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La home video nigériane fait des émules au Cameroun anglophone : pour quelles images ?
critique
rédigé par Alain Roland Biozy
publié le 16/07/2005

Festival Ecrans Noirs du cinéma d'Afrique francophone (FENCAF, Yaoundé, Cameroun), 2005. Bulletin n°4.

Séduit par une vidéo nigériane prise en tenaille entre le mépris des règles et l'appétit du gain, le film anglophone camerounais rate ses marques et chavire inexorablement vers le règne d'une image parfois illisible et douteuse.



Les Camerounais aiment le cinéma. Tous. Les Anglophones aussi. Mais comment comprendre que plus d'une quarantaine d'années après l'Indépendance du Cameroun, aucun film digne de ce nom n'ait été réalisé par un Camerounais d'expression anglaise ?

Au commencement, ils ont été sevrés d'images. Parce que très longtemps, là-bas, le cinéma était l'affaire de bandits, voyous et parias. De Jean-Paul Ngassa, tout premier réalisateur camerounais à porter des images sur écran, à Joséphine Tchakoua, la benjamine, en passant par les autres, ils ont tous oublié que le Cameroun est bilingue. Aucun film traduit en anglais à l'exception de Jean-Pierre Békolo qui leur a fait un clin d'œil avec Do you know Roosevelt ? qu'ils n'ont d'ailleurs pas connu.



Puis vint la télévision d'abord et la vidéo domestique nigériane ensuite. Cela créa un choc psychologique et un déclic. Mais au-delà de l'amour pour les images, il y a eu ce sursaut d'orgueil : pourquoi ne pourraient-ils pas réaliser ce que fait le voisin nigérian ? L'exemple fit tâche d'huile, entraînant la ruée des jeunes vers les claps à corps perdu. Mais pour quelle image ?



La home video nigériane puise son origine dans le théâtre populaire yoruba, très loin des règles cinématographiques, produisant des films à coloration techniquement moyenâgeuse, une espèce hybride où le cinéma est minoritaire. La période 2000-2005 a connu une ruée spectaculaire des jeunes vers la réalisation vidéo dans le Cameroun anglophone, avec ferveur, colère et révolte. Aujourd'hui, on dénombre dans le seul Sud-Ouest plus d'une vingtaine de structures de production vidéo, parmi lesquelles Misslee Productions, KM Productions, Lava Productions, CEER, Manyo Entertainment et bien d'autres. Il en est résulté une pléiade de films à l'instar de Love has Eyes, Sweetest Biterness, Epassa Moto, The Withering Rose, Inheritance, Love in Flames, Fire the Braggart, Drastic Measures, Where Tradition Fails, Widows Tears, Temple of Love, etc. réalisés par une kyrielle de jeunes "directors" ["Réalisateurs", NdF] qui sont devenus des stars de cette génération révoltée et qui font l'histoire du film anglophone au Cameroun : Fuh Ebenezer, Vahid Ashu, Linda Kamanyi, Victor Njiforti Vagasen, Marculine Ngebe, Anthony Kamwa etc. Tous ont pour trait d'union un excentrisme technique et esthétique dû à la méconnaissance des règles de l'art plutôt que leur mépris. Ces révoltés se sont formés à la pratique des "launchings" ["lancements", NdF] et des parades médiatiques qui accompagnent les sorties commerciales de leurs films, lesquels reprennent à leur compte la thématique magico-chrétienne du surnaturel et du crime.



Le cinéma camerounais anglophone chavire ainsi vers le règne d'une image cinéma illisible et douteuse. Il y a là un vaste chantier à entreprendre pour redresser la barque.

Alain-Roland BIOZY

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