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FICAK 2022, un cocktail explosif de films à Khouribga
Le Grand Prix à L'AUTOMNE DES POMMIERS (Maroc) et le Prix Paulin Vieyra de la Critique Africaine à OLIVER BLACK (Maroc)
critique
rédigé par Mbaye Laye Mbengue
publié le 26/07/2022

La 22e édition du Festival de Khouribga du 28 mai au 4 juin 2022 est un cocktail explosif de films : entre religion, patriarcat et misogynie, histoires et devoirs de mémoires, amour et passions.
Le jury officiel aussi bien que le jury critique et les cinéphiles ont eu le plaisir de regarder 13 films longs-métrages fiction en compétition officielle, venus du Maghreb, en Afrique Centrale en passant par l'Est et l'Ouest Africain, chaque film vient avec sa spécificité et son originalité.

Amour et Passions

The White Line, de Désirée Kahikopo-Meiffret (Namibie), pose le débat sur la question raciale et de l'Amour face aux préjugés. La réalisatrice analyse le passé séparatiste (apartheid), entre souffrances et traumatismes, comme son titre l'indique en français "La ligne blanche", autrement dit "l'interdit". Sylvia (jouée par Girley Charlène Jazama, qui remporte ici le Prix Amina Rachid de l'interprétation féminine, décerné par le Festival de Khouribga 2022) et Pieter feront face à la détermination de Ana déterminée à perpétuer l'héritage de "l'homme blanc à la femme blanche", est prête à tout pour empêcher cette relation. L'erreur de Sylvia, personnage principal, du film a été de tomber amoureuse d'un Blanc et encore qui s'avère être un "homme de tenue" (expression sénégalaise pour désigner les fonctionnaires en uniforme : surtout les policiers, militaires), synonyme de ceux qui réprimandaient les gens de peau noire.



Ce film nous montre comment cette société namibienne est aujourd'hui encore victime de l'héritage de l'apartheid. Il s'appuie sur une performance exceptionnelle des acteurs, des costumes d'antan à couper le souffle. La réalisation est puissante : ainsi un travelling qui montre constamment le danger. The White Line met à nue tous les préjugés sur la peau noire et blanche et montre que seul le véritable amour gagne, surtout quand il est sincère. Sylvia et Pieter ont-ils tourné la page, leur société a-t-elle tiré leçon d'une histoire d'amour intense transcendant toutes les difficultés ? Le débat sur le métissage excède le film et les seules sociétés africaines.

L'automne des Pommiers, de Mohamed Mouftakir (Maroc), remporte le Grand Prix Ousmane Sembène de cette 22e édition du festival de Khouribga. La pomme ou le fruit interdit est un film qui parle de par ses magnifiques séquences et ses couleurs, d'une population loin du centre-ville et de ses gratte-ciels, c'est un film où l'on ne voit que dunes et montagnes. On s'accroche aux premières secondes avec de l'eau coulant sur un arbre, on se croirait dans un récit ou un conte de fées, tellement les images sont captivantes et peuvent transporter le spectateur dans un monde idyllique. Entre refus de paternité et désillusion, le film relate l'histoire d'un homme déchu qui ne croit plus en l'Amour et qui pense avoir élevé un batard. Jeune garçon, innocent et frêle, le petit est déboussolé à l'idée de ne pas avoir un père proche de lui et d'une Maman inconnue. C'est un film qui nous montre également les étapes de la vie qui forge un homme avec 3 générations (vieillesse - adulte et enfance) un film avec autant de poésie imagée avec une réalisation impeccable le tout sur un décor authentique. Une mention d'honneur a été décernée à l'acteur marocain Mohamed Tsouli.



Bendskins ou les conducteurs de mototaxis, de Narcisse Wandji (Cameroun) est un clin d'œil à cette jeunesse qui, malgré toutes les péripéties de la vie, décident de gagner leur vie et dignement… avec des histoires différentes mais unies par un outil de travail. Le premier est foncièrement africain et perpétue l'héritage jusqu'à décorer sa moto avec des cornes en clin d'œil à Djibril Diop Mambéty comme dans Touki Bouki (1973). Le second, quant à lui, décide de voler et d'agresser. Enfin, le troisième est une conductrice, pour montrer que c'est un milieu qui n'a pas de genre. Le film nous montre un phénomène réel au Cameroun, entre mais aussi des histoires d'amour assez rocambolesques. Mais après tout, demeurent l'amour et la passion que l'on porte pour son métier.

