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Le cri du coeur
The Mourning After (Après le deuil), de Jimi ODUMOSU (Nigeria)
critique
rédigé par Alain Roland Biozy
publié le 16/07/2005

Bulletin n°6, Festival Écrans Noirs du cinéma d'Afrique francophone (FENCAF, Yaoundé, Cameroun), 2005.

Par deux fois en début de film, la caméra de Jimi Odumosu part du sol pour scruter le ciel avant de se porter sur un corps agonisant au sortir d'une ambulance. Nous voilà dans un hôpital où un homme est entre la vie et la mort et ce sera autour d'un décès que tourne l'intrigue de The Mourning After (Après le deuil). Car au-delà de la mort de son mari Chibuzor, c'est le traitement infligé à sa veuve Bisi qui feront les 2 h 30 du film. Bisi est yoruba et Chibuzor est igbo : elle devra se soumettre au village de son mari au jugement des anciens, accusée par la famille du mort d'avoir provoqué sa fin. Et elle est soumise à la loi du veuvage qui dépossède la famille du défunt au profit de sa famille d'origine.

On comprend par des indications appuyées que l'oncle de Chibuzor a empoisonné à petits feux cet homme d'affaires prospère pour hériter de ses biens. Nneka, qui veut se marier dans de bonnes conditions au frère cadet, joue elle-même un rôle de plus en plus louche. Cette constellation familiale comploteuse et meurtrière va-t-elle arriver à ses fins ? Le procès de Bisi met en scène une longue confrontation entre l'animisme et le christianisme et combine les rituels de l'autorité traditionnelle à des méthodes d'investigation modernes dignes de Sherlock Holmes. Mais Bisi en sort condamnée en dehors de toute légalité, à la merci des atrocités, de la cruauté, de la barbarie et de toutes les injustices dont les femmes sont victimes. Condamnée à s'agenouiller chaque fois qu'elle est en face d'un homme, séquestrée et confinée dans une solitude avec un cafard pour seul compagnon, la femme reste esclave d'une société profondément patriarcale.

La société nigériane est-elle unique en son genre ? Sia, le rêve du python du Burkinabé Dani Kouyaté nous montrait déjà des anciens demandant chaque année une jeune vierge pour se l'approprier sous prétexte de l'offrir en sacrifice au dieu python. Dans son court métrage Behind the Mask, la Camerounaise Florence Tang décrit le veuvage atroce et cruel des femmes malmenées, violentées, dépouillées et mises en détention préventive. Delwende, du Burkinabè Pierre Yaméogo, est centré sur les femmes rejetées car accusées de sorcellerie.

Est-ce cependant une raison pour nous affliger toute cette violence à l'écran ? Chibouzor crache son sang de partout en mourant, Nneka est littéralement molestée à vue et Bisi s'en prend violemment à la petite fille qui vient servir son repas. Est-ce du voyeurisme ou bien une réalité à exorciser, cette violence dont la société nigériane est l'arène au quotidien ?

Ce sociodrame a une volonté pédagogique claire pour amener une prise de conscience. En plus des faits, il décrit le combat de la fille de Bisi, Tobi, qui, à l'école de Martin Luther King, réussit à mobiliser les médias et une association de soutien pour faire bouger les autorités politiques. Le film se fait alors reportage télévisuel. Une façon de mettre deux fois les points sur les "i". Jimi Odumosu reste fidèle aux modèles esthétiques de la vidéo nigériane : dramatisation systématique soulignée par la musique, suite de scènes sans hiérarchie d'importance dans la durée et la mise en scène, jeu forcé des acteurs, gros plans sur des visages grimaçants pour exprimer les émotions, etc. C'est la logique du détail. Le spectateur n'a plus qu'à avaler ce qu'on a mâché pour lui et doit attendre longuement l'aboutissement d'une intrigue qui s'égrène au rythme d'un chapelet. Odumosu est ainsi fidèle à un type d'écriture puisant dans le théâtre populaire avec une extrême théâtralisation du jeu des acteurs.

Mais son film se démarque aussi pour marquer la différence : une image particulièrement soignée grâce à un tournage en cinq mois contre une ou deux semaines habituellement, ce qui dénote un budget sur financement extérieur. La fixité de la caméra est généralement supplée par une bonne négociation des cadres dans lesquels dominent la couleur rouge - révélatrice des pulsions sentimentales - et noire - symbole de la mort. The Mourning After se détache ainsi du reste de la production nigériane et trace les voies d'un renouveau esthétique pour une cinématographie largement condamnée pour ses faiblesses techniques.

Alain Roland Biozy

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