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L'Afrique et moi
Thierry Michel
critique
rédigé par Yvette Mbogo
publié le 30/09/2006

Le réalisateur belge signe un véritable pacte de vérité avec le Continent noir.

Pourquoi cet intérêt pour faire des films sur l'Afrique ?

Je n'ai pas l'intérêt de faire des films seulement sur l'Afrique, puisque je fais des films sur le monde, les gens et les peuples du monde dans plusieurs continents. Le dernier film je l'ai tourné en Iran sur les questions liées à l'islam et à la politique. J'ai tourné en Russie, en Amérique Latine, Allemagne de l'est et en Europe.
Disons que j'ai des préférences pour l'Afrique, parce que depuis 15 ans je suis chroniqueur privilégié de toutes les turbulences de toutes les conditions politiques, sociales, culturelles de toutes les mutations qui traversent le continent africaine, pas seulement au Zaïre, mais dans d'autres pays aussi, puisque j'ai tourné en Somalie, en Guinée Conakry, etc.
Disons que je suis venu au tournant de l'histoire de l'Afrique, c'est-à-dire à la fin des dictatures et à l'aube des revendications pour la démocratie et de l'émergence dans les sociétés civiles et cette aspiration profonde qui a traversé tout le continent africain. Depuis que je suis chroniqueur de ce qui se passe en Afrique, surtout en RDC [République Démocratique du Congo], je suis passionné de leur histoire et aimerai la suivre et l'approfondir. Alors, il y a une question qu'on se pose souvent. Frantz Fanon disait : "Si l'Afrique a la forme d'un revolver, le Congo Zaïre en a la gâchette". Tout ce qui se passe au Zaïre, de par sa géographie et sa population, a des répercussions sur l'ensemble de l'Afrique. Ensuite, ce pays vit de manière intense toutes les contradictions et les tourments et l'Afrique et de toutes ses tragédies. Il y a eu la traite négrière, la colonisation et les indépendances avortées avec Patrice Lumumba, plus de 30 ans de dictature avant d'avoir un grand espoir qui s'est soldé par une des guerres les plus meurtrières du siècle en Afrique. Je me suis passionné comme un chroniqueur, journaliste et cinéaste à un moment donné pour l'histoire d'un pays plus particulièrement d'autant plus qu'à un moment donné on noue des relations intellectuelles, d'amitié avec des gens. Et je pense que les Congolais ont cette aspiration régulière de me consentir et de me permettre de planter ma caméra pour bien leur montrer et au monde entier ce qu'ils vivent, tant dans tous les aspects les plus difficiles de la vie africaine que dans l'énergie, la créativité et la joie. Et vivement un grand espoir qui traverse ce pays pour le sortir de tous ces malheurs.

Est-ce pour cette raison que vous êtes reparti dans ce pays pour tourner Congo River ?

Oui, parce que j'avais fait la chronique d'un grand dirigeant africain, Mobutu, un dictateur extrêmement intelligent, rusé, habile et pervers. À travers lui, j'avais un portrait de 40 années de l'histoire du pays. C'est-à-dire on avait remonté depuis l'indépendance jusqu'à nos jours tous les évènements qui s'étaient passés dans ce pays et puis j'ai voulu découvrir le pays dans sa profondeur, son peuple à travers les portraits de la nomenklatura de la classe politique après avoir fait les portrait des Blancs au Congo Zaïre dans mon film Les derniers colons, après avoir fait le portrait de la vanité de l'ivresse du pouvoir à travers Mobutu. J'ai voulu découvrir qu'est-ce que c'est que le peuple congolais à partir d'un voyage sur les rives et le cours de l'un des plus longs fleuves du monde 4351 km de l'embouchure à sa source, y filmer, donner la parole, faire une image à tous ces gens qui vivent sur tout le territoire congolais. C'est faire un bilan de l'état de la société congolaise après Mobutu roi du Zaïre ce qu'est devenu ce pays, où va-t-il aussi, s'interroger sur le futur. Qu'on y rencontre aussi des gens fabuleux, un chef guerrier maï maï, les sorciers, des missionnaires, des pasteurs, des professeurs d'université, des marins, des militaires, des commerçants, toute la variété de populations de piroguiers, des chasseurs, des braconniers. C'était un portrait de l'Afrique à travers un pays et on va dire c'est la métaphore de l'Afrique. À travers le Congo, on peut parler de tout ce qui traverse l'Afrique depuis l'indépendance. Alors ce film qui est un trajet dans l'espace sur ces 4351 Km qui m'a valu six mois de voyage était aussi un trajet d'antan parce qu'on questionne la mémoire du film et on essaye de trouver les vestiges de la mémoire comme les palais abandonnés de Mobutu au bord du fleuve et aussi à travers les archives coloniales qui n'avaient jamais été montrées qui m'ont permis de comprendre ce qui avait été colonial dans la plus violente de ses expressions et aussi de construction des infrastructures.

Quelle est la différence entre le journaliste et le cinéaste que vous êtes ?

Je suis à la frontière des gens, puisque je fais du cinéma documentaire qui a ce droit d'informer et qui a une dimension souvent historique. Autrement dit, je suis un cinéaste journaliste chroniqueur. Mais c'est spécifiquement du cinéma, parce que je viens avec un point de vue personnel qui ne cherche pas à trouver une certaine neutralité. Je viens avec un regard personnel et quand j'ai fait ce voyage, ce sont des rencontres que j'ai faites et je revendique ma subjectivité et la dimension artistique et poétique de mes images et de mes sources. Par exemple les superbes musiques de Lokua Kanza sont les musiques originales qui ont été composées pour le film.

À votre avis, pourquoi 40 ans après les indépendances, l'Afrique n'arrive pas toujours à décoller ?

Il faut nuancer cet aspect. Il y a des pays qui décollent indéniablement. Mais c'est vrai qu'il y a un mal chronique dans l'ensemble de l'Afrique et c'est cet aspect qui m'intéresse beaucoup et me pousse à faire des films sur cette partie du monde pour essayer de comprendre cet échec. Comment l'Afrique n'a pas pu capitaliser l'héritage colonial contrairement aux pays d'Asie du Sud-est et bien d'autres pays et nous interroger là-dessus. Il y a évidemment la question de contexte de l'indépendance, de la guerre froide et de l'émergence des pouvoirs dictatoriaux. La pensée que dans la tradition africaine, le chef a des droits et de ne penser qu'à ceux-ci et à leurs devoirs a fait que l'argent de la communauté était leur propriété personnelle. Je pense que c'est ce qui a plongé l'Afrique dans la destruction.

Yvette Mbogo

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