Yuhi Amuli est un réalisateur, producteur, acteur rwandais. Il réalise principalement des courts-métrages de fiction très acclamés (prix et sélections internationales). Ainsi, son court métrage Kazungu avait remporté le prix du meilleur court métrage au Festival du Rwanda en 2019 (Kigali) et il était aussi nominé au Festival du Cinéma Africain de Louxor 2019, en Egypte.
À la 22e édition du Festival International du Cinéma Africain de Khouribga au Maroc, il nous a accordé une interview en prélude de la projection de son premier long métrage, A Taste Of Our Land ("Un morceau de notre terre", en français). Pour lui, il est important voire judicieux d'éveiller les consciences et de montrer aux africains, qu'il faut prendre leur destin en main. Présenté en Première Mondiale au Festival du Film Panafricain de Los Angeles (PAFF) en mars 2020, le film y a remporté le Prix du jury du Meilleur long métrage fiction. Il a ensuite été projeté dans divers autres festivals de cinéma à travers le monde et a remporté les African Movie Academy Awards (AMAA 2020) du Meilleur premier long métrage. A Taste Of Our Land est nominé pour le Prix du Public au 43è Festival International du Cinéma de Durban - DIFF 2022 (Durban, Afrique du Sud, 22 Juillet - 01 Août 2022). Il travaille sur Exodus, son prochain long métrage. ENTRETIEN.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?

Ce film a été inspiré par des faits réels et de par ma propre expérience, au temps où je travaillais dans une mine similaire au Rwanda. Et d'ailleurs la mine était dirigée par des Chinois. Plus le scénario avançait, plus je me suis rendu compte que c'est un sujet important. Le film est écrit suite à une frustration d'où le militantisme assumé.

Pourquoi le choix des personnages ? Que représente le duo : un jeune et un vieux ?

Celui du jeune Gangi était mon autre moi. Pour le vieux Yohani, c'était plus pour montrer un contraste entre deux générations. Le vieux qui a vécu la première époque et un jeune de la génération actuelle, autrement dit le colonialisme et le néocolonialisme.



L'impérialisme chinois gagnerait il du terrain au Rwanda ?

Je pense que oui. C'est assez insidieux d'ailleurs, ça ne se voit pas de façon très flagrante, mais oui, il gagne du terrain. Il y a un mois, un Chinois a crucifié des Rwandais (ça n'a pas fait beaucoup de bruits) ils sont bien implantés là.

Quid du partage du gâteau entre les supposés colonisateurs et ce néocolonialisme que vous nous montrez à travers les trois personnages ? Le Chinois dit à l'Anglais "on a été là, avant vous".

C'était le résultat des recherches que j'ai faites. Évidemment, quand j'avais commencé le script, il était important de faire des recherches et je me suis rendu compte que les Chinois étaient en Afrique depuis belle lurette. En plus du Chinois, il y a un Anglais et un Français, pour montrer cet aspect de "partage de gâteau". Le focus sur ces premiers, c'est juste qu'ils aient toujours vécu en Afrique mais le capitalisme n'avait pas gagné autant de terrain.



On se rend compte finalement, que le vieux ayant vécu le colonialisme se montre catégorique et décide d'avaler la pierre précieuse (l'or). Pourquoi l'avaler ? En quoi cette partie a été symbolique dans le film et surtout pour vous ?

L'idée était de mettre un lien entre le personnage Yohani [Michael Wayuwo, Prix Mohamed Bastaoui du Meilleur rôle masculin au Festival de Khouribga 2022] et la terre. Car lui-même se voit comme étant la pierre précieuse, car étant né et grandi là, il se dit que cet or lui appartient, il est sien. C'est une façon de combattre le néocolonialisme qui doit être une affaire de tous et favoriser le nationalisme.



Quelles leçons devrons nous tirer à la fin de A Taste Of Our Land ? On entend la réplique : "J'en ai marre de soudoyer les autorités". Est-ce une façon de pointer le doigt vers les politiques ? Autrement dit, le phénomène de corruption est un problème au Rwanda aussi ?

C'est un film avec un caractère assez politique, mais là il s'agit plus de la dignité des Africains. Ce qui est embrassant c'est de toujours parler s'il y a du néocolonialisme ou pas. Il est temps d'ouvrir les yeux et ne pas laisser les gens piller nos ressources. J'ai fait ce film pour alerter la population et surtout nos dirigeants.



Que pensez-vous du cinéma rwandais et des cinémas africains, de façon très générale ?

On essaie tant bien que mal de faire du cinéma, malgré le manque des fonds et une bonne industrie cinématographique. Il y a aussi le fait que certains producteurs vont vouloir vous imposer leur point de vue et te limiter, surtout les étrangers. J'ai l'impression que notre cinéma dépend de l'Europe, surtout de ce qu'ils pensent, veulent voir ou encore financer.



Des projets de longs métrages en vue ?

Beaucoup et pour très bientôt …

Propos recueillis par
Mbaye Laye Mbengue
à Khouribga, Maroc