AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 994 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
LE PANTHÉON DE LA JOIE. Elégie prosaïque et musicale au Bénin
LM Fiction de Jean Odoutan, France / Bénin, 2023
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 02/05/2023
Michel Amarger, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel Amarger, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Jean ODOUTAN, réalisateur et acteur béninois français
Jean ODOUTAN, réalisateur et acteur béninois français

Sortie France : 3 mai 2023
Distribution : 45rdlc

Il est difficile d'aborder Ouidah qui fut l'un des plus actifs comptoirs de la traite négrière, au Bénin, en occultant ce lourd passé, ni la présence du culte vodoun qui anime encore les esprits. Et pourtant Jean Odoutan tente de désamorcer cet héritage omniprésent en osant une comédie musicale, filmée à Agbanou, un des quartiers les plus défavorisés de la ville.
On a déjà mesuré l'aptitude du cinéaste né à Cotonou, basé en région parisienne, à fabriquer des œuvres comme des défis dont il est l'auteur, le producteur et même le musicien. Après Pim-Pim Tché - Toast de vie !, 2016, il retrouve le Bénin pour son sixième long-métrage, Le Panthéon de la Joie, 2023, truffé de répliques choc et d'autodérision.



On suit les déambulations et les tribulations quotidiennes de quatre garçons du quartier. Elysée, habile à la course de pneus, porte un bonnet rouge en hommage à Che Guevara, et une guitare en bois. Concorde, grand et fort, affiche une bouteille en verre à son cou pour rythmer les chants. Placide, grand gaillard aux longues tresses, séducteur d'une marchande de citrons, s'accompagne d'une guitare rouge. Aimé, cheveux ras, participe aux petits larcins et aux combines de la bande, scandés par des chansons, des quêtes et des rencontres.
Tous rêvent de partir en France pour réussir, motivés par la contemplation de la villa luxueuse d'Oncle Gabriel, alias Grand Frère Tambour-Tam-Tam, devenu propriétaire de pressings à Paris. Omniprésent dans la quartier par ses photos et les graffitis que le célèbrent, le parvenu ne quitte plus la France hormis pour un ultime retour inopiné sous une drôle d'apparence. Entretemps, les gamins chapardent pour manger, aiguisant leur désir de s'en aller pour réussir tandis que des aînés assurent que "partir n'est pas la solution". Et des chants convergent pour affirmer : " Africa de demain c'est nous".

La fiction de Jean Odoutan ne raconte pas grand-chose sinon les anicroches du quotidien où les gamins se frottent à quelques figures du quartier dont des femmes décidées. Il valorise ses héros, marqués par une mauvaise insertion familiale, révélée par des flashbacks en noir et blanc. L'un est un enfant placé, l'autre est sans existence officielle, faute d'acte de naissance. Leur copain a eu son père tué par les djihadistes, son camarade a perdu le sien dans un accident de la route. "Pour aller au bout de leur rêve, ils chantent, dansent, demandent l'aumône, sourient à la vie et emmagasinent piécette après piécette", observe le réalisateur. Leur objectif est de réussir en exil pour devenir patron de stations services, pharmacien, écrivain… à Paris, ville des lumières et des utopies.
"Le thème de la migration court tout le long du film. Et dans une ville qui a connu la traite négrière", relève Jean Odoutan, "il faut traiter le sujet avec tact". Il est vrai que le quartier d'Agbanou, déserté par les colons aisés et les commerçants depuis l'indépendance, en 1960, est un des moteurs qui entraîne paradoxalement Le Panthéon de la Joie. "Il n'y a plus vraiment de vie économique, n'y logent que des familles en situation précaire : femmes âgées, mères célibataires…", souligne le cinéaste en cadrant des enfants débrouillards qui bravent la misère en volant, en jouant de la musique pour survivre et avancer au mieux.

La croyance dans le dieu des chrétiens, mainte fois mise en avant par des mères et grands-mères, comme celle des esprits du culte vodoun, aide les personnages à résister et le cinéaste à conclure son histoire. "Dans le film, l'arrivée du égun-gun de Gabriel matérialise ce syncrétisme, cette présence d'une force au-delà, ou en deça de toute religion particulière", glisse le réalisateur malin qui prête ses traits aux photos de Tonton Gabriel, alias Grand Frère Tambour-Tam-Tam, symbole de la réussite en France comme de la sienne. Car Jean Odoutan manie la dérision et le sens de la promotion sans faillir depuis son premier long-métrage, Barbecue Pejo, 1999.
Avec sa caméra portée baladeuse, son sens de la formule rodé dans les dialogues, ses acteurs de terrain, mobilisé pour la cause, il retrouve des complices aux postes de techniciens principaux pour chanter Le Panthéon de la Joie au son de ses propres partitions. Compositeur improbable mais efficace, producteur fauché mais productif, Jean Odoutan ambitionne de "tout montrer, faire sourire, chanter, danser, émouvoir sans rien édulcorer". Ses personnages, face caméra, interpellent les spectateurs, se détachant des décors délabrés. "Ce film est une comédie musicale sociale, pleine de rires, de chants, de musiques, de joie, d'humour, d'autodérision et bourrée d'émotions", estime Jean Odoutan, fier d'orchestrer avec énergie et candeur, Le Panthéon de la Joie.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés