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entretien avec Dani Kouyaté à propos de Ouaga Saga
"Ma conception du cinéma est que c'est plus que jamais de la création collective".
critique
rédigé par Olivier Barlet
publié le 05/07/2005

Festival Ecrans Noirs du cinéma d'Afrique francophone (FENCAF, Yaoundé, Cameroun), 2005. Bulletin n°1.

Voilà une toute autre démarche que Keïta ou Sia, des grands films en 35. Ouaga Saga est un produit délibérément populaire, fête foraine, on a envie de dire "la vie est belle" en sortant ! D'où vient cette volonté ?

Pour dire la vérité, elle ne vient pas de moi, elle vient du scénario, qui est un très bon scénario de ce point de vue-là. Ce sont les auteurs qui ont voulu faire cet hommage à Ouaga et à la jeunesse du Burkina. Tout est parti de là.

Ce n'est pas toi qui amènes le scénario au départ ?

Non. Moi je ne peux pas faire un scénario avec un happy end. Ça c'est clair ! Il a été écrit par deux Français qui ont vécu au Burkina, et qui ont vraiment aimé le Burkina et qui ont voulu rendre hommage à Ouaga et à la jeunesse, à travers cet optimisme. Ce qu'ils voulaient, c'était surtout quelque chose de positif. Et moi j'ai eu la charge de faire sortir ça du scénario et pour moi ça a été un exercice assez compliqué. Tu connais le cinéma africain : la tendance est plutôt au grave qu'au rigolo. Donc pour moi c'était un pari de faire sortir l'atmosphère de ce scénario, d'autant plus qu'en réalité il n'y a pas d'histoire. C'est un film d'atmosphère, un film positif pour donner un peu d'oxygène.

Il y a un côté chronique très fort.

Oui, tout à fait. Et ça, quand je dis il n'y a pas d'histoire, ce n'est pas une lacune : c'est un style, et il fallait respecter ce style-là. Parce que si je cherchais une histoire dans le film, je démissionnais sur le scénario. Je devais chercher l'atmosphère de l'intérieur de film, et pour cela la productrice a été très importante car elle était du même point de vue que le scénario. Je pense que c'était fondamental d'avoir une productrice qui était là et qui voulait que sorte de ce scénario quelque chose de positif et de jovial. Ça a donc été une rencontre entre un scénario qui se voulait ainsi, et une production qui a tout fait pour amener la chose dans cette direction. Moi j'étais là pour essayer de concrétiser tout ça. Ca m'a boosté un peu c'est vrai, j'ai abandonné beaucoup de mes vieux acquis, j'ai remis en question plusieurs choses. J'ai ouvert mes horizons et suis allé vers d'autres directions et ce film peut surprendre pour les gens qui ont l'habitude de voir mon travail : il va un peu à contre-pied de ce que j'ai fait jusqu'ici.

Peux-tu encore dire : je suis griot, fils de griot donc je fais un produit de griot ?

Oui, car pour moi ce film est un conte. D'ailleurs si je ne m'étais pas appuyé là-dessus je n'aurais pas pu le faire. Je considère que ce film est un conte de griot, parce que quand je raconte une histoire, à des enfants ou a des adultes, je suis dans la dérision totale. Quand je te cite les fables de La Fontaine, le renard et le corbeau, il se trouve que le corbeau c'est mon voisin. Les contes, c'est de la dérision. La métaphore, c'est l'art du griot, et c'est l'art du cinéma. Les deux se rencontrent. Je me suis appuyé sur ma folie de conteur pour pouvoir faire ce film. La monteuse son par exemple me proposait certaines choses, si je n'étais pas tendance dérision, je me serais évanoui !

Là où je fais une différence, c'est cette sorte d'affirmation du cinéma, de fascination du cinéma : tu mets même le mot cinéma en flashes et clignotants comme décor d'une scène lorsque le gars raconte Rio Bravo de Howard Hawks… Et on débouche sur Ouaga multiplexe !

C'est fabuleux, non ?

Complètement ! C'est en tout cas une vraie référence !

Oui, pour moi il y a trois hommages dans le film : un hommage à la ville de Ouaga, un hommage à la jeunesse, et un hommage au cinéma. Les trois choses sont liées quelque part. Ouaga est liée au cinéma à cause du Fespaco, et le Fespaco c'est aussi la jeunesse… Et pour moi ces trois choses vont ensemble dans le même hommage en fin de compte, et donc Ouaga multiplexe, et le shérif, et l'âne et la séance de cinéma, et la chanson western sur les femmes qui descendent vers le commissariat, pour moi tout ça c'est Ouaga, tout ça participe du rêve de la ville de Ouaga, et de l'hommage que les auteurs ont voulu mettre dans leur scénario.

L'âne, tu as pensé à Borom Sarret ?
Non pas du tout. Ce que je dois dire, c'est que ce film est vraiment une création collective. À chaque étape, il y a eu des choses qui sont arrivées, qui n'étaient pas écrites ou pas attendues. Chacun a vraiment mis son grain de sable dans cette histoire, à tous les niveaux : au niveau de l'écriture par exemple, au niveau des dialogues, on a fait appel à d'autres personnes, qui les ont nourris avant le tournage. Après pendant le tournage avec le directeur photo on a inventé de nouvelles choses qui n'étaient pas prévues. Avec le monteur il a trouvé des choses ; le coup de la voiture qui circule qu'on pousse en permanence, ça sort du monteur, pas du scénario. Au montage son aussi il y a eu de nouvelles choses.

