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Entretien avec Anis Lassoued, réalisateur tunisien
"Le cinéaste en général s'adapte à toutes formes de contrainte"
critique
rédigé par Amina Barakat
publié le 28/04/2023
Anis LASSOUED, réalisateur, scénariste et producteur tunisien
Anis LASSOUED, réalisateur, scénariste et producteur tunisien
Amina Barakat, Rédactrice (Rabat) à AFRICINÉ MAGAZINE
Amina Barakat, Rédactrice (Rabat) à AFRICINÉ MAGAZINE

Venu du pays des Jasmins, plein d'idées et d'amour pour le 7ème art, Anis Lassoued était invité à la 27ème édition du Festival du cinéma méditerranéen de Tétouan au Maroc. L'évènement s'est déroulé du 10 au 17 juin 2022. Son film Gadeha : une seconde vie était en lice dans la compétition longs métrages de fiction. Il y avait douze autres films, venus de différents pays méditerranéens.

Anis Lassoued, lauréat des écoles du cinéma en Tunisie, en l'occurrence l'institut maghrébin de cinéma de Tunis. Il a enchainé avec des études de cinéma à l'université de Tor Vergata-Rome en Italie. Son 1er bébé est Les poupées de sucre de Nabeul, primé aux Journées cinématographiques de Carthage en 2005. Sa première fiction est Moisson magique (Saba Flouss). Il a également collaboré avec la chaine Al Jazeera Children, en réalisant des documentaires dont une trilogie sur les enfants des villages arabes : Fille Garçon (au Yémen), Demain … Boutheina (en Algérie), Yacoub l'enfant de la mer (en Mauritanie).
Il est connu pour la défense des enfants, un thème présent dans plusieurs de ses courts métrages. En 2016, il obtient le prix national des droits de l'enfance pour sa participation à la promotion de la culture des droits de l'enfance et la défense de sa cause à travers son film Souliers de l'eid. Ses films ont été primés dans de nombreux festivals internationaux. Ce succès planétaire a fait d'Anis Lassoued un réalisateur de renommée internationale, vu son dynamisme et ses principes envers les enfants et les femmes, deux êtres humains piliers d'une société saine.

Gadeha : une seconde vie (2021) est son 1er long métrage fiction. Il lui a valu, à son tour, au festival de Tétouan 2022 au Maroc, le prix de la première œuvre et une distinction décernée à la petite Ghalia et à l'acteur principal Yassine Tormsi. Ce dernier jour le rôle de Gadeha, un adolescent qui vit seul avec sa maman, en l'absence de son père porté disparu, lors d'une évasion par un boat people, dans l'espoir de gagner l'autre rive de la Méditerranée, Eldorado des jeunes maghrébins. Pour son première prestation au cinéma, Yassine Tormsi a comblé les attentes du réalisateur. Son interprétation n'est pas passé inaperçue. Il a brillamment campé son rôle de jeune rebelle complexé par son statut de garçon pauvre, victime d'une vie assez dure pour son âge.

En 2012, sa fiction Sabat al eid (qui veut dire "Les chaussures de la fête", en arabe), a vu le jour. Depuis lors, la manivelle continue à tourner. Anis Lassoued a été distingué par le Prix national de la protection des droits de l'enfant, en raison de l'importance qu'il réserve à ce thème qu'il traite selon ses principes et convections. Il défend ces petites créatures humaines, livrées à elles même, que la malnutrition, l'abondance scolaire, et la misère n'a pas épargné ;à son effectif aussi l'écriture des scénarios.
Anis Lassoued a eu l'amabilité de répondre à quelques questions qu'Africiné lui a posées.

En tant que cinéaste, quels sont les problèmes qui se posent à vous, pour réaliser vos projets de films ?

Au fait, les problèmes qui se posent au niveau de la réalisation - surtout pour moi qui fait des films avec les enfants - sont énormes. Déjà on ne peut pas tourner avec un enfant plus d'une séquence (2 heures) le matin et une séquence le soir (2 heures). Puis, il y a la gestion du temps qui représente pour moi une problématique. Car, pour fabriquer un film, il faut beaucoup de patience.
En plus, l'équipe technique n'a pas toujours l'habitude de travailler avec les enfants qui nécessitent le double du temps qu'il faut pour tourner une séquence. Par exemple, on tourne avec des adultes pendant une semaine ; avec les enfants il faut deux semaines.
Pour convaincre un producteur, c'est très difficile parce qu'ils prennent les enfants pour des adultes professionnels. L'angoisse de ne pas tourner ce qui est prévu sur le papier, de la manière qui me convient, est une tourmente. De ce fait, la gestion du temps devient une corvée, surtout pour pouvoir tourner ce que je veux c'est-à-dire aller au bout de mes rêves.


Trailer SABA FLOUSS, de Anis Lassoued

Mes films, je les vois dans mes rêves avant de les réaliser. Donc, je fais tout au petit soin, j'adapte les personnages aux décors. Je travaille avec le storyboard, la joie et les larmes de chaque personnage. Moi seul dirige mes acteurs. D'ailleurs, j'interdis tout contact entre mes acteurs et techniciens, pour les protéger de toute influence. Je tiens à être le seul proche de mes enfants et ça m'arrive de devenir aussi un enfant. Mais, des fois, ça peut me jouer de mauvais tours.

Le cinéma tunisien a progressé, autant au niveau de la qualité que de la quantité. Est-ce que vous avez pu saisir cette opportunité pour travailler encore plus ?