Entre religion, sororité, patriarcat et misogynie

Mami Watta, de Christian Thiam (Sénégal) où le génie de l'eau n'est plus un mythe dans nos sociétés africaines. Delia est belliqueuse, rebelle et sensuelle, afin d'atteindre ses objectifs et se tirer d'affaires d'un système patriarcal. Avec l'aide de son amie Déguene (avec qui elle semble entretenir une liaison), elle fera tout pour arriver à ses fins. Se venger de son mari mais surtout pour montrer à son oncle et aux religieux qu'elle est une femme libre, émancipée, responsable qui veut vivre sa vie comme elle l'entende. Déterminée à mettre la lumière sur le décès de Jules (son mari), elle ne va hésiter à faire douter aux autres de son orientation sexuelle. Le film nous rappelle un peu Le prix du pardon - Ndeysaan (2001) du réalisateur Mansour Sora Wade où Yatma devra élever le fils de son meilleur ami Mbagnick, suite au meurtre prémédité sur ce dernier.



Dans Mami Watta, Délia devrait se soumettre aux ordres de son oncle (dans la société sénégalaise, l'on dit généralement que l'oncle est la Maman) car la lignée matrilinéaire est très forte, donnant le droit à l'oncle de donner des ordres et peser sur les choix de ses neveux. Ce qui laisse de marbre Délia, suite à la pression du Papa de Diégane, qui cherche coûte que coûte à les marier. Le film pose le débat de la condition de la femme dans la société africaine notamment sénégalaise et le pouvoir qui lui est conféré est parfois mis en péril au détriment des hommes. Délia, va leur montrer que le pouvoir va au-delà du genre en utilisant ses pouvoirs mystiques.

La Zambie est l'un des pays qui détient un taux de mariage d'enfants le plus élevé du monde. Le film Maria Kristu de Paul S. Wilo se demande comment s'imposer dans une société patriarcale faisant reposer le mariage sur des pratiques et de croyances. Pour sauver une fille, il faut l'initier dès le bas âge à être une femme à l'église. Sa place reste la maison, le champ et encore faire des enfants et se taire. Souvent marginalisées et laissées en rade, car n'étant plus vierges, d'autres sont victimes d'un lavage de cerveau par des femmes assez âgées qui leur ont toujours fait croire que la voie c'est rester chaste jusqu'au mariage.



Du haut de ses 16 ans, Buumba (interprétée par l'actrice Dyness Daisy Lungu) décide de mener ce combat pour libérer la parole et aider les jeunes filles suite au décès de sa meilleure amie. Son jeu impressionnant lui vaut la Mention spéciale interprétation féminine au Festival de Khouribga.
Ce film pose le débat sur un phénomène très présent en Zambie, à savoir les mariages d'enfants, les mariages forcés ou précoces, la mortalité maternelle mais aussi de la discrimination basée sur le genre et entre autres. C'était une occasion aussi de sensibiliser les gens sur les MST, IST surtout dans un milieu où bon nombre de femmes n'ont pas accès à l'école, s'y ajoute leur taux de pauvreté assez élevé.



Lingui, les liens sacrés, de Mahamat-Saleh Haroun (Tchad) nous montre le combat mené par les femmes dans la vie de tous les jours. Les hommes auraient tous les droits tandis que les femmes ne méritent rien, elles portent sur leurs épaules grossesse non désirée, viol, et excision, tout au profit des hommes. La sororité est bien mise en avant entre la mère et la fille qui feront tout pour arriver à leur fin. C'est le cas aussi de toutes ces femmes qu'elles ont croisées, comme la sœur de Amina qui refait surface après s'être séparée de sa grande sœur pendant des années. Avec un travelling qui montre incessamment, la rage, la détermination et surtout une envie de rendre justice, Amina ne peut compter que sur elle. Elle l'a bien comprise, car étant victime de cette société qui tende à répudier une femme célibataire avec un enfant. Ce qui fait d'elle une proie assez facile vu sa vulnérabilité. La révélation de Maria sa fille sur l'auteur de sa grossesse donne à la fin du film une grande tournure.

