AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 008 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
LES POISSONS ROUGES d'Abdeslam Kelai sortent de leur bocal
Un film primé au festival du cinéma méditerranéen de Tétouan 2023
critique
rédigé par Amina Barakat
publié le 24/03/2023
Amina Barakat, Rédactrice (Rabat) à AFRICINÉ MAGAZINE
Amina Barakat, Rédactrice (Rabat) à AFRICINÉ MAGAZINE
Abdeslam Kelai, réalisateur et producteur marocain
Abdeslam Kelai, réalisateur et producteur marocain
Abdeslam Kelai, réalisateur et producteur marocain
Abdeslam Kelai, réalisateur et producteur marocain

Abdeslam Kelai, réalisateur marocain, reste fidèle à sa ville natale de Larache. Elle est située au nord du Maroc, à 88 Kms de Tanger. C'est une petite ville délaissée et marginalisée, par rapport aux grandes villes marocaines. Les événements de ses films se passent généralement dans l'espace de cette ville côtière aux potentiels naturels mais ignorés.

Poissons Rouges (Goldfishes / Asmak hamrae - أسماك حمراء) a été produit en 2022. Il était en lice à la compétition officielle de la 28ème édition du festival de cinéma méditerranéen de Tétouan. Lors de sa projection, il a plutôt fait bonne impression, vue la nature du traitement des sujets sur lesquels sont basés les faits de l'histoire. Le film avait bénéficié du soutien des ateliers de l'Atlas (Marrakech). Il a été projeté dans le cadre des activités du festival international de film de Marrakech 2022 (FIFM). Il a décroché le Grand Prix du Festival international de Bruxelles, en Belgique.

Un grand casting de qualité, avec Jalila Talemsi, Farida Bouazzaoui, …

Le casting a été bien choisi avec trois actrices, dans les rôles principaux. Le trio est composé de Jalila Talemsi (dans la peau de Hayat) comme héroïne, Nisrin Erradi (Houda) qui a brillamment campé le rôle d'une jeune handicapée et Farida Bouazzaoui (Amel) sœur et tutrice de cette dernière. Au générique, on compte aussi son acteur fétiche : Zakaria Atifi (parfois crédité Zakaria Atefi), au charisme spécial. Le réalisateur a taillé les rôles sur mesure à chacun de ces personnages qui ont meublé l'espace sous sa direction.

Hayat est une femme déprimée qui mène une vie très difficile après avoir écopé 17 ans de prison, pour avoir tué son bourru de mari, un ivrogne qui la bat chaque soir. Le crime a été commis en état de légitime défense. Elle se retrouve ainsi victime d'un regard très dur de la société et l'entourage dans lequel elle vit. Son malheur le plus pénible est d'avoir son fils très remonté contre elle et ne voulant rien savoir des raisons qui l'ont poussée à passer à l'acte.
L'actrice Jalila Talemsi est convaincante sur tous les plans : côté vestimentaire, ses gestes, son comportement, son langage. Elle traduit l'image réelle d'une femme qui se trouve dans une situation délicate. Cette actrice sait parfaitement interpréter son rôle comme il faut ; elle n'a même pas besoin de sa beauté irradiante pour crever l'écran et capter la caméra.

Jalila Talemsi a déjà fait la preuve de ses compétences dans les différents rôles qu'elle a incarnés. Il suffit de rappeler sa prestation, sous la direction du réalisateur Azlarabe Alaoui Lamharzi, dans Androman qui lui avait valu le Prix de la Meilleure actrice au Festival National du film de Tanger [un peu équivalent des Césars ou des Oscars au Maroc, même si c'est un festival ndlr]. N'oublions pas sa présence aussi captivante dans le film Les femmes du pavillon J du réalisateur Mohamed Nadif. Jalila Talemsi est repartie de Tétouan avec Prix de la Meilleure actrice pour cette édition 2023.

