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Le Prince, de Mohamed Zran (Tunisie)
Au-delà du cliché et du misérabilisme
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 07/05/2005

par Hassouna Mansouri


Lors de sa sortie en Tunisie (fin 2004), Le Prince de Mohamed Zran a rencontré un succès inattendu. Celle-ci, et contrairement à ce qu'on s'est habitué à voir les dernières années avec les sorties de films tunisiens, était professionnellement bien organisée. Le film est actuellement sur les écrans parisiens. Cela laisse augurer une bonne carrière pour ce nouvel opus de l'enfant du Sud Tunisien. Mais si le film accroche c'est plutôt par un contenu et par une facture esthétique qu'un fil très fin les éloigne du cliché. La simplicité et l'authenticité sur lesquelles Zran a misé en collant, au plus près, au monde de ses personnages, vont-ils faire de même avec le public français ?

Il est trop facile d'accuser Mohamed Zran de misérabilisme. Si son point de départ ce sont les petites gens, les jeunes paumés, sans travail ou presque, il parvient à s'élever et à donner à son film un ton foncièrement poétique. Le cinéma de Zran est populaire, certes, mais il reste un cinéma de rêves où les personnages voient les objets qu'ils convoitent presque à la portée de leurs mains. Mais tout l'intérêt réside dans cette limite très fragile entre le possible et l'impossible, entre le rêve dont la réalité nous éloigne et le désir d'y croire, entre la conviction que le réel est une machine à brimer les hommes et la volonté ferme d'arracher son droit au rêve, même s'il est chimérique.

Au premier abord, Le Prince, ce deuxième long métrage de fiction, de Mohamed Zran paraît fait à base de clichés. Ceci n'est pas très difficile à admettre. Toutefois, le réalisateur a su faire de ces clichés et stéréotypes un matériau d'une simplicité telle qu'il raconte une histoire éternelle mais à laquelle il donne une fraîcheur surprenante.

Adel pourrait être n'importe quel jeune tunisien parmi des milliers qui arpentent quotidiennement l'avenue principale de Tunis et habitent les grandes places des cités tunisiennes guettant l'incident heureux, la rencontre féerique qui leur donnera une place au soleil. De l'autre côté, son objet de désir, Dounia (en arabe cela signifie la vie, le monde, l'univers…). Elle est banquière, elle donne de l'argent aux gens, elle les rend riches ou pauvres selon les cas.

Les composantes d'un mélodrame à l'égyptienne, comme ceux dont on gave les ménagères tunisiennes, semblent ainsi mises en place. La dimension mélodramatique, composante fondamentale d'un cinéma qui se veut essentiellement populaire, est évidente. Cependant, Zran la transcende pour donner à ses personnages une épaisseur psychologique propre à les doter d'une authenticité qui ne peut qu'accrocher.

L'hésitation entre les deux tentations entre lesquelles le film s'étire se laisse sentir à travers la résistance du héros au discours des autres. Tout l'entourage de Adel ne conçoit cette banquière que comme la princesse dont les grâces toucheront tout le monde. Pour la famille c'est une manne du ciel. Pour les amis, il faut être réaliste elle est d'un autre monde que le leur, et donc elle est inaccessible. Sinon, il faut se donner les moyens de la conquérir : mimer son monde à elle.

Mais pour l'intéressé, une seule chose compte : son sentiment. C'est par un jeu de hasard qu'il s'est trouvé dans la fausse situation de l'homme galant qui offre un bouquet à sa bien aimée. Le geste, la mère le rappellera plus tard, n'est pas habituel dans le milieu du jeune homme. Mais il ne l'a pas fait par comédie. Il l'a fait plutôt par sincérité presque naïve, par contrainte même. Au départ, c'était la chance pour l'approcher. Ensuite, c'est devenue une manière de se donner une sorte de satisfaction et d'établir un tant soit peu de communication. Offrir un bouquet de fleur n'et pas une imitation du geste d'un autre, celui qui en a les moyens, mais il devient une raison d'être. Tous les sacrifices, argent, travail, troubles familiaux, sont bons pour retrouver ce laps de temps pendant lequel Adel vit son sentiment.

Au moment crucial, alors que ses amis lui conseillaient de jouer le rôle du séducteur, il n'a pu être que lui-même par ses habits et par son discours. Son authenticité le poussera à être suicidaire. L'aveu final, il le fait plus par défaitisme que par espoir. Et même lorsque Dounia le surprend en l'invitant à s'asseoir, il reste sans mots. Il n'y a lieu à aucun langage sinon celui du sentiment. Les mots se font difficiles pour les deux personnages. Le spectateur regardera leurs deux mains qui semblent s'attirer sans se toucher. La main de Dounia tendue sur la table ne sera pas rejointe par celle de Adel qui, par émotion et par grande hésitation, reste en suspens. Cette main reste ouverte. L'absence de rencontre verbale ou physique laisse un grand suspens chez le spectateur. Ce dernier reste sur sa soif mais non pas sans plaisir.

Le thème du Prince c'est le rêve certes, mais sa force vient de ce potentiel cinématographique qui fait de lui un film capable, sans prétention aucune, de faire vivre au spectateur un rêve simple et beau en mettant en scène des situations et des personnages authentiques.

Hassouna MANSOURI

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