Histoires et devoirs de mémoires

Résister et réclamer son dû, l'oppression et le fait de bafouer les règles et droits sur les travailleurs de mine en Afrique ont déjà fait assez de mal, mais le déclic fut la découverte d'une pierre précieuse qui n'est autre que de l'or. A taste of Our land met l'accent sur le passé et le présent. Yohani représentant l'ancienne génération ayant vécu le colonialisme et Ghangi est la nouvelle génération vivant sous le signe du néocolonialisme. Le titre du film renvoie à l'amour qu'on porte à notre terre, celle qui nous a vu naître et grandir, celle qu'on chérit avec beaucoup d'amour et de passion. Le film pose le débat sur le "partage du gâteau" et comment les ressources sont pillées. Certes le personnage de Cheng est central : il illustre l'impérialisme chinois qui gagne du terrain en Afrique. Il est contrebalancé par des figures néfastes qui n'ont pas dit leur dernier mot. D'abord avec Donald le Britannique, "le sauveur" qui laisse croire que les Anglais étaient les venus premiers en Afrique. Ensuite il y a le prêtre, supposé protecteur face aux intentions de la France. Les religieux, soumis à la corruption, ne sortent pas indemnes du portrait décapant.



Au-delà d'alerter et d'alarmer sur ce phénomène, le Rwandais Yuhi Amuli (il signe là son premier long métrage) oblige à poser des stratégies et à les appliquer afin que les populations autochtones puissent bénéficier de leurs propres ressources. Il illustre la survie du peuple (le pays africain n'est pas expressément identifié) qui a longtemps été opprimé. Il met l'accent sur la dignité, le refus, l'humanité et la justice foncière, la lutte actuelle contre l'aliénation qui d'ailleurs concerne toute l'Afrique. Acteur principal du film, Michael Wayuwo Senior (Yohani) gagne le Prix Mohamed Bastaoui de la Meilleure interprétation masculine.

Hadath Fi 2, Talaat harb, de Magdy Ahmed Ali (Egypte) nous plonge dans un Egypte historique et dont son cinéma ne cesse de faire l'éloge. Quatre histoires, quatre étapes de la vie et un seul lieu. Tout se passe dans un appartement qui, au fil du temps, abrite divers inconnus. Le film commence avec des images d'archives, au temps de la célèbre chanteuse Oum Kalthoum et autres. Puis, vient la période des chemises cintrées et pattes d'éléphants. Les personnages changent, les costumes et décors évoluent. Il n'est pas fortuit qu'il soit distingué par le Prix Idrissa Ouédraogo de la Réalisation à cette 22e Edition du Festival de Khouribga.
Au-delà de la réalisation qui est d'ailleurs magnifique, le film nous montre les périodes les plus marquantes de l'Egypte et l'évolution de sa société jusqu'à la révolution du 25 janvier 2011. Nous rappelant ainsi une scène d'une jeune dame qui n'est au courant que son petit ami décédé lors des manifestations de ce soulèvement populaire entrainant la chute du pouvoir qui était en place. Une seule interrogation se pose, c'est qu'est devenue l'Egypte de nos jours ? Après avoir changé la perception que les gens avaient déjà de ce pays qui a été dirigé pendant plus de 30 ans avec une répression qui a causé des centaines de morts.
Une mention d'honneur a été décernée au regretté Samir Sabri, pour son rôle dans ce film. L'acteur, a participé dans des films tels que Les employés sur Terre de Ahmed Yehia (1985) ou encore Le Diable est une femme, de Niazi Mostafa (1972).



L'originalité de son thème, sortant des sentiers battus, a valu à J'irai au Diable, de Ismahane Lahmar (Tunisie), le Prix Spécial du Jury à cette 22e édition du Festival de Khourigba. La réalisatrice nous mène vers une introspection sur la mort. Si le mariage, la naissance, le baptême, et l'obtention d'un diplôme sont célébrés pourquoi ne pas en faire autant avec la Mort ? Surtout quand l'on apprend qu'il ne nous reste que 40 jours tout au plus. Najet l'actrice principale du film décide de célébrer sa mort. Mourir, oui mais entouré de ses proches et de ses gens à qui on voue un Amour indescriptible. Le film, est fait de plans magnifiques, sur un décor assez rustique au bord de la mer, et pose aussi l'importance de la famille comme bouclier important des aléas de la vie. Entre supporter les jugements de sa famille et autres, Najet quant à elle décide de vivre sa vie comme elle l'entende.