Nisrin Erradi, une actrice qui s'envole et le retour d'un acteur fétiche

Quant à Nisrin Erradi, elle a pu dévoiler une autre face d'une actrice qui cumule les réussites. Le réalisateur l'a mise dans la peau d'une handicapée. Du coup, elle passe de la jolie jeune femme, à un être humain incapable d'agir seule, dépendante de sa sœur Amel et de son amie Hayat pour le moindre geste. Ce rôle a séduit tous ceux qui la connaissent dans la vie quotidienne. Là encore, Abdeslam Kelai fait appel à la solidarité entre les gens du même niveau social.

Pour en venir à l'acteur Zakaria Atifi, bien qu'il soit dans un second rôle, il apparait plus grand. Son interprétation traduit la capacité de l'acteur, dans son rôle de méchant contremaitre qui abuse de son pouvoir pour arriver à ses fins par l'harcèlement moral et sexuel. Ce fait est un problème social qui touche la gent féminine prolétaire encore très présente dans la société marocaine.

Un film à la fibre sociale et digne

Dans le contexte du film, le réalisateur a voulu estomper l'idée de toujours voir les femmes pauvres céder aux avances d'un homme qui se pose en tant qu'être supérieur à elles. Le film donne la force et le courage à Hayat, pour faire de son incarcération une arme pour défendre sa petite personne. Un acte applaudi par le public tétouani, en pleine projection.
Le film s'appuie sur un scénario bien ficelé (coécrit par Abdeslam Kelai, Mohamed Lamouissi). On y voit clairement l'ensemble des coins insalubres de la ville gémissant sous le poids de la misère, le chômage. Le réalisateur a dressé un tableau noir d'une catégorie de classe sociale très peu gâtée par la nature. C'est un échantillon de villes qui n'ont pas eu la chance d'aller en avant et n'ont pas eu non plus leurs parts d'intérêts de la part des décideurs et élus de la ville en question.

Poissons Rouges est un film qui s'inscrit dans le registre du cinéma à caractère social. Kelai a soulevé plusieurs problèmes dont celui des femmes saisonnières subissant le harcèlement sexuel comme à l'accoutumée dans de telles circonstances, se référant aux Marocaines qui travaillent dans les champs de fraise en Espagne.
Le réalisateur a soulevé un autre problème : le désir d'expatriation. Il analyse le rêve de passer non seulement à l'autre rive de la Méditerranée (en Europe), mais d'aller plus loin chercher une vie meilleure dans le nouvel eldorado du Moyen-Orient. Ici, il s'agit de la décision de Amel (la sœur de Hoda la petite handicapée), d'aller aux Emirats Arabes Unis où elle a décroché un contrat de travail ; une solution pour subvenir aux besoins de sa sœur malade.

Abdeslam Kelai termine son film par le fils remonté contre sa mère au cœur brisé. Une ode au pardon, à la réconciliation ? Le huis-clos dans la voiture se clôt sur un avenir que chaque spectateur est libre d'imaginer (ou pas).

Propos d'un acteur et assistant-réalisateur

Concernant sa participation dans Poissons Rouges, Zakaria Atifi a bien voulu nous donner son appréciation sur son rôle de contremaitre. "Déjà pour moi, j'apprécie beaucoup ma présence dans ce film. Primo, en tant qu'assistant à la réalisation aux côtés du réalisateur. Deuxièmement, en tant qu'acteur dans un petit rôle. Parce que le directeur d'interprètes croit à mon charisme qui répond à son personnage et cela me va bien.
Ce qui m'a impressionné dans le rôle c'est le tournant des faits : alors que je suis l'homme le plus fort qui fait la pluie et le beau temps, je suis devenu faible et tout petit, devant cette femme qui a l'air de quelqu'un démuni de toute arme. En fin de compte, j'ai retenu la leçon de ne jamais sous-estimer l'autre, quel qu'il soit, homme ou femme."

Amina BARAKAT

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés