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Bent Keltoum (La fille de Keltoum), de Mehdi CHAREF (Algérie)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 21/07/2006

Lorsque Costa Gavras lui conseilla de réaliser lui-même la version cinématographique de son roman Le thé au harem d'Archi Ahmed, Mehdi Charef naquit au cinéma. Autodidacte, cet écrivain, fils du peuple, dont les propos sont dits de gauche, est né en Algérie en 1952, et vit aujourd'hui en France.
À travers Bent Keltoum (La fille de Keltoum), le réalisateur nous propose une visite d'une partie de son pays d'origine, l'Algérie. Mais en réalité, et selon l'auteur lui-même, le film a été tourné dans un pays voisin. Du fait de la guerre.
Là-bas, dans un désert situé au-delà de la civilisation et où les gens vivent à l'âge de la pierre taillée, Rallia s'élance à la recherche de sa mère. Celle qui "l'a abandonnée à sa naissance". En fait, c'est celle qui l'a vendue pour acheter un âne, plus utile parfois dans ces contrées oubliées qu'un être humain. Elle veut la "retrouver pour la tuer", affirme-t-elle. Commence alors un road movie qui passe par monts et vallées, au propre comme au figuré.
Accueillie par Nedjma, sa tante, au village de sa mère, elle se heurte à la dure réalité de la misère. Et le contraste entre la beauté de ce mannequin de 19 ans et la dure laideur du village rejaillit sur le visage de Rallia dont les traits se crispent, signe de sa tourmente intérieure. Les rides du lac ne sont-ils pas la conséquence de l'agitation qui a lieu dans ses profondeurs ? Rallia est d'autant plus tourmentée que ce vendredi-là, Keltoum ne viendra pas, comme à l'accoutumée. Et au village, on sait vaguement qu'elle travaille dans un hôtel à El Kantara. Obstinée et flanquée de Nedjma, elle part pour El Kantara.
À première vue, Bent Keltoum (La fille de Keltoum) peut apparaître comme une prise de position du réalisateur contre le traitement réservé aux femmes dans le milieu arabo-musulman. Tout au long du film, il s'attelle à montrer que les hommes, ici, sont mauvais et chosifient la femme. Elle peut être répudiée le plus simplement du monde et laissée au bord de la route, dès que son homme lui préfère une autre. À travers sa caméra, on se rend compte que le seul homme capable de réels sentiments et d'attentions à l'égard du sexe opposé est muet. Mais, il les exprime tant et si bien et si fort qu'ils finissent par être captés. Par une simple d'esprit. Pourquoi ? Simple constat pour faire remarquer que dans ce milieu-là les handicapés vivent entre eux ?
Au-delà de cette première impression, Bent Keltoum (La fille de Keltoum) est en réalité un hommage rendu à la femme algérienne et donc à la femme arabe. Et c'est à ce niveau que l'on retrouve le Mehdi Charef adepte de "sujets graves et proches du drame", amoureux de "l'esquisse des portraits de femmes". N'a-t-il pas dans Camomille décrit une droguée en manque et qui voulait changer de vie ? Et Au pays des Juliets, ne suit-il pas la trajectoire de trois prisonnières, avant de donner à Muriel Robin son premier rôle dramatique dans Marie Line ? Si avec Bent Keltoum (La fille de Keltoum) il revient dans son pays d'origine, n'est-ce pas pour montrer que malgré leur tristesse du fait de la froideur et de la négligence des hommes, elles demeurent "fières même dans leurs maladresses" ? S'il pointe sa caméra sur leur visage, n'est-ce pas pour bien montrer qu'"il en est fasciné" ?
Par cette histoire simple mais un tantinet tragique, Mehdi Charef, tout en opérant un retour à ses propres racines, sous le prétexte de celles de Rallia, réalise un film captivant à plus d'un titre. Sur le plan technique, la direction des acteurs est si superbement assurée que Nedjma, la tante de Rallia, joue à s'y méprendre le rôle d'une simple d'esprit. Le muet et la femme répudiée sont si merveilleusement interprétés qu'on les croirait sortis du réel.
Bien que certains détails semblent avoir échappé au réalisateur (exemple, aucune goutte de sueur ne perle du visage de Rallia lorsque, débarquant d'un autobus déglingué, et arrivant de sa lointaine Suisse, elle échoue dans le village de sa mère après avoir arpenté moult collines), sur le plan narratif, Mehdi Charef réserve une surprise de taille à ses spectateurs à El Kantara. Quelques minutes seulement après le début du film, il est achevé. Mais personne ne peut s'en rendre compte.

Jean Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun

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