AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 926 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
FESTIVAL NATIONAL DU FILM AMATEUR DE KELIBIA 2006
Entre engagement social et engouement formel
critique
rédigé par Kamel Ben Ouanès
publié le 21/09/2006

On se rend au festival de cinéma de Kélibia, le plus ancien festival du cinéma en Tunisie (crée en 1964), pour deux raisons au moins: d'abord pour observer de plus près l'état de la pépinière du cinéma tunisien au futur ; ensuite, essayer de saisir les contours de l'imaginaire tunisien, à travers les films de jeunes amateurs et étudiants de cinéma.
En effet, la récente session du festival national du film amateur de Kélibia qui s'est tenue du 13 au 18 août 2006, en alternance avec la dimension internationale de la manifestation, nous a offert l'opportunité de découvrir une large radioscopie de la production filmique non professionnelle, réalisée par les membres de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs, par des jeunes indépendants, ainsi que par les étudiants des Instituts supérieurs, dans le cadre de leurs travaux de fin d'études.
Le programme proposé comporte, certes, une variété de styles et de genres, mais la tendance est nette à un cinéma expérimental ou formaliste.
En effet, hormis les films du club de Hammam-lif dont la tonalité garde une évidente fidélité à un cinéma militant et socialement engagé, la plupart des cinéastes témoignent d'un engouement pour un cinéma expérimental, au sens large du terme.
La preuve que l'acte de filmer n'est pas perçu d'une manière uniforme par les cinéastes non professionnels.
Dans ce sens, Le Sifflet de Ridha Ben Halima et Khaddam de Amor Sbika traversés tous les deux par une veine syndicaliste, lèvent le voile sur la condition ouvrière à l'ère de la mondialisation. De son côté, Taieb Ben Ameur a proposé un documentaire sur les mutations profondes à caractère économique et urbain que connaît la localité de Sned, au sud tunisien.
À l'autre bout de la chaîne, se déploient devant nous des images marquées par l'empreinte du numérique et les potentialités qu'offre la vidéo. Cependant, contrairement à ce qu'on pense, les jeunes cinéastes, étudiants ou amateurs, s'appliquent à ne pas céder à la facilité. Tout laisse à penser que leur objectif est d'essayer de dégager de ces nouvelles technologies, ici une émotion et là une réflexion, même si c'est rapide, sur le pouvoir du numérique de traduire et de transposer l'état actuel du monde ou du milieu local.
Dans cette perspective, certains films cogitent autour d'une recherche formelle, mais gardent toutefois la trace des balbutiements que nourrissent les signes de l'apprentissage et l'allégresse de la découverte. Nous trouvons dans cette catégorie Please de Karim Ykoubi (Club T. Haddad) ou Con-science de Anis Guiga. Cette focalisation sur la composition formelle et esthétique trouve encore sa meilleure expression dans le film de Anouar Lahouar, Trois regards. Une Journée (Club de Sousse). Conçu sous forme d'un triptyque, Trois regards structure son propos autour de trois moments de la journée : la matinée, le moment de la sieste et la soirée. Ces trois parties sont autonomes et tissent leur lien au gré de cette vague articulation que suggère le déroulement de la journée. Cependant, l'intérêt du film est ailleurs. Anouar Lahouar a construit son film sur l'idée du stéréotype. En partant d'un ensemble de références puisées dans sa mémoire cinéphilique, Lahouar procède à une parodie de discours consacrés et momifiés par leurs propres clichés : discours politique, dispositif filmique et modèle artistique. Le projet du membre de club de Sousse consiste donc à utiliser une forme consacrée pour la démystifier, la parodier et par conséquent la décrier. La maturité de Anouar Lahouar trouve ainsi son expression dans une approche qui structure la matière filmique autour de l'idée même de cinéma.

Concernant le volet des films d'écoles, la production était inégale et la tendance est générale à essayer de se frayer un chemin entre deux modèles formels : le cinéma et la télévision. Cinéastes ou vidéastes ? La frontière est souvent brouillée entre les deux, si bien que la composition des plans, l'agencement des séquences, ainsi que les modalités argumentatives de traitement se situent souvent sur une ligne médiane et hésitante où l'audace supposée de la forme est freinée par une auto-censure ou par un souci de clarté didactique, comme en témoignent des films comme Le Cireur de Zakaria Heithem (EAD) ou Télé/TV de Amen Gharbi (ISBAN).
Deux films cependant ont attiré particulièrement notre attention, par leur audace formelle et leur maîtrise technique : Métamorphose de Hamadi Ben Ahmed (ISAMM) et Trinou (Train) de Ahmed Jlassi (ISBAS). Ces deux films sont traversés, faut-il le préciser, par un désir de mimétisme. Mais, la sensibilité qui se dégage du dispositif esthétique laisse entrevoir un réel amour pour le cinéma et une volonté d'apprendre à créer une atmosphère où s'impriment tout à la fois une émotion et de riches potentialités des ressorts dramatiques.

Kamel Ben Ouanès

Films liés
Artistes liés