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CIFF 2022 - Rencontre avec Kamla Abou Zekry, réalisatrice égyptienne
critique
rédigé par Neïla Driss
publié le 28/12/2022
Kamla ABU ZEKRI, réalisatrice égyptienne
Kamla ABU ZEKRI, réalisatrice égyptienne
Neïla DRISS, Rédactrice (Tunis) à "Africiné Magazine"
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La réalisatrice Kamla Abou Zekry et le critique Tarek Elshinnawi, au CIFF 2022
La réalisatrice Kamla Abou Zekry et le critique Tarek Elshinnawi, au CIFF 2022
L'Ascension de l'âme | Betloo El Rooh (2022, Série TV)
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A Day for Women (Un jour pour les femmes)
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Lors de la cérémonie d'ouverture de la 44ème édition du Festival International du Film du Caire (CIFF), qui s'est déroulée le 13 novembre dernier, le Prix d'Excellence Faten Hamama a été octroyé à la réalisatrice égyptienne Kamla Abou Zekry. Sur scène, c'est Nelly Karim, l'actrice fétiche de Kamla qui avait annoncé ce prix. Quelques jours plus tard, selon la tradition du festival, une rencontre a eu lieu entre la réalisatrice primée et le public, en présence du critique Tarek Elshinnawi, modérateur.

Ce dernier avait commencé par une brève présentation de la réalisatrice, qui avait été d'abord l'assistante d'un très grand nombre de réalisateurs célèbres tels que Radwan El Kashif et Nader Galal et qui par la suite a pu, en cinq films, marquer le cinéma égyptien de sa propre empreinte. Son dernier film a été Youm Lel Settat / Un jour pour les femmes en 2016, mais depuis, chaque année elle réalise un feuilleton télévisuel et chaque année, le succès est au rendez-vous. En effet, ses feuilletons sont de très grande qualité et remportent toujours plusieurs prix. Sûrement parce que ces feuilletons sont faits du point de vue de la réalisatrice cinématographique qu'elle est.

Présente à cette rencontre, l'actrice Elhem Shahine, qui a tourné avec Kamla Abou Zekry dans les films One-Zero (2009) et Un jour pour les femmes (2016) et dans le feuilleton Be Tolooa Al Rouh / L'ascension de l'âme (2022) a déclaré : " Je trouve que chaque épisode des feuilletons de Kamla est un film en soi. Son dernier feuilleton Be Toloo Al Rouh en est une parfaite illustration. Kamla est une réalisatrice qui mérite le qualificatif de créatrice, parce que Kamla crée, elle apporte d'elle-même à son travail. Kamla est perfectionniste et sait très bien diriger ses acteurs. Ils lui font confiance parce qu'elle sait en tirer le meilleur.
Mon premier film avec elle a été One-Zero, ensuite j'ai produit son film Un jour pour les femmes (film d'ouverture de la 38ème édition du CIFF), qui à ce jour a remporté 50 prix dans divers festivals de cinéma. Kamla est un honneur pour le cinéma égyptien ".

La parole a ensuite été donnée aux participants à cette rencontre pour qu'ils puissent poser leurs questions à la réalisatrice.

Un étudiant en cinéma : Pouvez-vous donner un conseil aux jeunes comme moi pour réussir comme vous ? 

Kamla Abou Zekry : Le conseil que je donne est : étudier et voir le maximum de films du monde entier. Je conseille d'ailleurs à tous de profiter de tous les festivals de cinéma possible pour voir des films différents qu'on n'a pas l'occasion de voir dans le circuit commercial. Assister de grands réalisateurs est aussi très important. C'est surtout de cette manière qu'on apprend. Mais en plus, il faut savoir pouvoir personnaliser et visualiser ce qu'on a envie de dire.

Tarak Elshinnawi : Dans les films de Kamla, il y a toujours une femme, une femme héroïne et une tête d'affiche. Même inconsciemment, même à la TV, Kamla privilégie les problèmes de femmes et les héroïnes.

