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La Conspiration du Caire (Boy from Heaven)
Thriller à l'université religieuse
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 24/10/2022
Michel Amarger, Rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger, Rédacteur à Africiné Magazine
Tarik Saleh, réalisateur et scénariste égyptien-suédois
Tarik Saleh, réalisateur et scénariste égyptien-suédois
Scène du film
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Tarik Saleh, le 28 mai 2022, avec son Prix du Scénario, à la fin de sa conférence de presse, Festival de Cannes © Falila Gbadamassi / Africiné Magazine
Tarik Saleh, le 28 mai 2022, avec son Prix du Scénario, à la fin de sa conférence de presse, Festival de Cannes © Falila Gbadamassi / Africiné Magazine

LM Fiction de Tarik Saleh, Suède / France / Finlande, 2022
Sortie France : 26 octobre 2022

L'université mythique du Caire, Al-Azhar, haut lieu du pouvoir sunnite, sert de cadre et de moteur au nouveau film de Tarik Saleh. La Conspiration du Caire, prix du scénario au Festival de Cannes 2022, croise des jeux de pouvoir au cœur de l'université. Bâtie par les Fatimides, des musulmans chiites, au Xème siècle, elle devient une institution sunnite de premier plan sous l'impulsion de Saladin, au XIIIème siècle. Elle sait coexister avec l'occupation des Turcs, des Britanniques, des Français, tout en dispensant des études islamiques réputées.
Rassemblant 3 000 enseignants et 300 000 étudiants, cette université impressionne Tarik Saleh dont le grand-père a intégré Al-Azhar, et lui permet de croiser les influences dans une fiction, coproduite par la Suède, la France et la Finlande. Né à Stockholm de mère suédoise et de père égyptien, le cinéaste était graffeur en Suède avant de passer à la réalisation de documentaires, de fictions telles Tommy, 2014, et Le Caire Confidentiel qui le consacre en 2017. Il n'est pas le bienvenu en Egypte où les autorités n'apprécient pas son regard critique sur la police. La Conspiration du Caire (Boy from Heaven) revient pourtant sur la situation du pays.



On accompagne Adam, un fils de pêcheur qui obtient une bourse pour partir étudier à Al-Azhar. À peine Adam intègre l'université que le Grand Imam, le gardien tout puissant qui délivre des "fatwas" ("recommandations", en arabe), décède. Le Conseil des Oulémas doit élire un successeur tandis que le Chef de la Sûreté de l'Etat, dont le siège se trouve en face de Al-Azhar, s'inquiète que le nouvel élu partage bien les idées du régime. Ibrahim, vieil officier désigné pour s'en occuper, jette son dévolu sur Adam pour qu'il devienne son informateur. Les deux hommes commencent une relation compliquée qui se joue comme un affrontement tactique. Car Adam, que tous sous-estiment, s'initie peu à peu aux rouages du pouvoir.
En mêlant la pratique de l'islam au sein de l'institution religieuse, avec le pouvoir et la politique, Tarik Saleh emprunte la forme des récits qui découlent de cette religion. "Elle est pragmatique et elle utilise énormément d'histoires, de fables à des fins pédagogiques. J'ai grandi avec ces histoires", se souvient le cinéaste. L'action se noue autour de quelques personnages, représentatifs de leurs fonctions, en ménageant le suspens. Tarik Saleh cherche à "comprendre le pouvoir que représente le savoir, que ce soit en tant que force qui libère l'individu ou qui l'emprisonne". Le Cheick aveugle avance sa stratégie tandis que Sobhy, le supérieur de Ibrahim, agit de manière directive.

Le colonel Ibrahim qui semble usé, habitué aux manœuvres de l'ère Moubarak, se sert de Adam pour pénétrer les plans du Cheikh aveugle. Chacun paraît sous-estimé par les autres. Car Ibrahim n'est pas dupe et Adam est capable de contrôler l'évolution de sa position. La tension se joue comme une partie d'échecs entre les forces de l'Egypte. "J'ai davantage de liberté que les cinéastes égyptiens pour décrire des facettes de ce pays qui est complexe, qu'on ne peut réduire, comme tous les pays, à une vérité", estime Tarik Saleh. "Je crois que tous les cinéastes ont une position duelle, interne et externe à l'histoire qu'ils racontent et au monde dans lequel elle se situe."
Cette situation est aiguisée par le fait le réalisateur soit indésirable en Egypte depuis qu'on lui a interdit d'y tourner Le Caire Confidentiel, en 2015, une histoire perçue comme une attaque contre la police. La mise en scène de La Conspiration du Caire a donc eu lieu en Turquie où le site d'Al-Azhar a été filmé dans le Mosquée Süleymanye d'Istanbul, bâtie au XVIème siècle, avec ses motifs géométriques, disposés de manière mathématique, évoquant une sorte d'échiquier sur lequel les personnages poussent leurs pions.

Le décorateur, Roger Rosenberg, aménage l'espace comme un lieu clos, tandis le directeur photo, Pierre Aïm (connu pour La Haine de Mathieu Kassovitz ou Polisse de Maiwenn), souligne, par ses cadres, l'enfermement des acteurs. Tawfeek Bahrom joue Adam après avoir participé à The Way of the wind de Terence Malik. Le Libanais Fares Fares se transforme en Ibrahim, l'officier fatigué, après avoir brillé dans Le Caire Confidentiel. Avec eux, s'esquisse une métaphore de l'affrontement des pouvoirs, puisant sa source dans les rapports entre le président Abdel Fattah el-Sissi et le Cheick el-Tayeb, Grand Imam d'Al-Azhar, qui ne voulait pas justifier les projets de lois du pouvoir par des recommandations à partir du Coran. Un conflit devenu public.
En suscitant la réflexion, La Conspiration du Caire se pose comme un polar à suspens. "Le genre est une sorte de contrat passé entre le réalisateur et les spectateurs", commente Tarik Saleh. "Si j'annonce un thriller, les spectateurs auront certaines attentes. Mais j'aime mettre à mal ces attentes, détruire les clichés du genre par l'irruption de la réalité." Au-delà de ce jeu, Tarik Saleh propose une intrigue solide, servie par des hommes de tête, avides de renforcer leur pouvoir.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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