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ENTRETIEN AVEC Damien Ounouri, coréalisateur de THE LAST QUEEN
"Les femmes, dans tous les pays du monde, y compris en Occident, ont été effacées de l'Histoire"
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 18/04/2023
Damien OUNOURI, co-réalisateur et co-scénariste du film LA DERNIÈRE REINE
Damien OUNOURI, co-réalisateur et co-scénariste du film LA DERNIÈRE REINE
Bassirou NIANG, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE, correspondant spécial à Djeddah
Bassirou NIANG, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE, correspondant spécial à Djeddah
Adila Bendimerad, réalisatrice, scénariste et actrice algérienne
Adila Bendimerad, réalisatrice, scénariste et actrice algérienne

Ramener une mémoire constructrice ou qui refait l'honneur semble important pour un peuple, nonobstant les différences dans l'authentification des récits. Mais les légendes ont en commun d'avoir ce mérite de porter la part de gloire de figures marquantes ou de peuples ayant marqué la conscience collective. Damien OUNOURI est le coréalisateur (avec Adila BENDIMERAD) du film d'époque The Last Queen - La Dernière Reine (El Akhira). Ce cinéaste franco-algérien nous livre dans cet entretien toutes les raisons qui ont présidé au choix de ce genre cinématographique campé au coeur de l'Algérie du XVIIe siècle. Le film sort le 19 avril 2023, en France.

Africiné : N'est-ce pas audacieux de se lancer dans un projet d'une telle envergure ?

Damien Ounouri : Oui ! au début, on se dit que c'est une folie de se lancer dans un projet comme ça. Un film d'époque, alors qu'en Algérie on n'a pas une vraie économie du cinéma, on n'a pas de repères de cinéma pour un film d'époque. Le film d'époque le plus ancien doit remonter au XIXe siècle. C'est la première fois que l'on remonte 500 ans en arrière. On manque aussi de compétences ; personne n'a vraiment fait de vraies scènes d'action, de grandes reconstitutions historiques. Un exemple tout simple : quand on s'est demandé comment habiller les acteurs, on s'est dit qu'on ne peut aller chercher dans un grand stock de costumes, comme dans un pays où il y a une grosse industrie.
Il fallait tout créer, tout inventer. D'autant plus qu'avec le colonialisme français en Algérie, on a perdu énormément de traces. Par exemple, Alger la Capitale était détruite à 80% durant la colonisation. Énormément de palais ont aussi été détruits. Il fallait donc reconstituer tout cela.

Le challenge était donc à la fois économique et artistique parce que pour financer un film d'époque, il faut mobiliser un budget important. On a eu la chance d'avoir un fonds cinéma au Ministère algérien de la culture qui nous a beaucoup aidés. La France aussi a participé au financement.

Quand on va en Europe (notamment les guichets traditionnels en France), nous avons reçu beaucoup de refus. On nous disait "pourquoi Alger au 16e siècle ?". Moi, je me disais dans ma tête "jamais ils ne poseraient cette question à un Anglais ou un Japonais ou un Français qui veut faire un film sur le moyen-âge".
Ma réponse était simple : c'est qu'on n'en a pas (des films d'époque). On ne s'est jamais vu en tant qu'Algérien dans un film au 16e siècle. On n'a jamais vu notre langue parlée au 16e siècle dans un film. Nous avons un manque de représentation ; une sorte de trou noir. L'objectif était de faire resurgir les ruines et de reconstituer tout cela.

Comment avez-vous procédé ? Vous avez été encadrés par des sociologues, anthropologues et autres spécialistes ? Vous avez effectué des recherches ?

Nous avons effectivement fait beaucoup de recherches. Nous avons aussi été aidés par des historiens tout court ou par des historiens architectes. Mais c'est vrai que nous avons essayé de trouver le maximum de livres qui existaient. Nous avons pris des informations dans des ouvrages historiques, soit algériens ou européens - il n'y en a pas mal en Espagne - ou en Turquie. Après, on croisait les informations historiques pour avoir notre balise des faits réels. Pour les costumes, on a eu la chance d'avoir une experte algérienne qui avait écrit un livre sur les costumes algériens. Ainsi nous avons pu retrouver ces costumes.
Pour l'aspect historique, une fois qu'on a fini le scénario et qu'on l'a soumis à des historiens, ils nous ont indiqué les passages qui collaient à la réalité et d'autres pour lesquels ils disaient ne rien savoir, mais que c'était possible.

