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Un homme, cinq femmes, 25 enfants
5x5 (Cinq X Cinq), de Moussa Touré (Sénégal)
critique
rédigé par Karo Diagne Ndaw
publié le 01/05/2005

La polygamie filmée par Moussa Touré


Cinq X Cinq, c'est le nom du documentaire, d'une durée de 54 minutes, réalisé par Moussa Touré, et présenté mardi dernier, en avant première à Sorano. Ce film retrace le quotidien de Jean Diallo, personnage atypique dont les multiples métiers lui permettent de faire vivre ses cinq femmes et ses vingt cinq enfants.

Quand il s'est marié pour la première fois en 1975, il a refusé de signer pour la monogamie. Dès lors, sa première épouse a su qu'elle ne serait pas la seule et unique femme de son mari, Jean Salif Diallo. Cet homme, âgé d'une cinquantaine d'années, est ainsi le héros du documentaire de création réalisé par Moussa Touré. La caméra du réalisateur a suivi ce polygame dans l'âme, dans son quotidien, entouré de ses cinq femmes et de ses vingt cinq enfants.

Tout ce beau monde semble vivre en parfaite harmonie dans une même concession, à Kédougou, à 700 kilomètres de Dakar. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Jean Diallo exerce plusieurs métiers. Dans le film, il en énumère plus d'une demi douzaine : mécanicien, photographe, pécheur, orpailleur, chauffeur, interprète, ou encore…artiste (il a été membre du ballet national du théâtre national Daniel Sorano).

Né musulman, il a été protestant, pour recevoir une formation en mécanique, car formé par un Pasteur, l'enseignement religieux allait de pair avec l'apprentissage d'un métier. Son diplôme obtenu, il est redevenu musulman. Tandis que sa connaissance de la Bible, il ne l'a jamais perdue car il en tire des citations pour ponctuer ses phrases dans le film. Par ailleurs, Jean Diallo semble obsédé par le souci de faire en sorte que sa famille ne manque de rien. Ainsi, il assure stocker des vivres qui peuvent couvrir trois à quatre mois. Pour y parvenir, il explique que ses tournées en tant que photographe peuvent lui rapporter plus de deux cent mille francs par semaine.

Cependant, l'on comprend au fil des témoignages, que sans doute la famille a eu à vivre cette situation de rupture de vivres. Les cinq épouses de Jean Diallo essayent elles aussi de s'assurer des revenus. Elles préparent de la nourriture, du poisson frit ou des boulettes de poisson, qu'elles vendent au marché.

Témoignages troublants

Par le jeu des questions réponses, le réalisateur tente de faire raconter à ses interlocutrices, leur vie de co épouse. En commençant par la première qui a vu son mari épouser successivement après elle, quatre femmes. Celle-ci semble toutefois s'en accommoder, comme ses autres co épouses. Cependant, au détour d'une question, parfois très personnelle, certaines préfèrent répondre par le silence. Ou par un rire, pour masquer une gêne, peut être, comme c'était le cas dans le public où les rires également ont ponctué certaines séquences.

Ou encore lorsque Moussa Touré aborde la question de la répartition du temps à passer avec le mari, pour chaque épouse, ou "tour" en wolof. Deux jours par semaine où chacune d'entre elles a la charge de préparer les repas de Jean Diallo et de partager sa chambre. Le devoir conjugal est évoqué avec une certaine pudeur. Jean explique alors au réalisateur qu'il peut "être indisposé" et ne pas parvenir à satisfaire son épouse. A savoir lorsqu'il est fatigué par exemple, car il ne peut pas, ou n'est pas obligé de s'acquitter de son devoir conjugal tous les jours de la semaine. Ses épouses peuvent également "être indisposées" et ne pas pouvoir le faire non plus.


Susciter un débat sur la polygamie, un sujet tabou

Dans les témoignages, les enfants sont également intervenus. Le fils aîné de Jean semble en vouloir à son père pour leur avoir fait subir cette situation et promet de ne pas devenir polygame. Même réponse chez une de ses filles, qui ne veut pas vivre la même situation que sa mère et devenir à son tour une co épouse plus tard. C'est une scène assez poignante, où le réalisateur veut la faire argumenter, mais la jeune fille n'en dira pas plus. Elle préfère garder le silence. Dans une posture où transparaît une certaine douleur. Une douleur, ou une souffrance, que certaines, parmi les co épouses ne peuvent dissimuler.

Ces femmes sont victimes peut être du choix d'un homme qui ne sait pas dire non à son désir de ne pas frustrer. Car Jean Diallo explique ainsi le fait de s'être retrouver avec cinq femmes. Sa conscience ne lui permet peut être, tout simplement pas, de voir le mal qu'il a pu faire en agissant de cette manière. Dans une société où la polygamie est admise et tolérée. Et l'on finit par ne pas lui en vouloir tant il semble porté par le désir de bien faire et de ne pas faire souffrir. Jean Diallo est un personnage attachant et son amour pour sa famille est incontestable, tel qu'il est dépeint dans le film de Moussa Touré.

Ce dernier a rencontré Jean Diallo en 1976 et ils ont fini par devenir amis. Quand il a découvert son statut de polygame, le projet du film s'est petit à petit imposé à lui pendant trois ans. Et il l'a réalisé en février 2005. Une occasion de parler de la polygamie, un sujet tabou selon Moussa Touré. "Surtout de nos jours où les polygames sont les intellectuels", assure-t-il.

Même si la démarche est intéressante, et que le public qui a assisté à la projection a semblé séduit par le film, le film nous laisse la sensation de n'être pas totalement abouti. Le jeu des questions réponses n'est pas indispensable et l'on se demande si Moussa Touré a véritablement pris le temps de partager l'intimité de cette famille. Afin que ses différents membres se livrent mieux devant la caméra et racontent avec moins de gêne, leur vie de co épouse, et d'enfants issus d'un ménage polygame. Mais peut être ceci est-il dû au choix du sujet, qui fait que la polygamie reste malgré tout, un sujet dont on ne parle pas, et dont on ne veut pas, peut être, parler. Comme l'assure le réalisateur en donnant l'exemple de sa mère qui a elle-même vécu dans un ménage polygame.

Quant au héros du film, Jean Diallo, il assure ne pas vouloir prendre de sixième femme. Parce qu'il a atteint le plafond, dit-il. Mais "un conducteur peut freiner sans s'arrêter", ajoute-t-il aussitôt. Comprenne qui voudra.

Karo DIAGNE

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