Alors quand tu parles de conte, c'est un peu conte de fées : le gars qui gagne à la loterie, etc. On est aussi bien dans La Petite vendeuse de Soleil de Djibril Diop Mambéty que dans Wariko de Fadika Kramo-Lanciné. Et ce côté conte de fée permet de faire une analyse sociale par derrière, mine de rien.

Tout à fait et c'est assez loin de mon univers habituel. D'habitude je suis assez rationnel et assez dur avec les politiciens et tout le bataclan et puis l'esprit qui est dans le scénario a été protégé par la collaboration et aussi par mon ouverture parce que je n'avais pas envie de trahir le scénario : autrement j'aurais fait autre chose. Et là je n'avais tellement pas envie de trahir l'esprit de ce scénario que je me suis appuyé sur tout ce et tous ceux que je pouvais, dont mes collaborateurs et chacun à sa façon y a contribué. Il y avait un challenge, très puissant, fragile et complexe, quasiment métaphysique : c'était de s'ouvrir sans se perdre, sans perdre l'âme, sans que la ville perde son âme, sans que les jeunes perdent leur âme. C'est un exercice qui n'est jamais gagné d'avance et c'est ce pari qu'on n'a pas trop raté. J'espère. J'attends de voir la réaction du public.

Sur la question des acteurs, on reconnaît certains bien sûr, et puis il y a ce gamin, Thomas Ouédraogo, qui est assez extraordinaire : on l'avait vu dans Voyage à Ouaga, dans Source d'histoire d'Adama Roamba sur les enfants soldats : c'est un acteur né, ce gamin !

Oui il a vraiment beaucoup de talent il fait partie de ceux qui tiennent le film.

Je l'avais interviewé à Namur il y a deux ans surVoyage à Ouaga, et je lui avais demandé "Que faut-il pour être un bon acteur ? " et il m'avait dit : "être bon en maths !" - Comment ça ? "Oui car quand tu es bon en maths, tu as une bonne mémoire et tu retiens bien ton texte…" (Rires) Il est étonnant. Il était tout timide, un peu plus jeune…

Oui moi j'ai pensé qu'il était timide le premier jour ! il ne m'avait pas trop inspiré. Mais il faut dire qu'on avait fait tout un travail avec eux : pendant un mois ils ont travaillé ensemble. Nous avons fait les auditions, ça a été assez long, et quand on a regroupé les jeunes, j'ai dû les confier pendant un mois à Madou Boro, un metteur en scène de théâtre qui travaille beaucoup avec les jeunes, qui les a encadrés, trois fois par semaine, et ainsi a pu créer cette magie, cet esprit. Après ils ont travaillé les dialogues en amont, se sont approprié ce qui était écrit, il y avait une certaine souplesse dans ce qui était écrit et ce qui devait être dit. Serge Henri aussi, un de nos acteurs, le voisin du film, a travaillé avec eux.

Il y a par moments l'utilisation extraordinaire de musiques de cinéma, de références comme la reprise de Rio Bravo

La musique fait partie des choses qui nous ont le plus fatigués dans le film parce qu'on n'a pas eu beaucoup de temps pour la travailler. Ceci dit, on a été au bout de ce qu'on avait à faire avec ce qu'on avait. Mais je peux dire que s'il y a une seule frustration dans toute cette histoire, c'est de n'avoir pas pris assez le temps et la disponibilité de voir ce qu'on pouvait faire de notre bande-son. On a traité au mieux la musique, sincèrement, dans l'esprit des choses, et ça, c'est en grande partie grâce au monteur qui après un premier bout à bout s'est amusé à balancer des musiques sur certaines images et à nous les proposer et il se trouve que ça allait dans le sens qu'on cherchait donc on s'est enfoncé là-dedans.

Pour le choix des musiques, il n'y a pas eu un musicien sur le film en particulier ?

Oui, il y a eu un musicien pour les morceaux originaux. Tout ce qui est musique de Ouaga, le thème a été composé par un musicien qui s'appelle Mokhtar Samba. Il y a quelques morceaux aussi d'atmosphère créés par lui sous la direction de Marc Miller qui est un compositeur de Paris. Ils ont conçu ça comme ils pouvaient avec le temps dont ils disposaient aussi. Et même si nos rêves étaient autres, nous apprécions assez le résultat. Pour le reste, le concept de la bande-son vient de nous, du montage, de la production, de la monteuse son surtout, qui nous a vraiment proposé ce concept sonore. Parce que les atmosphères sont tout à fait décalées. Ce n'est pas du tout réaliste. Qui connaît l'ambiance sonore de la ville de Ouaga sait qu'on est à côté de la plaque. C'est là le truc sur lequel on a voulu jouer. C'est elle qui l'a proposé. La production m'a apporté des gens vraiment intéressants, mais au départ je ne savais pas à qui j'avais affaire. Là mon équipe a 100 % changé ! Je n'ai pas mon chef photo, pas mon ingénieur du son, pas ma monteuse… Je me suis jeté à l'eau à 100 % et j'ai rencontré des gens qui ont chaque fois apporté des choses qui ont nourri ce qu'on voulait faire : ça ouvre les horizons.
Pour conclure, je voudrais dire que ce n'est pas que des fleurs qu'on se lance : il y a une éthique de la création qui veut que chacun participe, et ma conception du cinéma est que c'est plus que jamais de la création collective. Je suis sûr que si j'ai un mauvais directeur photo, j'aurai de la mauvaise lumière, et si le monteur n'est pas bon, le film sera bancal, etc. De mon point de vue, le rôle d'un metteur en scène c'est de canaliser, de gérer les talents.

propos recueillis par Olivier Barlet

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