Derrière tout cela, il y a un vrai plaisir de cinéma. C'est une vraie envie de cinéma de se dire qu'en Algérie on n'est pas obligé de faire des films contemporains qui montrent la misère, le chômage, la condition des femmes ou le terrorisme. Nous, nous avons des figures héroïques, des légendes, toute une grande histoire qui avait été presque effacée et que nous avons réussi à faire survivre, et il faut qu'on en fasse des films. J'aime bien regarder les films hollywoodiens ; c'est un plaisir de spectateur. Je suis sûr qu'en Algérie, en Afrique, on a aussi un cinéma de ce genre à faire.

Comment s'est fait le choix des décors, pour mieux camper l'époque ?

Le travail de décors est fastidieux. Je vous disais que 80% de la capitale était détruite sous l'ère coloniale. Alors, nous avons dû regarder ce qui restait et qui n'était constitué que de fragments, de parties, puis faire un puzzle de décors. Au final, nous avons tourné dans deux villes : à Alger et dans une autre pas loin de la frontière marocaine - à 500 kilomètres - et qui s'appelle Tlemcen où il y avait plus de palais et où s'est déroulée la moitié du tournage.
Par exemple, le jardin de la Reine est à Alger, mais sa chambre est à Tlemcen. Mais il y a des points communs dans l'architecture qui ont fait que nous avons pu faire marcher ces décors. Dans Alger, il y a au moins six ou sept sites historiques constitués de fragments qu'on a assemblés par la suite grâce au montage. Et c'était cela la vraie difficulté. On se demandait si ça allait marcher, si la mayonnaise allait prendre.

Il y a aussi ce travail énorme sur les costumes fait par Jean-Marc Mireté. Cette direction artistique, c'était pour moi le gros challenge. "Est-ce que nous allons réussir à recréer l'univers et que le spectateur veuille y croire ?", me demandais-je. Il y a aussi le travail sur les accessoires, des antiquités réelles avec de vrais objets, des bijoux, des tissus de grande qualité pour les personnages.
S'ensuit la contribution du Directeur de la photo qui est libanais - un jeune talent, il a à peine un peu plus de trente ans. Avec lui, nous avons travaillé sur une esthétique picturale, sur les ombres. Avec tout de même la difficulté qu'à Alger, les murs sont blancs ; et le blanc au cinéma, c'est compliqué à filmer ; ça surexpose. Et on a eu la chance de voir la pluie tomber par deux fois ; des pluies pareilles en Algérie, ce n'était pas arrivé depuis dix ans. Et ça a donné au film cet atmosphère plus sombre. Il fallait aussi éviter le côté un peu orientaliste qu'on connaît des peintures, parce que nous voulions montrer la vraie ville, les vraies gens, des corps qui se battent.

Je suppose que le casting n'a pas dû être facile ?

Au contraire, en Algérie, le casting, c'est une chose simple parce qu'on a énormément de très bons comédiens et aussi une grande tradition de théâtre, avec de grands théâtres dans chaque ville. Ce qui fait qu'on a beaucoup de comédiens.
Pour le film, il y a beaucoup de comédiens. Je manquais même de personnages pour pouvoir tous les faire jouer. Il y a de vrais talents. Et c'est là où j'ai un vrai plaisir. Nous avons tourné pendant huit (8) semaines. En vrai, dans d'autres pays, ç'aurait été douze semaines, avec trois séquences par jour, six jours par semaine ; c'est assez fatiguant, mais au moins quand il y a les comédiens devant la caméra, c'est un vrai plaisir.

Parlez-nous un peu de la comédienne qui incarne la Reine…

Adila Bendimerad, qui interprète la Reine Zaphira, co-réalise avec moi le film. Elle a participé à l'écriture et elle est aussi productrice de notre film. Par manque de producteurs en Algérie, on se retrouve, en tant réalisatrice et actrice, à être productrice déléguée - mais ça c'est une autre histoire.
Mais pour en revenir à cette Reine Zaphira contestée - certains historiens disent qu'elle n'existe pas, pendant que d'autres soutiennent le contraire. Quand on m'a parlé d'elle, j'ai été fasciné. Je me suis dit que si une femme s'est soulevée face au plus redoutable des corsaires Barberousse et qui a fait un geste tragique comme ça face à lui (dont on retrouve les traces dans des écrits datant du 17e siècle), si elle n'a pas existé, pourquoi les Algériens ont eu besoin de l'inventer, et si elle a existé, pourquoi d'autres ont eu besoin de l'effacer de l'histoire ? Cet aspect légendaire est pour moi très important parce que ça permet les libertés de la fiction et en même temps, même si ce n'est qu'une légende, elle existe dans le patrimoine immatériel depuis le 17e siècle. Donc c'est du patrimoine algérien.