Kamla Abou Zekry : A mes débuts, je n'aimais pas le cinéma féministe. Je voulais parler de la société en général, mais le destin a fait que je me suis occupée de problèmes et de questions qui concernent la femme. Ce n'était pas un choix, je voulais réellement traiter des problèmes sociétaux qui nous concernent tous, par exemple dans Malek wa ketaba/Pile ou face (2006), le héros est un homme. Mais finalement, dans nos pays, une grande partie de nos problèmes sociétaux concernent les femmes, alors pourquoi pas ? Oui, d'accord, je fais du cinéma féministe, mais pas que !

Un participant : Je suis très content de ces hommages rendus par le festival aux artistes autres que les acteurs, surtout que beaucoup d'étudiants participent à ces rencontres et que les professionnels ont l'occasion de leur donner des conseils. Par exemple comment faites-vous pour diriger vos acteurs ? Est-ce vous qui faites les castings ?

Kamla Abou Zekry : D'abord le scénario. Je commence mon travail avec le/la scénariste, je dois d'abord être convaincue par l'histoire, je dois la comprendre, la voir et être certaine de pouvoir la faire parvenir au spectateur. Ensuite, je discute avec les acteurs. Il faut que nous puissions comprendre la personnalité des divers personnages. D'ailleurs je fais en sorte de mettre l'acteur avec une personne réelle, qui a par exemple la même profession ou qui a vécu la même situation que le personnage fictif. Nous faisons aussi un travail de recherche, surtout si la personnalité n'existe plus de notre temps. Il faut de la sincérité dans les personnages. Par exemple, pour le feuilleton Be Toloo al Rouh / L'ascension de l'âme, j'ai fait regarder à Elham Chahine une cinquantaine de vidéos sur les daechiens pour qu'elle s'en imprègne et sache incarner une daechienne.

L'acteur Youssef Othman : Vous avez votre propre monde. Comment arrivez-vous à le créer ?

Kamla Abou Zekry : Préparation, préparation et encore préparation.... Et ensuite tournage. Le tournage est très facile lorsque tout est bien préparé.

La préparation avec le scénariste, les acteurs, les techniciens, les costumiers, les décorateurs, tout absolument tout, y compris les petits rôles de figuration... Même la musique commence à être composée avant le tournage. Il faut que tous les détails soient étudiés et prêts avant même que ne commence le tournage. Par exemple pour le feuilleton Segn El-Nissaa / La prison des femmes (2014), nous avons tous passé plusieurs jours entiers à la prison, pour ressentir l'endroit, le connaître, le comprendre et ceci avant même le début du tournage.

Tarek Elshinnawi : Souvent, ton équipe technique est la même. Pourquoi ?

Kamla Abou Zekry : En vérité, je sens que ces gens sont moi, comme pour la directrice photo, Nancy Abdel-Fattah. Nous avons le même sentiment, nous pensons pareil. Nous nous complétons. Je n'imagine pas travailler avec une autre personne que Nancy, qui n'est pas seulement une grande directrice photo, mais une artiste. Bien sûr, j'aimerais avoir une nouvelle équipe composée de la nouvelle génération, mais ces gens sont un plus et je ne peux plus me passer d'eux.

Une participante : Comment arrivez vous à concilier votre vie familiale et votre travail ?

Kamla Abou Zekry : Comme je ne pouvais pas être en même temps réalisatrice et mère, pendant de longues années, je travaillais une année et je restais à la maison une année, ma fille était en bas âge et je voulais vivre avec elle et être mère. En plus, je ne voulais pas devenir une machine à faire des images. J'avais besoin de cette année de congé pour rattraper ma vie, parce que pendant les tournages, je ne pense à rien d'autre.

Un participant : Que vous a apporté l'expérience de votre père critique de cinéma ? Est-ce que cela vous a servi pour travailler vos scénarios ?

Mon père et ma mère sont ceux qui m'ont le plus encouragée. Mon père travaille courageusement et j'espère avoir appris cela de lui. Mes parents m'ont tellement aidée que je pourrais parler d'eux sans m'arrêter pendant de très longues heures.

Un participant : Comment faites-vous pour adapter des romans connus en feuilletons à succès ?