Oliver Black décroche le Prix Paulin Vieyra de la Critique Africaine, décerné par la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC). Le réalisateur Tawfik Baba (Maroc) a aussi gagné le Prix Don Quichotte, le prix des cinéphiles du Maroc et enfin une Mention spéciale pour l'image. Son film a été sélectionné par beaucoup de festivals (dont le Fespaco) et il a glané de nombreux prix. Cette fiction marocaine séduit, tant par sa photographie que par la composition de ses plans. Le jeu d'acteurs est assez fluide, ce qui n'était évident pour Modou Mbow (acteur novice interprétant "Vendredi"), pour sa première participation au cinéma. Le film aborde entre autres les thématiques de la vie actuelle. L'individualisme s'installe de plus en plus dans nos sociétés surtout africaines.



Le personnage appelé "Homme blanc" avait déjà prévenu Vendredi qu'il n'était pas l'homme qu'il pensait être. Vendredi, jeune homme sahélien voit le Maroc comme son eldorado. Son rêve est d'aller au cirque. Au cours de sa route, malgré les péripéties (manque de nourriture, eau, insécurité) ils rencontrent. Entre espoirs et rêves, le jeune homme fait la rencontre de "l'homme blanc" dont le souhait est d'assister au mariage de sa petite fille. Ce long métrage nous plonge dans le Désert ou arbres et vents s'entremêlent sur un sol argileux. Ce film est fait de tableaux sur tableaux avec beaucoup d'esthétisme et de costumes qui en disent long quant à l'environnement où se déroulent les événements et des classes sociales des deux individus le tout sur une route sinueuse et désertique. Cependant, la question se pose : ce film ne serait-il pas trop cliché face aux préjugés sur la peau noire ?

Massoud ! est signé par Emmanuel ROTOUBAM MBAÏDÉ (Burkina Faso), réalisateur d'origine tchadienne. Le Tchad fait partie des sociétés où la radicalisation a ouvert une ère de bouleversements sans précédents, notamment en Afrique. En seulement quelques années, tout a changé autour de nous et ce n'est que le début. Ce phénomène touche le monde entier mais spécialement l'Afrique Subsaharienne. Ce nouveau film traite de plusieurs thèmes d'actualité au Burkina Faso : entre autres la cohésion, la lutte contre l'extrémisme violent, les conséquences de l'insécurité, la collaboration des forces de l'ordre avec les citoyens. À l'endroit des populations vivant non seulement au Sahel mais aussi toutes les zones touchées par le terrorisme au Burkina Faso. Au-delà de tout ça, le film nous montre que les liens du sang priment avant tout et sont plus forts. Le réalisateur nous mène dans un monde ou la fibre humaine n'est pas insensible partout. Malgré le lavage de cerveau, Massoud n'aura pas réussi sa mission de tuer son père, se rappelant du fils dignitaire qu'il est, mais aussi d'avoir une mère qui lui a toujours apporté support et amour et une petite sœur magnifique. L'homme blanc quant à lui, rattrape par le passé décide de se sacrifier pour sauver sa fille qui jusque-là ne faisait partie de sa vie. Les dernières scènes du film sont presque muettes laissant aux cinéphiles, le soin de décortiquer et de comprendre les gestes (langage corporel). Massoud ! vient à point nommé, au moment où la radicalisation est en train de causer des dégâts avec ses préceptes violents et intolérants qui n'ont rien à voir avec la religion encore moins l'islam.

Quelques mentions sur d'autres films…

Entre chants, danses, costumes et décors, installations artistiques, l'on se croirait plus dans du cinéma expérimental. La nuit des Rois, de Philippe Lacôte (Côte d'Ivoire), n'a toujours pas fini de dire son dernier mot. Prix Samir Farid du Meilleur scénario à Khouribga 2022, il obtient également une Mention spéciale pour la troupe de chorégraphie et des chants, ce qui est une première.



Argu, de Omar Belkacemi (Algérie), porte sur la masculinité toxique. Ce phénomène réel est assez présente dans nos sociétés qui sont généralement conservatrices en plus de la culture. Un homme ne doit pas avoir des émotions, encore moins de les montrer. Il est appelé à être un homme et le caractère premier d'un homme c'est sa virilité.



Ce film algérien dégage amour, passion, mélancolie, nostalgie et désillusion. Ses scènes sont tantôt assez rythmées et d'autres avec une âme déchue comme celle de Koukou qui est traité de bizarre car étant différent des autres. C'est aussi un clin d'œil aux femmes des pays du Maghreb qui vivent dans une certaine oppression.

Mbaye Laye MBENGUE

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