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Rebel
Tragédie musicale sur la radicalisation
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 29/08/2022
Michel Amarger, rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger, rédacteur à Africiné Magazine
Adil EL ARBI, co-réalisateur
Adil EL ARBI, co-réalisateur
Bilall FALLAH, co-réalisateur
Bilall FALLAH, co-réalisateur
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL
Scène du film REBEL

LM Fiction de Adil et Bilall, Belgique / France, 2022
Sortie France : 31 août 2022 (Distribution : BAC Films)

C'est un sujet sensible, encore peu traité dans les fictions. La radicalisation qui a poussé des jeunes d'origine maghrébine, nés dans les banlieues européennes, à partir en Syrie puis à s'engager au sein des troupes de l'Etat islamique, a pris racine vers 2012. En retour, l'Europe a connu les attaques terroristes de 2015, 2016. Un des épicentres du mouvement est peut-être la commune de Molenbeek, en Belgique, où Adil El Arbi et Bilall Fallah situent Rebel, présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2022.
Les réalisateurs belges, aux origines marocaines, sont réputés pour leur style offensif, propulsé par Black, 2015, Gangsta, 2018, mais aussi pour leurs pilotes des séries Snowfall, 2017, ou Soil, 2021. Avant de s'affairer sur la sortie (a priori suspendue) de Batgirl, coproduit par la Warner, ils affirment leur sens du spectacle, voire du spectaculaire, avec Rebel, évocation ambitieuse de la radicalisation.



Kamal, rappeur et dealer croyant, coincé à Molenbeek, se reconvertit dans l'humanitaire et gagne la Syrie pour secourir les victimes du régime de Bachar el-Assad. Récupéré par un mouvement qui fait allégeance à l'Etat islamique, il se retrouve au front et filme des vidéos de propagande, avant d'être filmé en participant aux exécutions.
L'image fait choc dans Molenbeek où elle tourne sur les réseaux, frappant ses proches. Nassim, son petit frère qui l'admire, déconcerté, est approché par un recruteur qui fait briller l'aura de Kamal en héros religieux. Et Nassim veut partir le rejoindre. Leila, la mère, essaie de le retenir puis s'engage pour le retrouver. Le périple est semé d'embûches et les rencontres font choc. Chacun perd ses marques dans la violence du fanatisme.

L'histoire traite de rebelles à plusieurs niveaux. Il y a les combattants de l'Etat islamique, qualifiés de rebelles, Kamal qui se vit comme un rebelle, Nassim qui entre en rébellion, et puis ceux qui se rebellent contre l'EI. Les réalisateurs brassent ces destins en s'appuyant sur une base réaliste. "Nous avons été témoins de tout ce phénomène progressif impliquant toute notre génération. C'était une guerre très poche de nous, soudainement, alors qu'avant les conflits se passaient habituellement toujours sans nous, au loin", rappellent Adil et Bilall.
Alors ils ambitionnent de "faire un film qui soit aussi comme un document historique, quelque chose d'assez complet. L'évolution de l'Etat islamique et les horreurs que leurs membres ont commises, il fallait essayer d'en faire comprendre la complexité." Inspirés par la situation de la Belgique, particulièrement Molenbeek, qui a fourni l'un des plus grands pourcentages de combattants à l'EI, ils observent la manière dont l'engagement en Syrie paraît combler un vide : "Là-bas, on leur dit qu'ils vont exister, qu'ils vont faire partie de quelque chose de grand, d'important, qu'ils vont être des héros".



Rebel s'attache à des personnages, issus d'une famille dont le père est absent, pour souligner leur vulnérabilité, évitant la démonstration sociale au profit de la fiction. Kamal représente les jeunes qui s'engagent par idéalisme, et se retrouvent pris dans un système oppressant. Le sort de Nassim montre comment le discours sur l'islam est manipulé pour embrigader les jeunes. Face à ça, la mère personnifie le désarroi des parents belges mais aussi la résistance comme l'illustrent ses démarches. De l'autre côté, l'épouse que les islamistes offrent à Kamal, en Syrie, évoque la condition des femmes, utilisées comme des armes de guerre, des trophées, des corps violés et méprisés.
Ces destins s'affirment en circulant entre les territoires, les cultures, nourris par le vécu des cinéastes : "Nous avons grandi en tant que personnes d'origine marocaine nées en Belgique", confient-ils. "On porte un autre nom, on n'est pas exactement physiquement comme les autres. Alors on se cherche, on cherche une identité claire." Cette quête pousse les personnages à se démarquer pour se trouver : "On raconte ça dans tous nos films : ne jamais savoir où est notre place. C'est vraiment le cas des personnages de Rebel. Ils ne savent pas exactement où ils doivent être, alors ils prennent l'identité la plus extrême, comme ça c'est clair, on sait où on est." Élan qui les pousse dans un piège, en Syrie où l'arabe local se mêle à l'arabe marocain, à l'accent belge…

De Molenbeeck au désert, Adil et Bilall brassent les images chocs, les assauts rudes, les combats destructeurs, cadrés par leur opérateur de prédilection, Robrecht Heyvaert, déjà actif sur leur précédent Bad boys for life, 2020. Les plans de la Belgique, aux maisons et aux ciels gris, contrastent avec la luminosité du désert. "On va vraiment dans un autre monde, celui de la Syrie qui est un territoire de western. Ils n'ont pas de chevaux, ils ont des motos ! On a filmé ce Far West qui n'a rien de mythique, sans rien enjoliver", racontent les cinéastes qui reconstituent les combats de l'EI, ses exactions, avec vérisme et puissance.
Le son des assauts est poussé comme dans les films de genre. "Il fallait avoir des moments où l'on n'est pas sûr que ce qu'on voit est vraiment la réalité", expliquent Adil et Bilall. La tragédie est entrelacée de quelques longues séquences musicales où les mots arabes des chants se délient, chorégraphiées comme de grands clips : "Le sujet tragique de Rebel s'y prêtait. La complexité des personnages, leur motivation à partir vivre dans un territoire de conflits…, on a trouvé que tout cela s'exprimerait de façon inoubliable par le biais du chant et de la danse", affirment les cinéastes, imprégnés de la culture musicale arabe. "Elle est politique et très poétique, lyrique et nous influence, et ce qui était intéressant c'est que l'Etat islamique est totalement contre la musique."



Le héros de Rebel est interprété par Aboubakr Bensaihi, connu comme musicien sous le nom de Bakr, qui a écrit lui même les raisons de partir qu'il chante sur un tempo de rap fort. La chanteuse Oum intervient pour rappeler les chants traditionnels. C'est ainsi que se mêlent les styles musicaux, contribuant au métissage des genres. L'actrice belge aux parents marocains, Lubna Azabal, bien employée dans le cinéma français mais aussi par des cinéastes du Maroc, incarne la mère courage et Amir El Arbi, le plus jeune frère de Adil, joue Nassim avec une conviction partagée par le reste du casting.
Autour d'une poignée de personnages, Adil et Bilall orchestrent le chaos et le désordre du monde avec une armada de véhicules de combat, de motos, d'armes à feu, d'armes blanches maniées à un rythme d'enfer. Car Rebel vise à frapper les esprits avec la force du cinéma, mêlant les coups de poing, les coups de feu, les coups de sang avec la quête d'identité, la religion, la poésie, le western. Un mixage volontaire et chargé, qui peut toucher ses cibles, ou même complètement les écraser.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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