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ASHKAL. Enflammer le cinéma tunisien
Long Métrage Fiction de Youssef Chebbi, France / Tunisie, 2022
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 23/01/2023
Michel Amarger, Rédacteur (Paris) à Africiné Magazine
Michel Amarger, Rédacteur (Paris) à Africiné Magazine
Youssef CHEBBI, réalisateur tunisien
Youssef CHEBBI, réalisateur tunisien
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Fatma Oussaifi (Fatma)
Scène du film, avec Fatma Oussaifi (Fatma)
Scène du film, avec Fatma Oussaifi (Fatma) et Mohamed Grayâa (Batal)
Scène du film, avec Fatma Oussaifi (Fatma) et Mohamed Grayâa (Batal)
Scène du film
Scène du film
L'actrice Fatma OUSSAIFI (Fatma, Inspectrice de police)
L'actrice Fatma OUSSAIFI (Fatma, Inspectrice de police)

Sortie France : 25 janvier 2023
Dist. (France) : Jour2Fête

Depuis la révolution de 2011, en Tunisie, le cinéma a marqué le pas puis a repris des couleurs. Au-delà des faits de société (La Belle et la meute, de Kaouther Ben Hania, 2017), des rapports de famille (Weldi - Mon cher enfant, de Mohamed Ben Attia, 2018), des histoires de couples (Noura rêve, de Hinde Boudjemaa, 2019), on voit apparaître des films plus symboliques tel Tlamess - Sortilèges, de Ala Eddine Slim, 2019.
Comme ce dernier, avec qui il a réalisé le documentaire collectif Babylon en 2012, Youssef Chebbi pousse les codes du cinéma vers le thriller et le fantastique avec Ashkal, sélectionné à La Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2022. Après deux courts-métrages remarqués, Vers le nord, 2010, et Les profondeurs, 2012, le cinéaste explore la face sombre de la Tunisie et ses lueurs brûlantes avec Ashkal qui signifie "des motifs", "des formes", en arabe.



L'action s'ouvre dans les chantiers des Jardins de Carthage à Tunis. Un site moderniste en construction, abandonné après le départ du président Ben Ali, et repris récemment. On suit l'enquête de deux policiers, Batal et Fatma, après la découverte d'un corps calciné. Suivent d'autres cadavres, d'autres brûlures. Les victimes semblent motivées par un mystérieux personnage. Ses apparitions furtives, entrevues, prennent le pas sur le suspens policier. Ashkal s'oriente vers une dimension fantastique où l'attention flambe.
"L'envie première était en effet de s'essayer au film de genre, tentative très rare en Tunisie. Notre cinéma reste souvent à la surface des choses. Il se cantonne souvent à une approche frontale de la réalité, à quelques thèmes laissant peu de place à l'imagination", avance Youssef Chebbi, puisant son inspiration dans l'atmosphère étrange des Jardins de Carthage, quartier imaginé par le régime de Ben Ali pour loger ses élites, sur un site antique, abandonné après sa chute en 2011. "De nombreux éléments des Jardins de Carthage m'ont fait penser à des films d'enquête, ou à la limite de la science-fiction, en particulier le contraste du très vide et du très massif", commente le réalisateur en accompagnant les deux policiers dans ce lieu propice à traquer une vérité volatile.



La suspicion contamine les investigations des deux héros. Batal est un policier de l'ancien régime, massif et roué. Fatma, plus jeune, est nerveuse et mobile. Son père, avocat militant, participe aux débats de la commission Vérité et Réhabilitation qui instruit les auditions sur les méfaits du règne de Ben Ali. Les échanges qu'on entrevoit sur les écrans de télévision, sont inspirés par l'action de la commission Vérité et Dignité, créée en 2013 pour libérer la parole des victimes du régime, classée sans suite en 2019, malgré d'imposants rapports. Une réalité qui pèse sur le sort des policiers dont les démarches sont parfois conflictuelles, en butte aux intérêts du pouvoir installé.
Le récit est centré d'abord sur les deux héros : Batal, joué par Mohamed Houcine Grayaa, connu par les films de Jilani Saadi, et Fatma, interprétée par Fatma Ouassafi, issue du milieu de la danse. Les figurants proviennent des chantiers des jardins de Carthage où la montée en puissance du feu accroit les victimes, en écho aux immolations qui ont conduit à la révolution tunisienne après celle Mohamed Bouazizi, en 2010, à Sidi Bouzid. "C'est ainsi qu'est né le troisième personnage dont on voit juste les mains, cet homme qui brûle à répétition sans être détruit par le feu et qui gagne progressivement en importance, au point d'en venir à kidnapper le film", explique le cinéaste.



"L'acte de s'immoler est un acte politique mais aussi prophétique : il s'agit de déclencher un réveil, d'appeler chacun à transformer ses conditions", estime Youssef Chebbi en orchestrant le passage des ténèbres aux lumières des flammes. Les cadres du chef opérateur Hazem Berrabah, cultivent les clairs-obscurs, les travellings avant inquiétants dans les maisons inachevées. La musique de Thomas Kuratli, parfois excessive, contribue à orienter l'atmosphère vers l'étrange, le fantastique.
La propagation du feu prend alors des allures de parabole. "Je voulais quelque chose qui contrecarre la froideur minimale des immeubles et leur donne vie. J'ai filmé ceux-ci comme des temples dont le cœur se mettrait à brûler", déclare Youssef Chebbi. "Il m'intéressait de fouiller à l'intérieur de ces architectures abandonnées pour voir quelles autres architectures s'y révèlent quand on y entre et que la lumière bouge." Ainsi en animant l'espace, Ashkal propose d'autres formes de vies, dans une tentative osée d'embraser les écrans de Tunisie.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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