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Hassan Benjelloun à propos de La Chambre noire
"Je suis dans la mouvance sociale"
critique
rédigé par Olivier Barlet
publié le 16/07/2005

Bulletin n°5, Festival Écrans Noirs du cinéma d'Afrique francophone (FENCAF, Yaoundé, Cameroun), 2005.

Pourquoi ce film ?

Le problème est de réconcilier le peuple marocain avec son Histoire. C'est l'adaptation d'un roman, certes mais aussi le résultat d'études préparatoires. L'histoire d'amour n'existe pas dans le roman. Elle était nécessaire pour pouvoir traiter le sujet sous toutes ses facettes. Le film traite tout le sujet et concerne presque tout le monde.

Que vouliez-vous montrer ?

Je voulais montrer l'arbitraire et le fait qu'on peut être rattrapé par son passé. A l'intérieur de la prison, le personnage principal devient héros malgré lui, renouant avec ses idées et son combat. Ce héros existe : c'est l'auteur du livre. Il est un symbole vivant de tous ces jeunes qui défendaient la liberté et le pain pour tous, et qui se sont retrouvés en prison toute leur jeunesse. Beaucoup de gens s'y identifient. Chaque pays a ses années de plomb, mais seuls le Maroc et l'Afrique du Sud les regardent en face.

Quelles traces les années de plomb ont-elles laissées ?

Une génération sacrifiée. C'est ce vide qui a permis la montée des islamistes. On a interdit les études de philosophie, de psychologie etc. dans les facultés, on a fermé les maisons de jeunesse. Du coup, les jeunes sont allés vers les mouvements extrémistes.

Comment avez-vous procédé pour adapter le livre au cinéma ?

Le contrat signé avec l'écrivain était de ne rien faire sans son feu vert, d'avoir son aval à chaque changement. Il ajustait certaines choses en indiquant que ça n'avait pas été comme ceci ou comme cela. Je parlais aussi à ses anciens camarades et à sa famille, et savais ainsi des éléments qui n'étaient pas dans le livre. Avant de faire ce film, j'avais trois grosses peurs :
1) concernant le choix du thème, la peur de ne pas être à la hauteur.
2) de ne pas être crédible vis-à-vis des anciens détenus et de l'écrivain.
3) d'aller en prison et pour cela j'ai réuni ma famille pour leur dire "je vous demande pardon".

Comment le film a-t-il été reçu ?

A la fin de la Première, j'ai vu un tortionnaire dans les bras d'un ancien détenu en train de pleurer, c'était une grande satisfaction. Les félicitations des anciens détenus m'ont également émues. Le film est resté neuf semaines en salles, ce qui est beaucoup au Maroc. Les critiques ont été favorables, sauf trois qui étaient davantage contre moi comme personne. Le livre a connu trois nouvelles éditions après le film.

Avez-vous des démêlées avec la censure ?

Durant le tournage et la post-production, j'ai joué au chat et à la souris avec tout le système. J'ai eu l'autorisation de tourner mais la police avait demander d'enlever 40 scènes du film pour pouvoir m'aider sur ce que j'avais demandé : les costumes et les voitures de police des années 60. Du coup, il n'y a pas un policier en tenue ni une voiture de police dans le film ! Les sponsors habituels ne m'ont pas aidé. Les deux chaînes de télévision, qui coproduisent beaucoup, n'en ont pas voulu. La Royal Air Maroc a même refusé le tournage à l'aéroport. Du coup, j'ai tourné dans des lieux vides, puis j'ai scanné en 35 mm, puis travaillé en numérique pour mettre les avions etc., puis rescanné et kinescopé avec les acteurs. J'aurais pu prendre d'autres compagnies d'aviation, mais je voulais rester national car je comprends ces gens-là : moi, je me mouille mais je ne leur en veux pas de ne pas le faire.

Le film a-t-il pu contribuer à la réconciliation ?

C'est après la sortie du film que s'est réunie la Commission destinée à reconnaître les erreurs du régime et indemniser les détenus. Du coup, les télés se sont précipitées pour acheter le film. Mon précédent film, Jugement d'une femme, témoignait d'une mouvance pour redonner ses droits à la femme marocaine. Après différents films prenant cela comme sujet, le gouvernement a changé les lois. Le cinéma a son rôle de soutien de la mouvance sociale.

Comment avez-vous procédé pour lancer un projet aussi délicat ?

Alors qu'il n'était encore que projet de scénario, je l'ai présenté partout, dans le monde entier, aux différentes commissions existantes : tout le monde était au courant. Ce n'est qu'ensuite que je l'ai présenté à Rabat.

Comment le définiriez-vous ?

C'est un travail sur la mémoire et la rencontre avec son image, son passé. Il débouche sur des aspects documentaires jusque dans la figuration de la librairie à la fin où se déroule la dédicace du livre : ce sont de vrais détenus ainsi que la vraie maman. Les livres et les films sont ce qui restera de l'Histoire, des actes de mémoire. Une trentaine de livres ont été écrits sur les années de plomb. Mais quand on est dans la chambre noire, on porte un bandeau noir. Chacun le soulève un petit peu mais ne peut voir qu'un axe. Chaque livre m'a donné un axe, une point de vue : le détenu n'écrit que ce qu'il voit.

Comment situez-vous votre cinéma ?

Je suis dans la mouvance sociale : je dis ce que je sens pour mettre mon petit grain pour essayer de changer les choses. Notre imaginaire ne travaille plus comme avant : enfant, j'allais au souk écouter les conteurs, la grand mère nous racontait des histoires. Maintenant, on consomme des produits tout faits. Je voudrais renouer avec cet imaginaire.

Conférence de presse (par Yvette MBOGO) et entretien avec Hassan Benjelloun (par Jean-Marie MOLLO OLINGA, Olivier BARLET)

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