Et il y avait cette envie de raconter l'histoire par l'angle des femmes. Parce que les femmes, dans tous les pays du monde, y compris en Occident, ont été effacées de l'Histoire. Certes, on connait les reines anglaises - il y en a une jusque récemment [Elisabeth II, ndlr], mais en considérant l'Egypte ou Elisabeth la catholique en Espagne, ce sont souvent des reines qui ont pris des places d'hommes et qui ont comme fait des Coups d'État pour avoir le pouvoir. En général, l'histoire des femmes n'est pas racontée. Et ça me tenait à cœur de le faire - nous savons en tant qu'hommes que les femmes sont très influentes et font souvent beaucoup de choses. Elles sont porteuses de vie et ce sont elles qui véritablement font avancer le monde. Mais les hommes les effacent souvent ; peut-être par orgueil, par égo. Et du coup, pour nous, c'est important de raconter cette histoire de femme.
Dans mon film, il y a deux reines - le roi étant marié à deux femmes : une première reine qui vit avec le Roi et qui est politique, stratège, interprétée par Imen Noël. La deuxième, Zaphira, qui ne vit qu'avec des femmes dans son harem et qui n'est pas politique, est déconnectée de la réalité, on va dire sociale et politique. Mais le film va montrer comment elle va être obligée de se transformer. Quand le Roi va mourir, elle va rester en ville, va bénéficier d'une aura populaire, et Barberousse va devoir dealer avec elle.

J'ai toujours travaillé sur cet aspect dans mes films, c'est-à-dire comment faire sortir un personnage ordinaire et voir comment il se transforme. C'est cela que je trouve émouvant au cinéma. Même à Hollywood, dans les films de super héros, ce que j'aime, c'est le super héros n'est pas encore devenu super héros et qui commence à découvrir ses pouvoirs ; c'est cette mutation que je trouve en tant que spectateur qui a une identification plus forte.
J'avais fait mon documentaire sur mon grand-oncle dans la révolution algérienne [Mohamed El Hadi Benadouda, avec le film Fidaï, 2011, NDLR] ; c'était un berger qui n'a pas été longtemps à l'école, qui n'était pas politisé, mais à 18 ans il s'est porté volontaire pour la lutte armée pour libérer mon pays. Et il va devenir un exécuteur pour le FLN. On est donc parti d'un berger pas politisé qui devient un guerrier. Quelque part, il prend une posture héroïque.
Le film qu'on a fait sur "La femme méduse" (Kindil el Bahr - قنديل البحر, NDLR), c'est une femme ordinaire, une mère de famille qui se fait agresser, qui meurt en mer et qui revient sous la forme d'un monstre marin et qui se venge. C'est pareil cette transformation. Et là, on a cette Reine ordinaire, un peu superficielle au début, qui s'en fiche un peu de la famine, festoyant dans son palais et qui, d'un coup, va devenir politique. Le film montre cela.
Le début du film est très masculin : le Roi et Barberousse qui font la politique et la guerre. Progressivement, ils vont disparaitre et laisser la place aux Reines. L'une va monter les rebelles algériens contre Barberousse, tandis que l'autre, la Reine Zaphira, va devoir se battre seule pour mettre son fils sur le trône et faire face à Barberousse. La compagne de Barberousse, une scandinave, c'est elle qui conseille son mari en politique. Il y a clairement un pouvoir féminin.

Quelles sont les qualités d'actrice que vous admirez chez celle qui incarne la Reine Zaphira ?

Moi, j'admire son travail de comédienne. Elle a beaucoup joué dans les comédies de Merzak Allouache comme Le Repenti, Normal et Les Terrasses. Elle a un naturel… En fait, on a du mal à savoir quand elle joue et quand elle ne joue pas. Et moi, j'aime ce naturel. C'est la famille d'actrices comme Juliette Binoche, en France, ou Gena Rowlands. Ce sont un peu des actrices incontrôlables. Chaque prise est différente. Évidemment, la scripte n'est pas contente ; le DOP [Directeur Photo, ndlr] essaie de suivre. Et pour moi, il y a de la vie.
Face à elle, il y avait Dali Benssalah qui joue Barberousse et qui est comme moi, Franco-Algérien, et qui a joué dans James Bond, dans Automne Today [Mourir peut attendre, ndlr] et très récemment dans Athena [réalisé par Romain Gavras, 2022, sur un scénario de Ladj Ly, Elias Belkeddar et Romain Gavras, ndlr] qu'on peut voir sur Netflix ; lui aussi a un très grand talent. Et faire ce duo, en tant que réalisateur, c'est un très grand plaisir.
J'ai le scénario, le découpage ; je fais ce que je veux pour faire le film, mais je dis Action, c'est là où la magie se passe. C'est là où d'un seul coup, ça ne m'appartient plus. C'est le corps du comédien, c'est sa voix, sa respiration, sa façon de bouger qui prennent le texte et lui donnent vie. C'est le moment où le film apparaît. C'est pour ça que c'est important d'avoir un bon casting. Celui qui incarne le Roi (Tahar Zaoui), celle qui incarne l'autre Reine (lmen Noël), sont de supers comédiens en Algérie. J'ai la chance de les avoir. Certains sont venus pour jouer pour deux ou trois jours, alors que d'habitude ce sont eux les premiers rôles. Mais ils ont compris que l'important, ce n'est pas forcément la quantité de scènes, mais plutôt la qualité. À l'image de celui qui joue le frère de la Reine Zaphira. Il en a fait deux qui sont très fortes. C'est vraiment beau à voir.

