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Amour, racisme et gangstérisme
Urban Jungle, de Jude Ntsimenkou (Cameroun)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 22/04/2005

Le mariage d'un couple mixte ne peut-il être possible et viable que lorsque tous ceux qui s'y opposent ont disparu ?

Lorsque Urban Jungle, le premier long métrage du Camerounais Jude Ntsimenkou, s'ouvre sur une vue en plongée de Paris et sur fond de musique rap, le spectateur ne se doute pas alors de l'écrasement, de la fatalité qui étreignent la capitale française, surtout ses banlieues. Dans l'une d'elle, un couple mixte, sur le point de convoler en justes noces. Cela sera-t-il possible, au regard de la rivalité des deux beaux-frères (Mercier, le frère de Karène, et Ali, celui d'Issa) et du racisme ambiant ?

Au travers d'une longue digression inspirée de faits réels, Jude Ntsimenkou promène le spectateur dans les banlieues "chaudes" de Paris, symbole ici de n'importe quelle grande ville au monde. Ne dit-il pas lui-même : "Il n'y a pas qu'en Europe que la délinquance dans les cités existe. En Afrique, c'est la même chose". Urban Jungle, qui apparaît donc de prime abord comme une histoire de voyous (façon années 50-60), a pour objectif de montrer les vrais visages de ces cités aux apparences souvent trompeuses. D'une part le visage de la violence extrême, qui peut faire ranger le film dans la catégorie des films noirs à l'américaine, où des chefs de gangs se disputent des "territoires". Celui de ces garçons dont le seul idéal est : "On prend le fric et à nous les filles". Des filles qui, elles-mêmes, aiment "les durs, les chefs, les costauds". Celui aussi de la carence éducationnelle d'un gamin familialement mal encadré, et qui bascule facilement dans le camp du malin, et devient "un bon petit espion". Celui enfin des voyous au verbe percutant et déroutant de racisme. D'un côté, les "Négros, gorille", ou encore "vous les Négros n'avez que la tchatche" ; de l'autre, "on va casser du Blanc", quand on ne désigne pas simplement un Allemand par "Adolf" (Hitler). Et ce thème de racisme semble tenir à cœur au réalisateur ! Il est au centre de courts métrages ayant précédé Urban Jungle. Notamment La gueule de l'emploi, et surtout Wesh ("Et alors ?", en arabe), dans lequel un jeune Noir chrétien se heurte à l'opposition de la famille de sa dulcinée, Arabe, Blanche et musulmane. Le premier long métrage de Ntsimenkou apparaît donc comme la prolongation de Wesh , et se révèle en fait être une histoire d'amour. Celle de deux jeunes gens d'origines raciales différentes. Une Blanche et un Noir. Qui vivent une idylle difficile et parfois dangereuse, du fait du racisme des autres. Comment s'en sortir ? Ou plutôt, comment la concrétiser ?

Si Jude montre donc d'une part le visage terrifiant de la banlieue, il tient aussi d'autre part à présenter le visage de la banlieue qui sait rire, qui sait danser, et qui sait pratiquer le sport. Bref, le visage de la banlieue qui, si elle est réputée pour ses méfaits et ses faits d'armes négatifs, peut aussi positiver, ne serait-ce que par la pratique d'activités physiques saines. Même l'enfer est pavé de bonnes intentions !

Tourné en super 16 et gonflé en 35 mm, le film de Jude Ntsimenkou laisse apparaître quelques lacunes. Entre autres, la caméra qui ne change presque pas d'axe, et semble fixe pendant tout le film. Le maquillage, quand il n'exagère pas le fond de teint sur le visage de Karène Mercier, demeure approximatif sur les blessures par balle(s), qui ne laissent pas toujours couler suffisamment, ou pas du tout, de sang (bien que Jude ne soit pas John Woo, le maître de l'hémoglobine).

En dehors de ces limites d'ailleurs relativisées par une excellente direction des acteurs dont deux seulement sont des professionnels (Stéphane Boutet et Alexandra Lamy), Jude Ntsimenkou a le mérite d'avoir réalisé un film commercial garantissant l'émotion grâce à ses multiples rebondissements. Peut-être est-ce là la résurrection d'une ère révolue avec les films d'Alphonse Béni et de certains autres, le début d'une autre qui tranche d'avec celle du film d'auteur ayant constitué jusqu'ici le lit de la filmographie africaine.

Par Jean-Marie MOLLO OLINGA (Cameroun)

*Président de CINE-PRESS


(Association camerounaise des journalistes critiques de cinéma),


*IIè Vice-Président de la Fédération africaine de la critique cinématographique (FACC),


*Correspondant permanent d'Afrique Magazine (AM) au Cameroun
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