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GRAINE. Une construction positive de la figure féminine
Un film de Alima Ouédraogo, Burkina Faso
critique
rédigé par Jacques N. Mana
publié le 02/02/2023
Jacques Nibaro MANA, Rédacteur (Ouaga) à AFRICINÉ MAGAZINE
Jacques Nibaro MANA, Rédacteur (Ouaga) à AFRICINÉ MAGAZINE
Alima "Sofia" OUÉDRAOGO, réalisatrice burkinabèe
Alima "Sofia" OUÉDRAOGO, réalisatrice burkinabèe
Lydia Bancé, actrice principale du film (Sybia)
Lydia Bancé, actrice principale du film (Sybia)
Scène du film
Scène du film

Réalisé en 2021, le film Graine de Alima Ouédraogo est un long métrage d'une durée de 105 minutes. Cette première fiction de la jeune réalisatrice burkinabè aborde avec acuité l'épineuse question de l'excision dans les sociétés africaines. Ce film peut être appréhendé comme une construction positive de la figure féminine.

Graine est un film de Alima Ouédraogo plus connue sous le nom Sofia. Alimata Ouédraogo a débuté sa carrière dans le cinéma en tant que comédienne dans plusieurs productions du réalisateur burkinabè Boubakar Diallo. Depuis 2019, Alima Ouédraogo est passée derrière la caméra. En 2021, elle réalise Graine, son premier long métrage de fiction. D'une durée de 105 minutes, le film aborde avec acuité l'épineuse question de l'excision dans nos sociétés.
Sybia, une femme éprouvée par la difficulté de mener à terme ses grossesses, adopte un enfant avec le consentement de son époux. Sa belle-mère plus tard, facilite l'excision de la fille de Sybia avec les conséquences en découlent.

Cette fiction peut être appréhendée comme une œuvre qui participe à la une construction positive de la figure féminine à travers le parcours génératif du personnage principal et les ressources cinématographiques mobilisées par la réalisatrice.

Graine, un titre métaphorique

La femme est au centre de toutes les thématiques abordées dans ce film. La thématique principale, l'excision, est directement rattachée à l'un des attributs féminins. Le titre "Graine", signifiant linguistique, renvoie du point de vue signifié à l'appareil génital de la femme : le clitoris. La présence de la femme est donc manifestée par l'indice clitoridien. Mais de quel clitoris s'agit-il ici ? Un clitoris incomplet, mutilé. Cela traduit la souffrance qu'endurent de milliers de femmes africaines. Ce titre véhicule donc le contenu filmique du fait qu'il renvoie, de façon symbolique, à un sens constitué du film. Le titre "Graine" permet d'anticiper sur la trame narrative, si on comprend le code.

Le parcours du personnage principal

Le parcours de Sybia (interprété par Lydia Bancé) dans le film est évolutif, satisfaisant et positif. A l'entame du film, on l'aperçoit pâle, triste et larmoyante dans un véhicule. Cette pâleur et cette tristesse sont dues à son incapacité de mener à terme ses grossesses. Elle semble ignorer la raison de ses fausses couches qui, pourtant, est simple. Elle est une femme excisée. Son incapacité à donner vie provient de la pratique de l'excision.

L'objet de quête est manifeste de façon implicite : la graine symbolisant du clitoris. Notre personnage (Sybia) est, de façon symbolique, en disjonction de son objet de quête en situation initiale. Ses souffrances sont liées à l'absence de cet objet. Certes, il ne s'agit pas pour Sybia de se procurer un nouvel organe, mais de se battre pour que plus jamais aucun clitoris ne soit amputé au nom d'une morbide tradition.

Sybia mène une bataille au nom de toute la gent féminine qui a souffert, qui souffre et qui, si rien n'est fait, souffrira de l'excision. A l'image de l'iceberg, le personnage principal de la fiction de Alimata Ouédraogo est donc la partie visible de la gent féminine africaine victime de l'excision comme l'indique Justin T. Ouoro dans son livre Poétique des cinémas d'Afrique noire francophone (2011, page 216) "Derrière un personnage se cache une couche sociale, une frange de la société, un essaim d'individus dont il n'est que la représentation".

Le parcours positif est manifeste à travers les différentes épreuves surmontées par Sybia. La première étape est l'adoption de l'enfant. Face au manque d'enfant, elle adopte une fillette qui, malheureusement, meurt des suites de l'excision. La séquence du dialogue entre Sybia et le psychiatre, montrée en gros plan à l'hôpital, est très expressive. Le psychiatre mâche une noix de cola après avoir proposé l'idée d'adoption. A y voir de près, le cola indiquerait le clitoris qui serait brutalement amputé et la mort s'en suivra.
La deuxième étape est celle de la procédure du procès. Suite à la mort tragique de sa fille adoptive, Sybia décide d'intenter un procès contre sa belle-mère et sa belle-sœur malgré la vive opposition de son mari, de ses parents, en un mot de toute la société. Elle ne se laisse pas intimider par les menaces et les interdits même au prix de son foyer.
La dernière étape est celle du procès. Le simple fait qu'il se tienne est une victoire

A travers les différentes situations présentées par la cinéaste, l'on constate une évolution positive du personnage principal. Elle passe d'une femme méprisée, avachie, pâle, une femme sous le poids de la tradition à une femme valorisée, réconfortée et pleine d'éclat, une femme libérée du joug de la tradition.
Cette libération de Sybia peut aussi être interprétée comme la victoire de toutes ces organisations de la société civile qui luttent pour l'abandon de la pratique de l'excision. Derrière Sybia se cache la victoire de la lutte pour l'intégrité physique de la femme. C'est en ce sens que le film Graine est une construction positive de l'image de la femme.

Par ailleurs, pour mieux construire l'image positive de la femme, la réalisatrice procède à une sorte de déconstruction comme l'indique Jacques Derrida dans Le peut-être d'une venue de l'autre femme. Cette déconstruction permet d'abolir les apriorismes et de corriger le déséquilibre entre l'homme et la femme. La correction du déséquilibre n'a point pour objectif de passer d'une société phallo-centriste à une société gyno-centriste mais de prôner une société égalitaire en droit où la femme serait plus épanouie.
En termes d'interfilmicité, on peut aussi dire que la thématique de la construction positive de la figure féminine a été également développée au Burkina Faso et ce, de façon expressive dans plusieurs fictions longs-métrages de la réalisatrice burkinabè Apolline Traoré. Au nombre de ces fictions retenons Moi Zaphira (2013), Frontières (2018) et récemment Desrances (2019).

La fiction Graine de Alima Ouédraogo est un film qui peut être perçu comme outil de communication et de sensibilisation contre les mutilations génitales féminines.

Jacques N. MANA

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