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Visuel du FESPACO 2023 : une image, un condensé de sens
critique
rédigé par Tiamassa Fidèle
publié le 16/02/2023
Alimata Salembéré, ancienne secrétaire d'État à la Culture du Burkina Faso, première présidente du comité d'organisation du FESPACO.
Alimata Salembéré, ancienne secrétaire d'État à la Culture du Burkina Faso, première présidente du comité d'organisation du FESPACO.
Djamila SAHRAOUI, réalisatrice algérienne
Djamila SAHRAOUI, réalisatrice algérienne
Alain Gomis, réalisateur de TEY (TODAY)
Alain Gomis, réalisateur de TEY (TODAY)

Placée sous le thème, "Cinémas d'Afrique et culture de la paix" la 28e édition du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO) se tiendra du 25 février au 4 mars 2023 à Ouagadougoou, capitale du Burkina Faso. À quelques jours de la grande messe du cinéma panafricain, la délégation générale du FESPACO a dévoilé le visuel de cette 28e édition de la biennale du cinéma africain. C'était le jeudi 1er décembre 2022 à l'Hôtel de ville de Ouagadougou.

Une lecture de ce visuel sous l'angle de la sémiotique est une tentative de donner du sens à ce visuel car il est avant tout un signe, sinon un condensé de signes. C'est un visuel aux mille mots.

La femme en gros plan : une plongée dans l'histoire africaine

L'art plastique est encore à l'honneur avec la conception de ce visuel du Fespaco 2023. Le troisième art se met au service du septième. L'observation minitieuse de cette image nous plonge dans l'histoire africaine. Comme pour dire que celui qui ignore son passé ne peut organiser son présent pour envisager un avenir radieux avec plus de quiétude. En effet, sur ce visuel, nous avons une figure féminine présentée en gros plan. Elle pourrait être associée à deux figures emblématiques de l'Afrique Subsaharienne : la reine Sarraounia du Niger et la Princesse Yennenga du Burkina Faso. Des éléments chromatiques sur le visuel sous-tendent cette posture. Il s'agit en clair de la couleur jaune or de l'arrière plan du visuel. Elle apparait comme une synthèse de la couleur orange du drapeau du Niger et l'étoile jaune du drapeau du Burkina. De cette manière, un clin d'œil est fait aux deux amazones de ces deux nations. C'est une plongée dans l'histoire africaine.



Mieux, la figure féminine, mise en avant depuis le cinquantenaire du FESPACO [en 2019, ndlr], n'est qu'une remise à "cesarine" ce qui est à "césarine". En rappel, c'est une femme qui fut la première déléguée générale du FESPACO de 1969 -1970 [Alimata Salembéré, membre fondatrice du FESPACO et la Présidente du comité d'organisation du premier festival en 1969, NDLR] sans oublier que le plus prestigieux des trophées du festival porte le nom de la princesse Yennenga (L'étalon d'or de Yennega). La femme est donc au cœur de ce festival depuis sa création, même si, dans les instances dirigeantes et sur les podiums des trophées, elle est absente depuis la 23e édition.



Tenue du 23 février au 2 mars 2013, la 23e édition avait consacré Etalon d'or de yennenga le film Tey (Aujourd'hui) d'Alain Gomis (Sénégal). L'Etalon d'argent est revenu à la réalisatrice algérienne, Djamila Sahraoui avec Yema. Aucune femme n'a donc remporté à ce jour le trophée en or.

Cette représentation n'est qu'une remise en emphase de la gent féminine, une valorisation qui exprime une volonté de placer la femme là où il faut afin qu'elle joue sa partition pour contribuer au développement de l'Afrique. C'est donc l'expression d'un nouveau départ après le cinquantenaire avec encore la femme en tête. À l'image d'une amazone, elle est chargée de mener des combats au nom de la culture dont elle est le premier visage social. Si derrière tout grand homme se cache une grande dame, il est alors vrai que derrière ce grand évènement qu'est le FESPACO, se cache la femme africaine.

La femme en gros plan : symbolique d'une résilience nationale et continentale

Il n'est point ignoré que les pays d'Afrique subsaharienne traversent des crises plurielles, lesquelles fragilisent leurs fragments sociétaux et freinent leur développement en général. En ces temps de crise, la résilience est le remède efficient pour ne pas sombrer dans le chaos total. En tout état de cause, il ne doit point être question d'abdiquer face aux défis quels qu'ils soient. Cette résilience, à l'allure d'une résistance est exprimée par cette figure féminine.

