AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 881 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
OLIVER BLACK ou le destin noir d'une humanité sans mémoire
Le premier long métrage de Tawfik Baba (Maroc) remporte le Prix Paulin Vieyra de la Critique
critique
rédigé par Sidney Cadot-Sambosi
publié le 27/07/2022
Sidney Cadot-Sambosi, Rédactrice à Africiné Magazine
Sidney Cadot-Sambosi, Rédactrice à Africiné Magazine
Tawfik BABA, réalisateur, scénariste et producteur marocain
Tawfik BABA, réalisateur, scénariste et producteur marocain
Scène du film, avec Modou Mbow (Vendredi)
Scène du film, avec Modou Mbow (Vendredi)
Scène du film, avec Hassan Richiou (Homme Blanc)
Scène du film, avec Hassan Richiou (Homme Blanc)
Scène du film, avec Ilham Oujri (Petite-fille de Homme Blanc)
Scène du film, avec Ilham Oujri (Petite-fille de Homme Blanc)
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène de tournage, avec l'actrice Ilham Oujri (rôle : Petite-fille de Homme Blanc)
Scène de tournage, avec l'actrice Ilham Oujri (rôle : Petite-fille de Homme Blanc)
Poster © Assia Ismaili
Poster © Assia Ismaili
Rabab Aboulhassani, productrice marocaine (7th Sense, Ouarzazate)
Rabab Aboulhassani, productrice marocaine (7th Sense, Ouarzazate)

Oliver Black est l'histoire de Vendredi, un jeune garçon noir africain venu du sud du Sahara, qui cherche à traverser le désert pour rejoindre le Maroc, afin de travailler dans un cirque. Sur son chemin, il fait la rencontre d'un vieil homme, "Homme Blanc", qui a perdu son chameau en voulant se rendre au supposé mariage de sa petite-fille. Après s'être apprivoisés l'un et l'autre, les deux hommes poursuivent leur voyage ensemble. Unis face aux difficultés qu'impose le huit-clos du désert, ils finissent par nouer une pseudo-relation parent-enfant, trouvant en l'autre compassion et réconfort dans les moments les plus douloureux…



Or, contrairement au destin d'Oliver Twist, celui de Vendredi connaîtra un dénouement tragique. Pourquoi une personne consent à quitter sa terre natale pour construire les rêves des autres, alors qu'il peut réaliser ses propres rêves chez lui ? L'auteur répond en explorant l'amnésie et l'acculturation, la dissolution des identités et des traditions, et enfin la cupidité des entreprises idéologiques. Une vision pessimiste digne des plus grandes fables littéraires contemporaines. Les enjeux de l'exil, de la marchandisation et de l'esclavage, ainsi que les groupuscules terroristes sont au cœur du film.

L'impossible fraternité entre des êtres sans identité

Tawfik Baba fabrique une fable inspirée des plus grands classiques littéraires et cinématographiques. S'il puise sa principale source d'inspiration dans l'histoire de Robinson Crusoé, il emprunte aussi des éléments dramatiques au célèbre Oliver Twist de Charles Dickens, en modifiant la trajectoire de ses personnages. Vendredi et Homme Blanc sont comme les deux faces d'une seule pièce. Stéréotypés à outrance mais à dessein - expressions enfantines et maquillage noir foncé pour Vendredi, rides et barbe fournie caractéristiques du sage universel pour Homme Blanc - ces deux êtres semblent n'avoir aucune racine, aucune identité. Jetés dans le monde clos de ce grand décor désertique à Ouarzazate, aux portes du grand Sahara, ils sont tous les deux à la poursuite de rêves qu'ils formulent dans une langue qui ne leur appartient même pas : le français.
L'un a quitté un pays lointain au-delà du Sahara, l'autre est un vieil homme Algérien ou Marocain vêtu comme un Turc des montagnes. Les pistes se brouillent de plus en plus quand on découvre la petite-fille d'Homme Blanc, habillée comme une Amazighe, une Berbère, le regard noir plein de reproches. Ces deux pantins semblent n'être articulés que par la langue de l'ancien occupant français, dans laquelle ils échangent des réflexions et des bribes de traditions et des rêves déformés par l'effacement de leur identité respective.

De quoi rêvent-ils donc ? D'un rêve qui fera le bien de l'humanité ou d'une sombre chimère qui fera son malheur ? Seul le flash-forward du début du film nous renseigne sur l'illusion de tout le récit. Illusion d'une amitié et d'un lien fraternel qui sauve de la nuit et de la mort. Hélas, entre Vendredi et Homme Blanc, il n'est question que d'histoires vraies et fausses, de légende, de mensonges et de mémoires sapées par l'idéologie de l'argent et de la religion.

Deux compagnons esseulés en quête de leur humanité

L'étrangeté de la relation entre nos deux protagonistes est inscrite dans l'iconographie du film qui s'inspire des westerns, notamment des plans larges de Sergio Leone et de l'ironie dont ce dernier teintait ses scénarii, comme dans Mon Nom est personne (1973). Ce qui lie Vendredi et Homme Blanc, c'est le vide et l'impossibilité de communiquer leur véritable histoire et parcours. La mère que ne cesse d'invoquer Vendredi, les discours que tient Homme Blanc sur l'importance des arbres, la beauté de l'existence tout cela pourrait passer pour un verbiage creux.
C'est sans compter la véracité des sentiments qui naissent entre ces deux hommes mais qui ne suffiront pas à les sauver d'une destinée qu'ils ne contrôlent pas, précisément car ils errent sans fondement, sans identité et presque sans valeurs.

Au fil du récit, nous apprenons que la mère que Vendredi invoque sans cesse est muette. Cette mère, c'est l'Afrique. Elle est l'allégorie d'un continent dont l'histoire est tue, dont les révoltes sont passées sous silence mais dont l'héritage ne peut être détruit. Il subsiste donc une lueur d'espoir pour ces êtres habités par les souvenirs et encore capables de troquer l'habit du mensonge pour celui de la sincérité. Tawfik Baba réussit à nous transmettre tout cela à travers une grande maîtrise de la mise en espace, de la complexité des costumes, des maquillages et accessoires qui nous plongent d'emblée dans un univers métaphysique. La parole est aussi capitale, c'est par ce médium que la morale est délivrée : "L'Afrique viole l'Afrique. L'Afrique doit construire l'Afrique". Les plans très rapprochés nous invitent à rentrer dans la psyché des personnages pour ensuite prendre du recul dans des plans très larges à hauteur d'homme ou en contre-plongée comme dans les westerns.

Avec peu d'artifices et une excellente maîtrise de la composition et du montage, le réalisateur nous invite à une réflexion collective, face à l'écran de projection qui se transforme petit à petit en un miroir magique, capable de révéler par l'image des vérités invisibles et nos souhaits les plus profonds…

Sélectionné en compétition officielle au Festival International du Cinéma Africain de Khouribga en 2022, le film remporte le Prix Paulin Vieyra de la Critique (F.A.C.C), le prix Don Quichotte ainsi qu'une Mention pour la meilleure cinématographie. Un début très prometteur pour un premier long-métrage entièrement auto-produit et la reconnaissance d'un grand cinéaste marocain en devenir.

Sidney Cadot-Sambosi

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés