombres souvenirs, elle coud la pitié avec le sens de la formule. Les vivants revisitent alors la vie du mort. Ils exultent le sens de sa contribution à la construction du monde. Outre ses origines que l'on dresse, on passe au peigne fin ses actes.
Le film entre dans une forme de théâtralité. L'espace réduit est révélateur de ce que les personnages cherchent l'once de la véracité et de leur propre identité. Et là, le cinéma éclaire. On peut comprendre dans ce tour d'émoi que la vérité n'est jamais facile d'accès. On peut traverser des chimères longtemps, à force des traques diverses, le fine vérité s'établit. Tout se joue entre les plans courts. On énumère tout. Au final, on dit au monde de quoi il est mort. L'héritage moral qu'il laisse à la société.

ENTERRÉS est un amas de révélations sur le rapport de chacun de nous à la spiritualité et à l'église. Les faits qui accablent l'église catholique et la pédophilie, pour rester dans la veine de l'actualité, sont un prétexte au propos et au point de vue du film. Il déterre les morts pour rendre la paix aux vivants.

Née à Douala (Cameroun) en 1988, Françoise ELLONG-GOMEZ est scénariste et réalisatrice. De parents Camerounais et Béninois, elle s'installe à l'âge de onze ans en France. Elle y écrit ses premières histoires dès ses quinze ans. De dix-huit ans à ce jour, Françoise ELLONG-GOMEZ a écrit et réalisé neuf courts métrages et deux longs métrages. En 2014, elle signe son premier film W.A.K.A inspiré de l'expérience des familles monoparentales et des jeunes de la rue engoncés dans la prostitution. Le film fait un parcours exceptionnel dans une trentaine de pays et remporte sept prix à l'international.
Sorti en novembre 2020, ce deuxième long métrage, Enterrés, confirme son talent à l'écriture et sa capacité à toucher des sujets forts sensibles et percutants.

Martial Ebenezer NGUÉA
Cinepress, Cameroun

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