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Une question de scénario
critique
rédigé par Kamel Ben Ouanès
publié le 21/03/2006

par Kamel Ben Ouanès (Tunisie)


La participation de la Tunisie à la dernière session des JCC 2004 se résume à deux films dans la compétition officielle Noce d'été de Mokhtar Lajimi et Parole d'homme de Moez Kammoun ; et deux autres films dans la section d'information Le Prince de Mohamed Zran et Danse du vent de Taïeb Louhichi.

Les quatre titres sont très différents les uns des autres et témoignent des préoccupations sociales, culturelles et esthétiques divergentes des cinéastes tunisiens.

Cependant, si dans ces films l'aspect technique est nettement maîtrisé, la question du scénario, et surtout le dispositif narratif adopté semblent être encore la pierre d'achoppement à laquelle se heurte plus qu'un cinéaste.

En effet, dans les films cités, le scénario a certes le souci de coller au réel et d'avoir un net ancrage socio-culturel. La preuve que le cinéaste tunisien d'aujourd'hui se garde bien de s'enfermer dans son moi ou de focaliser son intérêt sur son nombrilisme, comme on l'a souvent reproché aux films tunisiens des deux dernières décennies. En effet, l'échec commercial ou la désaffection du public face à certains films récents avaient pour conséquence de conduire le cinéaste tunisien à se poser cette question, devenue lancinante, voire obsédante : de quoi faut-il parler pour toucher le public ?

La nature de cette question est troublante, car elle charrie le risque de transformer le souci d'atteindre le public en une préoccupation commerciale. Heureusement, les films conçus jusqu'ici demeurent construits selon le principe et les valeurs du cinéma d'auteur, c'est-à-dire, un cinéma où l'auteur s'applique à concevoir et à structurer son projet selon son point de vue personnel et intime.



Le cinéma d'auteur tunisien appréhende le réel d'une façon critique et non complaisante, en désignant les failles et les contradictions et en faisant de la fêlure sociale, le thème central de l'œuvre.

Mais ces bonnes intentions n'épousent pas toujours une réelle audace dans le traitement du sujet. Dans les quatre films sus-cités, le cinéaste semble être attaché à une sorte de pudeur ou de prudence, ou peut-être la peur de faire un faux pas, sur le plan moral, politique ou technique, car les personnages sont souvent guindés et évoluent dans un environnement enveloppé dans un état d'inhibition ou d'hibernation étrange.

Résultat, dans un contexte où aucun événement important ne se produit , comme si l'histoire était suspendue, le film choisit aussi d'évacuer toute action et de réduire la matière du film à un simple état de constat distant et neutre.

Dans Noce d'été, le personnage observe les préparatifs de son mariage arrangé, ainsi que les agissements de la horde des trafiquants avec un regard distant, comme si le personnage du journaliste était dépouillé de toute énergie. Face à sa famille, comme face à la société, pourtant minée en sourdine tant par la corruption que par la violence, le journaliste se cantonne dans un état d'impuissance, voire de castration. Le film atteint un seuil insoutenable : construire sa matière sur un rien, sur un vide inquiétant ou encore un mutisme béant.

Dans Parole d'homme, l'action a eu du mal à avancer, comme si la construction des personnages n'était déterminée par aucun ressort psychologique ou historique. La scène d'ouverture présentent les trois futurs personnages du film, encore gosses, en train de réciter en chœur quelques sourates du livre sacré devant le maître de l'école coranique. La fin du film nous ramène aussi à cette période de l'enfance où les futurs personnages étaient déjà habités par des velléités de rivalité et de dispute. Cette structure de clôture signifie que le destin des personnages, ainsi que leur conduite étaient définitivement arrêtés dès leur enfance. Le reste du film ne serait alors qu'une démonstration de ce qui a été dit et redit dans les deux extrémités du film.

Même Le Prince qui compte certes quelques moments de fraîcheur, la passion de Adel pour Donia la banquière est donnée au départ comme un postulat narratif et non comme l'aboutissement d'une certaine alchimie psycho-sociale. Le Prince n'est pas une aventure sentimentale, mais les images d'un sentimental qui se regarde dans le miroir dysphorique que lui tend la société. D'ailleurs, le scénariste du Prince n'a multiplié les personnages secondaires que pour mieux tempérer l'effet de l'immobilisme ou du geste répétitif (confectionner des bouquets et les offrir à Donia, la banquière) dans lequel se cantonne Adel.

Dans un autre registre, Danse du vent emprunte au cinéma d'action ses paysages est ses ingrédients classiques : un cinéaste se perd dans les mirages du désert et s'expose au danger d'y mourir. Ce canevas de base, pourtant potentiellement fécond en rebondissements, gomme tout motif narratif susceptible d'alimenter l'action ou de développer le suspense. Le dispositif narratif est construit comme les fragments d'un vaste puzzle de scènes d'action qui sont implicitement présentes, mais nettement désactivées. Car au cœur du scénario, il y a des éléments qui manquent et des ressorts qui sont évacués. Dans le film de Taïeb Louhichi, l'histoire s'arrête là où elle a commencé : un homme se trouve perdu dans le désert, sous l'effet d'une étrange hallucination.

Cette lecture, même succincte, de quelques films tunisiens récents, nous montre qu'en matière de scénario, les bonnes intentions ne font pas un bon cinéma. Un film narratif doit épouser nécessairement une progression dramatique qui naît d'une crise, atteint le sommet du nœud, avant de connaître son dénouement. Sans cette règle de base classique, aucune construction narrative n'est possible, même si apparemment certaines expériences filmiques feignent en évacuer les ingrédients.

Kamel Ben Ouanès
Tunisie

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