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Critique Cinématographique en Tunisie : Alliance, complaisance, copinage et territoires partagés ?!
critique
rédigé par Mehrez Karoui
publié le 25/07/2005

par Mahrez KAROUI (SeptiemArt – Tunis)

D'aucuns ne peuvent aujourd'hui nier l'apport fondamental de la critique cinématographique dans le cinéma tunisien dès ses débuts et même au–delà. Car, et c'est peut être une spécificité tunisienne, la critique cinématographique existait bien avant l'avènement des premières productions nationales et ce grâce notamment à un vaste mouvement cinéphilique qui date des années quarante. Ainsi – à travers plusieurs revues spécialisées telles que NAWADI ASSINIMA Ciné-clubs), CHARIT (Film) ou GOHA (actuellement SeptiemArt) pour ne citer que les principaux titres, sans oublier bien évidemment les articles publiés dans les colonnes de journaux – s'est créée une véritable littérature de cinéma qui a su soutenir, accompagner, voire orienter la création cinématographique depuis 1966 date de la production du premier long métrage tunisien. Parallèlement, on peut citer facilement plus d'un titre d'ouvrages de différents types (essais, histoires de cinéma, thèses universitaires…) qui ont traité des différents aspects de l'art cinématographique en Tunisie. Il est évident qu'on peut difficilement aujourd'hui mettre en question ce rôle historique et primordial qu'a joué la critique dans l'émergence d'un cinéma national reconnu pour son originalité et réputé par sa qualité artistique.



Une Critique dans une situation critique :


Cependant, certaines voix se sont élevées ces derniers temps pour dénoncer, dans le milieu critique, certaines pratiques jugées condamnables. Ces voix accusent ouvertement journalistes et critiques d'avoir renoncé délibérément à leur noble mission de critiques pour se cantonner dans un rôle plutôt promotionnel sinon tout à fait complaisant. Qu'il s'agisse d'articles de presse ou lors de participation à des plateaux de télévision, il semble que les critiques et les journalistes de cinéma se sont montrés d'une indulgence et d'une bienveillance extrêmes à l'égard des artistes. Ceci est d'autant plus inquiétant que ça coïncide avec une période de "crise" dans le cinéma tunisien où la plupart des films, à quelques exceptions près, se sont distingués par une décroissance considérable au niveau de la qualité artistique (depuis la fin des années 90). Certains parlent d'une sorte de " corruption culturelle" : La Tunisie étant un petit pays où tout le monde connaît tout le monde ; critiques et professionnels se croisent matin et soir sur les mêmes terrasses de café et dans les mêmes bars de telle sorte que qu'on se trouve comme en "famille" ce qui nuit inévitablement à l'objectivité requise dans le travail critique. D'autres voient la chose autrement et n'hésitent pas à dénoncer vivement certains critiques et journalistes qui ne s'empêchent pas de faire l'éloge d'un film uniquement parce qu'ils étaient engagés par le producteur comme attachés de presse ou conseiller, ce qui représente un manquement à la déontologie journalistique. Mais peut–on dire que tout ce qui s'écrit chez nous relève uniquement de l'éloge gratuit et de la complaisance fortuite ?



Des alliances et des clans :


Il n'empêche qu'on assiste de temps en temps à certaines critiques qui sont pour le moins acerbes et d'où se dégage visiblement un esprit bien décidé de règlement de compte. Il s'agit là d'un autre mal qui frappe qui semble caractériser la critique dans nos contrées. On peut aujourd'hui facilement constater dans le milieu professionnel la constitution de ce qu'on peut appeler, faute de terme plus adéquat, des "clans". Ces clans qui vivent une concurrence farouche et parfois agressive (pour des raisons qui relèvent de l'exiguïté du marché tunisien) regroupent généralement un (ou des) cinéaste(s), des journalistes, des critiques (rarement des acteurs ou des techniciens) et bien évidemment tout ce monde gravite autour d'un producteur. Ce qui fait que nous pouvons savoir à l'avance ce que peut dire tel critique de tel cinéaste même avant que le film ne soit produit. Certains expliquent ces alliances par la nécessité pour chacun de défendre sa propre vision de cinéma ou par une simple question d'affinités. Il reste que ces agissements touchent à la crédibilité du critique et à l'impartialité qu'il doit s'imposer dans son travail.



Des cinéastes hypersensibles :


Certainement cette analyse des règles qui régissent les rapports entre critiques et créateurs n'est pas tout à fait erronée. Néanmoins, il convient de préciser qu'elle ne concerne pas forcément la majorité de ceux qui exercent le métier de critique. Car beaucoup de plumes, surtout parmi les plus jeunes, s'efforcent d'accomplir leur mission tout en restant fidèles aux règles de la déontologie et de l'éthique et sans céder à la tentation qui reste somme toute très forte. Ceux qui pleurnichent sur les pratiques douteuses et humiliantes de certains critiques s'avèrent souvent les mêmes qui ont instauré, propagé et encouragé ces mêmes pratiques déplorables. Leurs attaques qui pointent de temps en temps avec une tendance à généralisation, la complicité blâmable de certaines figures de la critique tunisienne à promouvoir la médiocrité dans le cinéma national, n'ont fait qu'affaiblir la position du critique et son statut. Cette faiblesse a encouragé certains cinéastes ou surtout des pseudo–cinéastes à s'attaquer aux critiques qui ne semblent pas dire du bien de leurs "chefs–d'œuvre". En voilà quelques exemples très instructifs : A la veille des dernières Journées Cinématographiques de Carthage (JCC2004), un critique éminent de la place s'est vu accusé par certains professionnels du cinéma de "déformation de propos" et ce dans un recueil d'interviews publié en 2002 !!? Ses accusateurs qui apparemment ont mis au moins deux ans pour saisir le contenu du bouquin (*), sont allés jusqu'à le menacer publiquement de lui intenter un procès (ils se sont vite calmés dès qu'ils ont su que le critique garde toujours les enregistrements des interviews en question). Un autre incident très révélateur : Une jeune cinéaste de troisième âge a adressé par SMS (évolution technologique oblige !) une attaque virulente à l'encontre d'un jeune critique qui a fait parti d'une quelconque commission en l'accusant "d'arrogance et de manque de décernement" pour la simple raison que son court métrage n'a pas été retenu pour la compétition.


Sans s'attarder sur ces attitudes négatives de la part de certains " artistes" et sans rappeler que nos cinéastes s'intéressent rarement ou jamais au travail que mène la critique (à moins que cela ne soit dans une perspective purement promotionnelle), il me semble qu'il faut avouer que les critiques et les journalistes de cinéma tiennent une part de responsabilité dans tout cela. Il est impératif à mon sens de se pencher sur cette question afin de dissiper tous les malentendus qui se sont installés consciemment ou inconsciemment et dont souffre aujourd'hui le statut du critique. Car, il est évident que le salut de notre cinéma dépend aussi de l'existence d'un mouvement critique capable dans un climat plus sain d'accompagner le travail du créateur.





(*) Le livre en question : Le cinéma Tunisien : Le parcours et la trace de Heidi khélil, Editions MÉDIA COM, Tunis 2002 .



N.B : Cet article ne vise que ceux ou celles qui se sentiront visés. [L'auteur].



Par Mahrez KAROUI


SeptiemArt (Tunis)



Article publié dans SeptiemArt, N°105 de Juin 2005