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La critique, une question de formation ?
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 07/11/2005

Point de vue

La nouvelle édition du Fespaco a retenu comme thème de débat la question de la formation et les enjeux de la professionnalisation. C'est certainement l'indice d'une nouvelle phase historique dans l'évolution du cinéma africain confronté aux mutations multiples qui touchent au fondement même du dispositif cinématographique (voir les conséquences de la révolution numérique).

Il se trouve que cette question de formation interpelle aujourd'hui la critique cinématographique africaine appelée à accompagner cette nouvelle dynamique de la production et surtout à proposer un discours authentique, pertinent et pensé c'est-à-dire construit sur des bases épistémologiques.

La formation à la critique ne s'impose pas dans le contexte africain immédiat comme un cursus autonome de professionnalisation. Il intervient plutôt dans le vaste projet que l'on qualifierait de projet citoyen d'éducation à l'image. Notamment en l'intégrant à l'institution scolaire.

Mais il y a des précisions à apporter d'emblée. La meilleure école du cinéma, c'est le cinéma lui même. Un cinéphile n'est pas titulaire d'un diplôme et la cinéphilie ne s'exhibe pas par une carte d'adhésion à un club. C'est plutôt un état, fruit de la fréquentation des salles et des films.

On peut dire en outre qu'il n'y a pas de grille définitive de lecture de film : on peut parler plutôt de plusieurs grilles avec de multiples critères, y compris le critère premier de l'impression, celui de la première réaction, le "feeling" en somme qui ouvre la voie à d'autres niveaux d'interprétation.

On peut cependant défendre certaines hypothèses susceptibles de doubler le plaisir du "voir" par le plaisir du "lire".

La finalité de ce métadiscours (comprendre : discours sur le discours) est toute simple : faire prendre conscience des immenses possibilités offertes par le langage cinématographique et dont dispose le réalisateur pour nous offrir du récit, du sens, du plaisir. Cela concerne donc l'agencement d'une histoire, la création d'une tonalité particulière avec in fine une vision du monde.

Des travaux d'une grande qualité didactique ont permis de synthétiser ces éléments composites dans l'approche d'un film. Pour Francis Vanoye, par exemple, "lire" un film est un acte pluriel qui consiste à percevoir une série de données :
D'abord de la langue écrite. Effectivement, c'est presque évident mais un film est traversé d'écrits qui sont souvent de véritables messages qui viennent compléter ou contredire les autres signes présents dans le plan : au- delà du générique, cela peut être une enseigne, une affiche, une inscription murale.

Un film c'est donc de l'écrit mais c'est aussi du parlé ; depuis 1927, c'est même parfois une composante envahissante, je veux dire les dialogues. Mais il faut les écouter non seulement comme indices mais aussi comme symboles et les interroger dans leur fonction dramatique. Parfois ils peuvent être en eux-mêmes un plaisir.

Il y a aussi tout le gestuel et le mimique qui composent le langage du cinéma ; parfois cela permet de distinguer une cinématographie par l'emphase qui caractérise l'interprétation de ses comédiens. Le mimique et le gestuel peuvent donner une indication sur le genre (la comédie, par exemple) ou sur une époque donnée.

Et puis un film c'est surtout des images : une éducation du regard permet à l'œil de saisir toutes les finesses et la variété de la composition plastique, dramatique ou narrative de l'image. Le contenu, l'échelle des plans, le mouvement d'appareil… signifient, y compris quand ils n'ont pas cette prétention : un plan statique n'en et pas moins éloquent. Là aussi une approche comparative est porteuse de vertus didactiques : qu'est ce qui se passe le temps d'un plan américain comparé à un plan français ou iranien ? C'est toute une esthétique qui ressort à travers l'agencement des plans.

On peut revenir aussi sur les autres composantes de la bande son : en plus des dialogues, il y a tous les bruits et les musiques qui contribuent à la construction du discours du film, en contribuant en particulier à créer une ambiance, et une atmosphère.

Il me semble pertinent, enfin, d'établir une certaine hiérarchie au sein de ces éléments à travers la distinction essentielle entre codes cinématographiques et codes extra-cinématographiques : le montage, le travelling, par exemple, sont du cinématographique. Les paroles, le décor… sont extra-cinématographiques. Cela permet de dire si un film relève du cinéma ou si c'est un simulacre. La définition même de l'acte critique : distinguer aussi le faux, le simulacre.

Mohammed BAKRIM (Maroc)

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