Racontez-nous un peu comment s'est passée votre rencontre avec l'un des producteurs, lors d'un festival en Allemagne.

Nous avons une co-production française déléguée, Agat Films - notre film d'avant, le moyen-métrage Kindi El Bahr, projeté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, en 2016. Et là, on avait déjà rencontré une productrice venant de cette société Agat Films, Murielle Ménard, qui avait manifesté son intérêt pour nos futurs projets de films, parce que, disait-elle, elle adore ce que nous faisons. Quelques mois après, je montre le film à Hambourg, à l'invitation d'Alex Moussa Sawadogo du Fespaco qui connaissait l'histoire du film. Et quand il l'a vu, il m'a dit : "ton film, ce n'est pas un long-métrage, mais je vais essayer de trouver des moyens. On va en faire un cas spécial et il faut qu'on le monte". Je lui dis "Merci, Moussa ! J'arrive !" Et là, à Hambourg, je croise un comédien algérien, Samir Guesmi, qui a joué dans un film qui s'appelle L'Effet Aquatique produite par Agat Films.

Je rencontre aussi Patrick Sobelman qui voit le film et qui l'a adoré et se dit disposé à produire le prochain. C'est quelqu'un qui a beaucoup d'expérience et qui veut partir à la retraite, après trente voire quarante ans dans le milieu, une force tranquille qui sait garder son sang-froid. Et il a eu un peu la folie de nous suivre, nous les Algériens. Parce qu'en Algérie, on ne fonctionne pas de la même manière qu'en France où c'est un vieux système calibré, avec un ordre pour faire les choses. Ce qui n'est pas le cas en Algérie où c'est un peu moins carré, mais ça marche. Il suffit juste de connaitre la façon de fonctionner. Pendant très longtemps, c'était bloqué et tout d'un coup ça s'ouvre. Ce ne sont pas forcément les mêmes règles, mais il nous a fait confiance et nous a suivi, y compris quand il y avait de gros manques d'argent.
On ne savait pas avec quoi faire le film. Je lui dis : "Patrick, on se lance et en ramenant des images, tu vas voir, on va pouvoir lever un peu plus de fonds". Il nous a toujours soutenu dans cette folie. Et aussi - ce qui n'est pas le cas de tout le monde par rapport aux producteurs et coproducteurs parfois européens avec les pays africains dits du Sud - c'est qu'il y avait un total respect.

Il n'a jamais cherché à nous imposer ses décisions comme, par exemple, dans le choix de tel ou tel autre comédien ou technicien. Les choix artistiques ont toujours été entre mes mains et celles d'Adila. Et cela, c'est une collaboration de confiance vraiment importante. Notamment pour tout ce qui est préparations. Les tournages, c'est vraiment entre nos mains en Algérie. C'est notre terrain ; c'est nous qui nous débattons.

Maintenant, au moment de la post-production, comme en Algérie, on n'a pas de laboratoire. Nous sommes allés en France pour le faire. C'est là où toute la machine d'Agat Films, de production française, s'est mise à notre disposition pour les besoins du montage, de mixage et d'étalonnage, de copie. C'était presque des vacances pour nous…
Sur le financement, nous sommes majoritaires, côté algérien. Nous avons une part, en France, de co-production avec Les Cinémas du Monde, le CNC, et un distributeur, Orange Studio qui était aussi venu sur le scénario. Ce n'était pas suffisant. C'est alors qu'on a eu un financement du Red Sea Fund qui est arrivé au milieu du tournage et qui a permis de combler les trous de budget, et aussi les Fonds traditionnels du Moyen-Orient comme AFAC [Arab Fund for Arts and Culture, Liban, ndlr] et Doha [le Doha Film Institute, DFI, Qatar, ndlr].

