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Le cri de la renaissance
Lettre d'amour zoulou, Ramadan SULEMAN (South Africa)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 07/07/2005

Suleman Ramadan a-t-il réalisé Lettre d'amour zoulou pour apporter son soutien à la Commission Vérité et Réconciliation ?

Au lendemain de la fin de la politique d'apartheid, Nelson Mandela, un Noir, est élu à sa sortie de prison, président de la République sud-africaine. Des années de cette politique inhumaine ayant meurtri le pays, non seulement dans la chair de ses habitants, mais aussi dans leur âme, le nouveau dirigeant crée la fameuse Commission, pour exorciser définitivement les démons du passé, condition entre autres de l'avènement de la nouvelle Afrique du Sud.

Et lorsque Ramadan choisit d'ouvrir son deuxième long métrage dans un parking du sous-sol d'un immeuble, n'est-ce pas pour mieux montrer les ténèbres dans lesquelles était plongé le pays ? Par la suite, il entraîne le spectateur à suivre Thandeka Kumalo, une journaliste noire très engagée, dans sa montée des marches, symbole ici de son odyssée vers la lumière, vers la paix, vers la vie.

Une dizaine d'années plus tôt, Thandeka Kumalo - interprétée avec force et richesse par Pamela Nomvete Marimbe - a été témoin de l'assassinat de Dineo, une adolescente. Emprisonnée, elle est sollicitée à sa sortie de prison par Me'Tau, la mère de l'adolescente assassinée, pour qu'elle "témoigne devant la Commission Vérité et Réconciliation, afin que les restes de sa fille puissent être retrouvés et ensevelis conformément à la tradition".

Un passé présent
Commence alors pour la journaliste la hantise d'un passé, rendu avec à-propos par des images de flash-back très présentes dans le film. Ce passé mange si souvent le présent de Thandeka qu'il finit par influer sur ses relations amoureuses et affectives. En un mois, elle aligne trois amants. Vis-à-vis de sa fille Mangi, 13 ans, sourde et muette, les choses vont de mal en pis. Au point que énervée, Thandeka ne se rend même plus compte des propos illogiques ou insensés qu'elle lui tient : "Don't talk to me like that" ["Ne me parle pas comme ça", NdF], dit-elle à une fille qui n'a jamais articulé la moindre parole ; ou bien : "Do you hear me ?" ["M'entends-tu ?" , NdF], alors qu'elle ne perçoit rien du tout par son ouïe. Ces séquences, d'une très grande force dramaturgique, ne montrent-elles pas à quel point les relations familiales ou communautaires peuvent se complexifier dans un pays marqué au fer rouge par des années de tourmente ?

Pour expliquer l'infirmité de Mangi, Ramadan Suleman n'hésite pas à utiliser des révélateurs. Il démontre ainsi, d'un côté, l'inhumanité des tenants de la politique d'apartheid, et de l'autre, des êtres ayant décidé de lui résister. Entre les deux, "un clic et l'enfer s'est déchaîné". Dans l'un et l'autre camp, l'enfer, c'est-à-dire le passé de chacun, est bien présent. Il faut donc l'affronter, pour le dépasser. Ce qui pourrait expliquer l'usage, par moments, de la caméra-épaule, qui vient ainsi donner une respiration particulière à un sujet avec lequel le spectateur doit se familiariser. "La façon dont un peuple peut faire le lien entre la réconciliation proposée par les hommes politiques, et celle à laquelle il doit œuvrer dans sa vie de tous les jours". Dès lors, n'est-il pas indiqué de s'accrocher à tout ce qui peut apparaître comme une bouée de sauvetage ? Celle-ci pouvant prendre la forme de la terre où a été enterrée une fille abattue de sang froid, ou la pièce d'un puzzle servant à écrire une lettre d'amour d'une fille… unique, et récupérée par sa mère à la suite d'un accident de la circulation ayant emporté son père. Cette similitude de situations dans la souffrance entre Me'Tau et Thandeka Kumalo apparaît sans doute comme une motivation supplémentaire décuplant le courage d'une journaliste ayant pris sur elle d'affronter les hommes politiques. Si l'action du député peut être rapprochée de celle de Nelson Mandela, le cri de la petite Mangi qui parvient finalement à articuler "Maman" n'est-il pas celui de cette renaissance tant recherchée ?

Tanit d'argent au festival de Carthage en 2004, Prix de la meilleure interprétation féminine (à Pamela Nomvete Marimbe) et de l'Union européenne au Fespaco 2005, Lettre d'amour zoulou qui est servie par "d'indéniables qualités de mise en scène" de son réalisateur (il a débuté par le théâtre) ne montre-t-elle pas que l'Afrique a aussi les moyens intellectuels, décoratifs et culturels pour faire du grand cinéma ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA

CINE-PRESS, Cameroun.

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