Son armure en est la preuve. De son épée à son carquois rempli de flèches, en passant par les accessoires de protection tant à l'épaule que sur l'avant bras, l'on voit une femme prête et déterminée pour le combat. Sa posture de combattante avec son poing fermé de guerrière, comme pour galvaniser une troupe de soldats et le courage dans son regard, sont autant d'éléments indicatifs de l'humeur de vainqueur que dégage cette amazone.

Ce visuel, en plus de rendre hommage aux amazones et à la femme africaine d'une façon générale, évoque le contexte de crise sécuritaire dans lequel se tiendra cette 28e édition du FESPACO.

Cependant, aucune place n'est offerte à l'émoi. C'est un FESPACO de résilience, sinon de résistance en s'inspirant de la résistance à la pénétration coloniale ou de tout autre conquête dont ont été l'objet les terres africaines. Les armes endossées par cette figure féminine sont toutes africaines, comme pour dire que toutes les ressources pour endiguer cette crise sécuritaire que vit le Burkina Faso et l'Afrique doivent être d'abord endogènes. Les États africains se doivent de puiser dans leurs valeurs culturelles, traditionnelles et coutumières afin de résister à l'envahissement de l' "ici" par l' "ailleurs". Le passé est donc convoqué dans cette image pour servir de référence au présent et au futur. Les trois boules de cheveux sont indicatrices à ce sujet, représentant chacune les trois entités temporelles qu'elle porte en elle.

Malgré les blessures corporelles qu'elle a reçues et qui ont peut-être eu des effets physiques et psychologiques, l'amazone reste débout face aux velléités de déstabilisation de sa patrie. Elle ne lésine point quant à la défense de celle-ci car l'objectif final est de rendre aux peuples une terre avec des limites identiques laissées par les devanciers. C'est là une apostrophe aux forces de défense et de sécurité (FDS), des volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et de toute personne physique ou morale à même de contribuer à la défense des terres du Faso. Nonobstant les centaines de morts occasionnés par cette crise et des millions de déplacés internes, les peuples du Burkina et d'Afrique restent débout pour préserver les acquis. Cette figure féminine, représentante de toutes les entités impliquées dans la résolution de la crise sécuritaire, a pour finalité la paix.

C'est le message qu'elle transmet et qui corrobore la thématique de la 28e édition : "Cinémas d'Afrique et culture de la paix". Son combat n'est tout autre que celui de la paix. L'oiseau représenté sur le pommeau de l'épée, que l'on peut associer à la colombe, en est la symbolique. D'ailleurs, c'est un oiseau déjà en mission du fait de sa posture d'envol. Cette colombe de paix est aussi l'expression d'une lueur d'espoir renforcé par le soleil levant dans le visuel. C'est l'espoir d'un nouveau départ, d'une renaissance des peuples d'Afrique.

La femme en gros plan : une esthétique féminine africaine

L'esthétique de la féminité est ici valorisée par ce visuel du FESPACO. Les éléments vestimentaires endossés par la figure féminine sur ce visuel rendent compte d'une culture vestimentaire propre à l'Afrique. Aucun accessoire n'est venu d'ailleurs. De son corset à bretelles aux bracelets et bagues qu'elle porte en passant par sa coiffure et ses boucles d'oreilles, sans perdre de vue son maquillage, cette femme africaine, dégage la beauté intrinsèquement africaine, une beauté naturelle sans artifices extérieurs. Au-delà, c'est la femme africaine qui est magnifiée.
Par cette actualisation vestimentaire, elle présente l'articulation des pratiques vestimentaires africaines. Le message de la colombe, en plus d'être celui de la paix, est aussi celui d'une appartenance culturelle. L'Afrique a une culture vestimentaire qui la distingue et la singularise dans le concert des nations. Elle a sa place et n'a rien à envier aux autres. En tant que terre d'hospitalité, elle est ouverte aux autres cultures, mais elle ne perd pas de vue ce qui constitue son identité réelle.

Le visuel n'occulte pas la dimension économique dans cette représentation de l'Afrique. Au constat, les accessoires d'embellissement endossés par l'amazone sont en grand nombre aux couleurs dorées. D'ailleurs, ils se situent dans un univers dominé par cette couleur jaune or. Cela rappelle la richesse du sous-sol africain, quand on sait qu'elle est l'une des plus abondantes. Ce visuel ainsi écrémé, laisse entrevoir une marrée de signes qui forment une dune de sens. L'on comprend qu'au commencement de toute œuvre d'art se trouve une intentionnalité créatrice. Ce visuel nous présente au final une Afrique riche de son histoire, une Afrique riche de sa beauté et surtout une Afrique belle de ses richesses.

Fidèle TIAMASSA (ASCRIC B, Burkina Faso)

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