J'ai aussi monté une co-production avec Taïwan - un fonds qui s'appelle TAICCA [Taiwan Creative Content Agency, ndlr] - où j'ai fait les effets spéciaux visuels et le bruitage. Concernant les films de combat, les Asiatiques sont très forts. Alors je savais qu'ils allaient me faire des bruitages très forts. Le mixage s'est fait à Pékin, en Chine. Côté musique, une partie est algérienne, mais majoritairement, ce sont les Russes qui l'ont faite. Il y a eu donc un mélange artistique international.

Allez-vous continuer à faire des films d'époque ou des documentaires historiques ?

C'était d'abord fatiguant de faire celui-ci : il nous a fallu sept ans. C'est long, avec beaucoup de sacrifices et de solitude ! Nous avons envie d'aller sur des choses plus simples.
En même temps, ce dont j'ai envie, c'est que nos collègues africains, du monde arabe, fassent eux-aussi des films d'époque. Peut-être que je me trompe, mais vous vous rendez compte que depuis le film Le destin de Youssef Chahine, il n'y a pas eu de film d'époque en Afrique et dans le monde arabe. Il n'y a que des films contemporains. C'est bien, il en faut ! C'est très bien ! Mais on peut pousser plus loin dans la fiction, en allant, par exemple, vers le polar, le film policier, le film fantastique, le film d'aventure, le film historique…

C'est très bien qu'il y ait Black Panther, mais ça reste des visions hollywoodiennes ; ce sont des Marvell, et pour moi, ce n'est pas de la mythologie innocente. On est content d'avoir un Noir comme héros, d'être représenté aux Oscars, ça flatte notre égo. Mais, au fond, ça ne sort pas de chez nous. Il faut que nous-mêmes racontions nos propres histoires.
Dans nos diasporas, il y a toujours un spécialiste, un historien : sur le costume, sur la poésie ou un grand écrivain pour faire de bons scénarios. Et au final, nos traditions ancestrales, nous les avons gardées. Dès fois, il suffit juste de sortir du centre-ville et aller voir comment on mange, comment on s'habille, quels objets traditionnels on utilise ; et comme ça, on arrive à reconstituer des films d'époque.
J'espère voir mon continent avoir plus de films d'époque pour montrer ces histoires. On nous parle souvent de Game of Thrones, c'est très bien, mais en même temps, c'est de la pire fiction. Nous, peut-être que c'est un peu Game of Thrones, mais c'est très algérien. La langue, ce que les personnages mangent, portent comme habits, tout est très algérien. Je veux le voir au Sénégal, au Rwanda, en Afrique du Sud - qui développe une vraie économie du cinéma - et ailleurs sur le continent.

Après, je ne voudrais pas (re)faire un film d'époque, mais un du XIXe (19e) siècle et qui sera du genre ni western ni arts martiaux, mais dans un contexte de colonisation très violent, très virulent. Adila est en train d'écrire un film dans les années 1920 à Alger. Les années folles à Alger, c'est différent de Paris. C'est l'époque où il va y avoir la première troupe de théâtre créée par les indigènes qui s'exprimaient en arabe algérien. C'est aussi le moment où naîtra le barreau d'Alger pour les indigènes qui seront défendus pour la première fois par des avocats. C'est aussi le moment de la création de la première équipe de football du monde arabe. C'est le moment où il y aura une prise de conscience politique et intellectuelle pour la construction d'une force algérienne. Il y aura la répression du 8 mai 1945, la répression française, et du coup il y aura la guerre. Mais cette effervescence culturelle et artistique à Alger est vraiment un beau sujet.
La naissance du barreau algérien que j'évoquais tantôt, il va être créé par un Guadeloupéen... je ne sais pas... ou un Martiniquais [Me Maurice L'Admiral (1864-1955), est né en Guadeloupe, ndlr], et ce monsieur est un mulâtre, le terme raciste que l'on utilisait à l'époque. En arrivant en Algérie, il a vu le colonialisme. Les premiers indigènes qu'il a défendus c'étaient des gens qui avaient fait des émeutes contre les colons propriétaires dans un village. La cause de ces émeutes, c'était que ces terres leur appartenaient, ils les cultivaient et nourrissaient leurs familles avec, alors les Blancs sont venus les leur arracher et les faire travailler sur ces mêmes champs. Cet avocat a dit que ce ne sont pas des émeutes primaires, mais que leur raison était politique, une injustice sociale ; ce sont des êtres humains, et ils ont droit à la défense. Plus tard, viendra aussi Frantz Fanon

Entretien réalisé à Djeddah par
Bassirou NIANG

Lien (conférence sur Me Maurice L'Admiral) : https://glycines.hypotheses.org/313

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