AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 926 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
La réconciliation après l'horreur
La nuit de la vérité, de Fanta Régina NACRO
critique
rédigé par Karo Diagne Ndaw
publié le 27/04/2005

Comment se réconcilier après avoir subi l'horreur et les ravages d'une guerre fratricide ? C'est la question à laquelle tente de répondre la réalisatrice burkinabé Fanta Régina Nacro dans son premier long métrage La nuit de la vérité, projeté le week end dernier, au cinéma Le Paris. Après dix ans de malheur, c'est l'heure de sceller la réconciliation, quel qu'en soit le prix.

Son fils unique a été sauvagement tué par un soldat. Edna est folle de douleur et n'arrive pas à se remettre de cette perte. Son mari, d'ethnie Nayak, n'est autre que le président de la république qui s'est battu pendant dix ans contre la rébellion armée des Bonandé, dirigée par le Colonel Téo. La paix a été signée et la réconciliation des cœurs doit être scellée. La cérémonie va se dérouler dans la concession du Colonel Téo qui reçoit avec son épouse, sa famille et son armée, le camp adverse.

Edna refuse d'aller rencontrer ceux qu'elle considère comme les assassins de son fils. Son mari, le président, réussit à la convaincre que la paix est à ce prix. Elle accepte de le suivre, poussée également par la hantise de connaître le meurtrier de son enfant et de comprendre pourquoi il a été tué de manière si atroce. Des repas copieux, de la boisson à volonté, un groupe de danseurs et de percussionnistes pour assurer le spectacle, un feu d'artifice et des belles paroles qui tiennent lieu de serment de paix. Tous les ingrédients sont réunis pour que la fête soit belle afin de célébrer la réconciliation.


Mais les démons de la haine ne dorment que d'un seul œil. Et un rien suffit à les réveiller. C'est la vision du fils du Colonel qui a le même âge que le sien défunt, pour Edna. Ou encore, pour le reste de l'assemblée, c'est le battement d'un tambour par Tomoto, "le fou du village", qui réussit à faire remonter en mémoire, cette fameuse nuit où a eu lieu le dernier massacre perpétré par les soldats Bonandés sur les Nayaks. Les militaires des deux camps sont nerveux, les armes ne sont pas loin et sont chargées, et le Colonel Théo, traumatisé, est prostré à terre. Le tambour s'arrête. Le calme revient. Avant la tornade.

Comme au théâtre, toute l'action du film se déroule en une nuit et en un seul lieu. Seulement nous sommes au cinéma et avec une intensité croissante, le suspense est maintenu et le spectateur attend le dénouement.

Tragique

Edna avec sa douleur que rien n'apaise fomente un guet apens pour venger enfin son fils disparu. L'action se précipite. Les morts vivants créés par la guerre appartiennent au royaume des morts et doivent y retourner. Mais les survivants tiennent plus que tout à la vie, qui doit reprendre ses droits, et veulent la préserver dans la paix. Même si c'est au prix d'un sacrifice indispensable.


Encadré

Premier long métrage, premier succès
La nuit de la vérité, de Fanta Régina Nacro est le premier long métrage de cette cinéaste burkinabé, abonnée aux succès dans ses précédents courts métrages. La critique et ses pairs l'attendaient au tournant. La réalisatrice a répondu présente et les a séduits pour la plupart. Plusieurs distinctions lui ont été décernées notamment le prix spécial TV5 du meilleur scénario et le prix spécial Uemoa du meilleur long métrage au dernier Fespaco, ou encore le Grand Prix "Regard d'or", au 19ème festival du Film de Fribourg, en Suisse.

Fanta Regina Nacro a signé un film engagé où elle dénonce la guerre et ses méfaits en Afrique ou ailleurs dans le monde. Avec un choix délibéré de ne pas céder au voyeurisme et de montrer le sang pour le sang. Mais plutôt d'évoquer les horreurs de ce conflit à travers les cauchemars du Colonel Théo. Des images de bras, de jambes, de corps décapités, charriés par les eaux sur une terre latéritique. Ou encore des scènes de viols, de meurtres, d'enfants estropiés représentées sur des fresques murales peintes par les femmes pour exorciser leur douleur.

Le tout est servi par une très belle lumière et par des acteurs de talent comme Naki Sy Savané (Edna, tourmentée) et Rasmané Ouédraogo (Tomoto, le fou du village), qui a obtenu également le prix du meilleur second rôle au dernier Fespaco. Le Colonel Téo est interprété par Moussa Cissé, Commandant de l'armée dans la vie, comme les autres soldats du film qui sont des militaires de l'armée burkinabé. Sur les motivations du film, Fanta Régina Nacro indiquait : "je voudrais faire de ce film une action contre les atrocités, les conflits ethniques, la cruauté et la haine de l'homme". Le pari semble réussi pour un film qui pousse à réfléchir et qui montre que malgré tout, la paix est toujours possible.

Karo Diagne

Films liés
Artistes liés