Kamla Abou Zekry : Pour le feuilleton Zet, Sonallah Ibrahim, l'auteur, m'a appelée pour me dire qu'il est très content du résultat. La scénariste Mariam Naoum et moi, avions voulu réellement traduire ce qu'il voulait dire. D'ailleurs nous l'avions rencontré avant le tournage. Pour ce feuilleton, chaque mot avait un sens, et avant le tournage j'avais tout relu attentivement. J'avais par exemple trouvé un détail qui passait presque inaperçu : le mari s'était fracturé une jambe en changeant la faïence. J'avais demandé à Mariam Naoum de retravailler le scénario pour donner plus d'importance à ce détail. Lorsque j'avais donné le scénario définitif à Nelly Karim, je lui avais dit : voici Zet dans tous ses détails, tout est déjà préparé et il faut endosser la personnalité.

Pour Wahat Al-Ghoroub / L'oasis du coucher du soleil (2017), ni la scénariste ni moi n'avions rencontré l'auteur mais j'ai appris qu'il avait été satisfait du résultat.

Un participant : Comment arrivez-vous à faire jouer à vos acteurs des rôles dont ils n'ont pas l'habitude ?

Kamla Abou Zekry : Je trouve que c'est un défi pour moi de faire changer l'acteur de registre, par exemple le gentil peut devenir le méchant, le sérieux peut devenir comique. C'est un challenge pour moi et pour l'acteur. C'est un pari qui peut être gagnant ou pas. Mais dans la plupart des cas, cela marche. Lorsqu'on donne à un acteur un rôle nouveau, il fait plus d'efforts parce que pour lui aussi c'est un défi. Il ne se repose pas sur ses lauriers. Sans oublier la confiance entre l'acteur et moi. Cette confiance, sans ego, permet de gagner. Nous avons un but commun : bien présenter le personnage.
Dans un film ou un feuilleton, l'acteur est le plus important, il doit être sincère. Si un acteur est mauvais, l'image peut être parfaite, la mise en scène parfaite, mais le résultat sera mauvais.

Je remercie d'ailleurs tous mes acteurs. Je pense qu'ils ont tous su m'apporter et réaliser ce que j'ai demandé ou voulu.

Rym Cheker, journaliste tunisienne : Est-ce que Kamla peut réaliser une œuvre étrangère ?

Kamla Abou Zekry : Pour Be Toloo Al Rouh / L'ascension de l'âme, j'avais devant et derrière la caméra des étrangers : syriens, irakiens, palestiniens, tunisiens... J'ai adoré cette expérience, nous étions solidaires pour un but commun.

Je rêve de faire un film sur la Palestine, que son titre soit Palestine, et qu'il soit un film qui dise la réalité, sans complaisance envers les Palestiniens ou les festivals de cinéma. Mon père avait un drapeau palestinien à la maison pour ne pas oublier.

Un assistant-réalisateur : Quelle est la scène qui vous a été censurée et que vous regrettez ?

Kamla Abou Zekry : Dans le film Malek wa ketaba / Pile ou face, une scène a été supprimée : le mari rentre chez lui, trouve sa femme avec un jeune homme sous la douche, se fâche et décide de divorcer. La censure m'a supprimé le jeune homme, et cela devenait ridicule parce qu'un homme qui rentre chez lui et trouve sa femme seule sous la douche ne décide pas de divorcer. C'est illogique. Après discussions, la censure a fini par accepter de me rendre la scène.

Dans One-zero, il y avait une dispute dans la rue, avec des dialogues réels, et on m'a enlevé cette scène sous prétexte que dans la réalité les Égyptiens ne sont pas ainsi. Impossible de remettre ces dialogues, ce qui a appauvrit toute la scène. Ridicule, parce que ma scène était bien en deçà de ce qu'on entend parfois dans les rues égyptiennes !

Neïla DRISS

Article paru le Lundi 12 Décembre 2022, sur Webdo (Tunis). Repris ici, avec l'aimable autorisation de l'autrice, Neïla DRISS.
www.webdo.tn/fr/actualite/culture/ciff-2022-rencontre-avec-la-realisatrice-egyptienne-kamla-abou-zekry/200520

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