La vérité, c'est que je ne choisis pas les opportunités dans le cinéma ni les thématiques car c'est elles qui me choisissent. Jusqu'à maintenant, je travaille sur des sujets qui m'intéressent le plus, surtout ceux qui ont rapport avec les enfants. J'ai toujours refusé les opportunités. Par contre, j'ai envie de faire mes films pas ceux des autres, donc pas de commande, ou bien rarement mais avec et sur les enfants ou la nature.


Trailer YAAKOUB, L'ENFANT DE LA MER, de Anis Lassoued (film tourné en Mauritanie)

Ton film Gadeha : une seconde vie avait été en lice au Festival du cinéma Méditerranéen tenu à Tétouan, au Maroc, du 10 au 17 Juin 2022. Il a été applaudi par le public. Ses deux jeunes acteurs, Ghalia et Yassine Tormsi, ont séduit les critiques. Le film est reparti avec un prix de la 1ère œuvre. Que représente cette consécration pour vous ?

Cela représente beaucoup pour moi, le fait d'être distingué au festival de Tétouan. Cette belle ville marocaine qui se trouve au nord du pays, avec une très bonne équipe organisatrice et une sélection de films intéressants. Heureux de cette première présentation maghrébine de Gadeha. C'est aussi un honneur pour moi de le présenter au Maroc et voir la réaction d'un public qui appartient à ma culture maghrébine.
Le public a partagé la joie avec Yassine et Ghalia. Ça aurait été encore mieux si les autres acteurs /enfants vivent ces moments pleins d'émotion. C'est la première fois que Yassine se voit dans le film. D'ailleurs, il m'a dit après la projection : "Anis, je n'ai jamais cru que je pouvais faire ça". Il était super heureux. Cet enfant a donné beaucoup d'énergie et beaucoup d'amour et de tonicité en se mettant dans la peau de Gadeha.


Trailer UN ÉTÉ À SIDI BOUEZEKRI, de Anis Lassoued

Il est certain que le cinéma maghrébin souffre du manque de sources quant à la production. Est-ce que vous croyez que la coproduction Sud/Sud est une solution pour cette problématique ?

On doit résoudre le manque de financement seuls. Au niveau Sud/Sud, on doit rassembler plusieurs boites de productions en une, pour travailler sur un seul film. Il faut seulement croire aux réalisateurs et aux histoires, organiser la distribution pour qu'il y ait une entrée d'argent. Et surtout les distributeurs ne doivent pas manger la sueur des producteurs, car la distribution est le problème numéro un au Maghreb. Nos distributeurs prennent tout et ne donnent rien. Donc les réalisateurs et producteurs deviennent des esclaves de leurs films et de ces messieurs.
Il faut donc que les films ramènent de l'argent. Plus une billetterie unique, qu'il y ait une clarté ainsi qu un contrôle du Centre Cinématographique Marocain et du Centre National du Cinéma tunisien au niveau des rentrées d'argent. Il faut faire des statistiques sur les chiffres et sur l'argent que peut rapporter un film tunisien, marocain ou algérien. Il faut aussi que la distribution soit au niveau du Maghreb. On est 100 millions de Maghrébins, avec la même culture, la même langue, avec une légère nuance au niveau du dialecte. Il suffit de voyager une fois au Maroc pour comprendre le marocain et vice versa. Donc, c'est un vrai espace de distribution de 100 millions d'habitants. Un film doit donc sortir dans les 5 pays du Maghreb en même temps ; un défi à relever dans les années futures et aussi chercher d'autres ressources de financement pour pouvoir vivre de notre travail.


Trailer FILLE GARCON, de Anis Lasoued (film tourné au Yémen)

La crise du Covid 19 a freiné la réalisation de beaucoup de projets au cinéma. Comment vous voyez l'avenir du 7ème art en Tunisie ?

Les contraintes en Tunisie existent, mais celle du Covid 19 a donné la chance à d'autres types de productions. Des longs métrages, des documentaires et des courts métrages ont vu le jour pendant le confinement. Le cinéaste en général s'adapte à toutes formes de contrainte. Il a donné plus de force et plus d'idées, pour surmonter cette crise pandémique.

En Tunisie comme dans la majorité des pays arabes, la femme a pu trouver une place privilégiée derrière la caméra. Quel regard portez-vous sur les films réalisés par elles ?

On a toujours eu des femmes réalisatrices qui ont fait de bons films et ont pu avoir une place privilégiée dans le cinéma tunisien, telles que Moufida Tlatli, Salma Baccar, Nadia Fani, Raja Amari, Hind Boujemaa, Kaouther Ben Hania, …. La liste est longue. Les jeunes réalisatrices, on n'en compte plus, car elles sont présentes et très nombreuses. En Tunisie, on ne pose plus la question d'égalité entres les deux sexes qui travaillent dans le 7ème art. On parle plutôt des scénarios, des fictions et documentaires.


Trailer DEMAIN... BOUTHEINA, de Anis Lassoued (film tourné en Algérie)

Ceci dit, elles ont un regard assez fort et particulier, sur la société. Elles savent comment raconter leurs histoires avec un regard qui les intéresse le plus. En tant que femmes, elles ont aussi le courage de traiter les sujets tabous, dans une société conservatrice. Elles ne sont pas des femmes soumises puisqu'elles assument leurs choix et leur place dans l'environnement où elles vivent. Elles arrivent à convaincre les producteurs, par leur assurance et la qualité de leurs produits qu'elles présentent.
Mais, cela ne veut pas dire que les hommes ne font pas de bons films sur les femmes. Je pense que la Tunisie est une femme. Une chose est sûre : c'est que je suis contre l'idée du sexisme dans le cinéma car la femme a très vite pris sa place dans le cinéma. Elle est d'ailleurs pionnière au cinéma, comme dans tous les domaines, y compris au niveau de la technicité.

Propos recueillis par Amina Barakat

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