Premier long métrage de la Burkinabèe Delphine Yerbanga, Les Traces d'un migrant est sorti en 2021. Ce documentaire de 70 mn a décroché le grand prix du Président du Faso au FESPACO 2021. Il y est question de quête identitaire, à travers le portrait d'un aventurier aux nombreuses familles, mais désespérément volatile.
Adama et Awa sont des sœurs jumelles. Orphelines de mère, elles vivent à Saint-Louis au Sénégal avec leur tante. Depuis quelques années, les jeunes filles tentent de retrouver leur père d'origine burkinabèe. Celui-ci s'en est allé et a cessé de donner de ses nouvelles, après son divorce d'avec leur mère. Par un concours de circonstances, leur démarche fait écho à celle de leur famille paternelle au Burkina Faso. Idrissa Ouédraogo, frère cadet du père recherché, engage les filles dans un périple qui les mène en Guinée-Bissau, puis au Burkina Faso où elles découvrent leurs origines familiales.
Sans les photos, preuve de son existence, Abdoulaye Ouédraogo aurait été une arlésienne. Au fil des minutes, Les traces d'un migrant révèle un homme insaisissable, dont les choix de vie restent incompris. D'ailleurs, le film débute par des questions. D'une part, celles, légitimes, de ses enfants. Adama s'en fait la porte-parole et se demande "… Où est-ce qu'il peut bien se trouver, qu'est-ce qu'il fait et qu'est-ce qu'il devient …" Elle ajoute : "… Mais mon père, je ne comprends pas pourquoi il est parti."
Et d'autre part, celles du frère. Idrissa Ouédraogo traduit son incompréhension en ces termes : "Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu ne nous as jamais dit que tu t'étais remarié là-bas." Ce questionnement se fait la trame de l'histoire dévoilant, au passage, la souffrance longtemps tue et causée par ce départ vécu comme un abandon.
Quant au public, il partage cette douleur morale. A son tour, il ne peut s'empêcher de s'interroger. Qu'est-ce qui a pu pousser cet homme, mari et père, à quitter son pays natal ? Son frère confie ne lui connaître aucun différend avec quelqu'un. Serait-ce, alors, la crise de la quarantaine, Abdoulaye étant parti à l'aube de ses quarante ans ? Si oui, elle ne justifierait pas la suite de son parcours. Que cherchait-il ? Que voulait-il ? Cette préoccupation demeurera et continuera à tarauder les esprits, même celui d'Idrissa au moment où le film se referme. Le frère affirme : "… Quand on part à l'aventure, c'est qu'on a manqué de quelque chose dans son pays. Nul ne part s'il a tout ce qu'il faut pour être heureux." Qu'est-ce qui a pu manquer à Abdoulaye au point de le pousser à partir ?
Pourtant, du Burkina en Guinée-Bissau, en passant par la Côte-d'Ivoire, le Sénégal et peut-être le Brésil, le migrant a tissé des liens et laissé une progéniture sans, pour autant, réussir à s'y attacher. Comme pour toute aventure, la vie d'Abdoulaye comporte sa part d'incertitudes, de non-dits et de questions dont la plupart reste sans réponse. Mais après tout, peu importe ce mystère puisqu'il a permis de tisser des liens entre des pays, des peuples, des familles, des humains. Et, dans la concrétisation de cette œuvre d'importance, l'engagement de la réalisatrice est à saluer. Le cinéma ne sert-il pas aussi à cela ; bâtir des ponts envers et contre tout ?
Annick Rachel KANDOLO (Burkina Faso/ ASCRIC-B)
