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LA TRAVERSÉE, Prix Clément Tapsoba 2022 (Burkina Faso)
Irène Tassembédo pose un autre regard sur la migration
critique
rédigé par Hector-Victor Kabré
publié le 01/12/2022
Victor Kabré, Rédacteur à Africiné Magazine
Victor Kabré, Rédacteur à Africiné Magazine
Irène TASSEMBÉDO, réalisatrice et scénariste burkinabèe
Irène TASSEMBÉDO, réalisatrice et scénariste burkinabèe
LA PIROGUE (2012)
LA PIROGUE (2012)
Le regretté Clément Tapsoba (1954-2020)
Le regretté Clément Tapsoba (1954-2020)
Irène TASSEMBÉDO, réalisatrice de LA TRAVERSÉE
Irène TASSEMBÉDO, réalisatrice de LA TRAVERSÉE

La traversée (2021) est le deuxième long métrage fiction d'Irène Tassembédo, après Kokoko Afférage.com, sorti 2015. Il a reçu Mention Spéciale du Jury, dans la Sélection Perspectives au 27e FESPACO, en 2021. Son film remporté le Prix de la Critique du Cinéma burkinabè Clément Tapsoba, ce mercredi 23 Novembre 2022, au Burkina Faso.

L'entrainement au périple
Les cinémas d'Afrique ont enregistré de nombreux films en lien avec l'émigration des jeunes Africains en Europe. Parmi lesquels on peut visiblement remarquer dans ce tableau d'affichage consacré à cette thématique filmique La Pirogue de Moussa Touré 2012 et Atlantique de Mati Diop en 2019….



Le film de la réalisatrice Irène Tassembédo semble indiquer les enjeux de cette projection narrative dès son titre. En effet, ce titre donne un aperçu sur ce qui va se produire, il résume en grande partie les actions. La traversée comme titraille induit un mouvement donc en rapport avec un itinéraire, ce qui suppose que les acteurs vont quitter un point de départ pour une destination. On a des personnages qui sont en quête d'un nouvel espace porteur d'espoir et de rêve : un eldorado. D'un point de vue cinématographique, des indices narratifs sont à noter sur certains plans en ce qui concerne leur pays de départ. Les mentions écrites avec l'indicatif téléphonique du Burkina 226, les paroles des acteurs situent leurs cadres d'actions avec précision : Ouaga, Tampoui, Ouaga, Sabou, Kilwin… Que dire de leurs points de chute ?

La traversée présente un dessein de voyage de jeunes Burkinabès vers l'Europe. L'écriture narrative se structure autour donc de ce voyage. Les personnages du film se préparent à surmonter une série d'épreuves, à "traverser" des étapes similaires à celles qui se profilent pour la plupart des jeunes africains qui pensent aux chemins de l'Europe. La réalisatrice Irène Tassembédo laisse entrevoir les possibles péripéties aux spectateurs que sont : la nage, le camouflage, la course-poursuite…Ces univers virtuels deviennent des motifs de l'action filmique, la mise en scène simule cela avec les différents exercices collectifs des acteurs précités. Si en règle générale les films d'Afrique montrent les candidats à l'émigration clandestine dans des situations de dangers réels, le scénario d'Irène Tassembédo est dans la projection factuelle. Il s'agit-là d'une initiation avec des pseudos situations de ce qui pourrait arriver dans leurs expéditions. On comprend dès lors dans ce contexte que le cahier du jeune personnage Akim qui rêve de l'Europe, n'est pas un journal de voyage dans lequel le personnage consigne les découvertes d'une "traversée" quelconque déjà effectuée mais plutôt un support matériel pour consigner le scénario des aventures d'un périple en gestation.

Une traversée des arts
Le spectateur peut remarquer ici une série d'exposition de faits et de pratiques artistiques. On retient à ce sujet, quelques notes de guitare sur la bande-son avec l'artiste-musicien Patrick Kabré. Il y a aussi la chanson avec Mai Lingani, l'accapela de Feli, le slam à l'espace "226" que la réalisatrice caractérise de "poésie d'aujourd'hui", par le biais d'une réplique. Par-dessus tout, on a les arts plastiques marqués par le décor spatial du 226, un des lieux du film. Ces contributions artistiques dans ce film apportent probablement avec la mise en scène une plus-value artistique.

Le spectateur perçoit également le fort taux de déploiement à l'écran de la danse. C'est un rappel de l'ADN d'Irène Tassembédo connue internationalement d'abord comme la cheffe d'orchestre de sa compagnie de danse EDIT (École de Danse Internationale Irène Tassembédo).
Il y a à noter que le recours à l'expression du corps dans cette œuvre filmique d'Irène Tassembédo joue un rôle dans la tension narrative. Sur ce dernier point, il faut dire que l'exploitation de la danse allie synchroniquement occupation scénique et de nombreux facteurs expressifs tels que la musique en play-back, les applaudissements, la chorégraphie quand il s'agit du ballet dans la seconde occurrence de la danse dans ce film. Bref, l'éminent rôle des gestes du corps est de désamorcer l'angoisse du récit principal avec le voyage qui se dessine. Pour réussir ce parallèle avec ce projet de voyage qui est aussi une "traversée des arts" Irène Tassembédo convoque des vedettes et la musique de la danse locale burkinabè à l'écran, Patrick Kabré, Zicket de Emilio le Chanceux…. Ces récits secondaires artistiques se greffent au sujet principal et cadence l'action cinématographique.

Une traversée linguistique
Ce film, bien qu'il soit tourné en français pour la version originale, la bande-son donne à entendre des bribes de la langue mooré, du français populaire ivoirien communément appelé le "nouchi" mais aussi de l'italien. Cette dernière en tant qu'outil de communication crée une ambiance anticipée, celle de la terre nouvelle rêvée. Le scénario codifie les personnages avec des noms italiens : Prompto, la Diva, Maestro. Un apprentissage linguistique subtil s'opère alors à travers les dialogues de La traversée. Un grand nombre d'expressions sont captées par les spectateurs. Tout compte fait, on peut dépasser la langue comme élément de culture de l'autre, expression d'une altérité pour interroger le film lorsqu'il opère une autre "Traversée" : celle des valeurs sociétales entre l'Europe et l'Afrique. Ce travail de la réalisation opère plus loin dans ce film une déconstruction de l'idée première de ce film.

La séquence finale : un recadrage
La réalisatrice burkinabée traduit finalement un adieu à l'obsession du voyage, un renoncement à la terre d'espoir qu'est l'Europe. Elle condense son propos dans une note musicale psalmodiée par un artiste burkinabè : "l'Afrique, terre des prochaines migrations".
Les critiques burkinabés de cinéma réunis au sein de l'ASCRIC-B lui ont décerné leur Prix Clément Tapsoba 2022.
C'est la première édition de ce prix de la critique qui porte le nom du regretté Clément Tapsoba, éminent journaliste burkinabé formé au CESTI (Université de Dakar, Sénégal) et fondateur de l'association nationale de la critique. Il fut également le président de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC), fondée à Tunis en 2004 et basée à Dakar.

Les documentaires Garderie nocturne, de Moumouni Sanou et Les traces d'un migrant de Delphine Yerbanga sont les deux autres nominés de ce Prix de la critique 2022. La cérémonie s'est déroulée, en marge de la 6e édition de la Semaine de la critique du cinéma de Ouagadougou - SECRICO (Ouaga - Burkina Faso, 2022).

Victor Kabré

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