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Film ou feuilleton ?
LA DÉCHIRURE / THE TEAR, de Alphonse BENI (Cameroun, France, UK)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 10/03/2006

Une campagne publicitaire tapageuse. Des affiches mordantes. Des T-shirts frappés de l'affiche de ce film médiatisé à l'américaine. Une salle du cinéma Abbia de Yaoundé (1300 places) trop étroite pour contenir les milliers de cinéphiles et de curieux l'ayant littéralement prise d'assaut lors de la grande première le 1er octobre 2005. Mais au final, des interrogations à n'en plus finir.

La Déchirure. Si le titre n'est pas nouveau dans le septième art, certains comme Roland Joffé l'ayant déjà utilisé, il aurait pu augurer, tout au moins pour ceux qui connaissent Alphonse Béni, le plus prolifique des cinéastes camerounais, d'une rupture entre sa très longue période de désoeuvrement - plus d'une décennie - et sa reprise de service. Une sorte de résurrection.

Et dès la séquence d'exposition, Béni semble y répondre. Dans le rôle d'Atangana Wamba Kotto Muller, interprété par le réalisateur lui-même, il est "à la recherche du travail". Un travail qu'il vient de perdre, du fait de trafics au détriment de son employeur : "Avec ce que vous m'avez volé, allez élever vos gosses", lui dit ce dernier. Malheureusement, ce travail tarde à (re)venir. On serait alors tenté de percevoir à cette étape un parallèle entre l'homme et son œuvre. Que non ! C'est à ce niveau que s'arrête la comparaison. Cette histoire venant plutôt situer le spectateur sur la problématique du film : à qui doit-on se confier lorsqu'on est confronté à de pressantes difficultés existentielles ? Au diable, très prompt à réagir, ou à Dieu "qui n'est jamais pressé quand on a besoin de lui" ?

Pour y répondre, le réalisateur se sert d'une mise en scène si lourde qu'on en vient à se demander si cette œuvre est vraiment de lui. Présenté comme film, "La Déchirure" en est-il un, au sens conventionnel du terme ? N'est-ce pas en réalité la première partie d'un feuilleton destiné à la télévision ? L'expression "à suivre" qui termine cette œuvre ne tend-elle pas à le faire croire ? Plus grave, Alphonse Béni a-t-il (encore) le droit de se tromper entre film (œuvre achevée en soi), et feuilleton (œuvre filmique à épisodes), ou bien a-t-il simplement voulu abuser un public en manque de productions locales ? Et là ne s'arrêtent pas les incongruités formelles et fondamentales de ce film.

Dans sa quête du travail, Atangana Wamba Kotto déclare avoir "sept enfants, dont deux garçons et cinq filles". Mais quelle n'est la surprise du spectateur de constater que dans le film se cache un autre petit garçon qui, vers la fin, accueille par un chaleureux "bonsoir maman" l'épouse d'Atangana. Qui est-il ? D'où sort-il ? Béni ignorerait-il l'usage des révélateurs dans un film ?

Par ailleurs, dans une autre séquence, on voit Mme Atangana (interprétée par Deneuve Djobong) au sortir du travail, habillée en boubou bleu, se faire séduire dans un restaurant par son patron. Alors que son retard inquiète toute sa maisonnée, elle arrive chez elle dans un… tailleur rouge vif. Est-ce une question de raccords ou d'absence de script sur le plateau ?

Concernant le jeu des acteurs, pouvait-on en attendre grand-chose quand on mesure à quel point leurs rôles ont été superficiellement écrits ? Et le casting ? Comment s'est-il effectué ? On a pu relever que certains comédiens de "La Déchirure" venaient du théâtre et en avaient gardé les stigmates (par exemple, ils parlaient très fort), et beaucoup d'autres de nulle part. Sans avoir vraiment été dirigés, ils avaient forcément un jeu approximatif fait de théâtralité, d'extravagance et d'absence de naturel. Avec une diction quelconque, ou parfois hésitante, leurs dialogues ressemblaient davantage aux récitations mal assimilées, et au travers desquelles un magistrat avait du mal à se retrouver entre un huissier et un avocat.

UN FILM DE GROS-PLANS

La Déchirure est truffée d'autres petites erreurs techniques de mise en scène à l'image de cette cérémonie religieuse filmée en plongée, alors que le père de famille conseille à ses enfants de toujours "se confier à Dieu". Ne devait-il pas utiliser la prise de vue contraire qui elle, est appelée à magnifier, à élever ? Et cette séquence du slip d'une dame, confondu et revêtu par erreur par un pasteur, qui arrive comme un cheveu dans la soupe ? Quel était son apport dans la construction du film ? Et ces gros-plans qui l'essaiment, sans réellement faire rentrer le spectateur dans l'intimité des personnages, et trahissant ainsi régulièrement l'absence de jeu de la caméra, au point de l'assimiler à un téléfilm? Cela n'a-t-il pas eu pour inconvénient pour le spectateur, d'embrouiller sa perception des enchaînements entre les faits et les actions ?

Manifestement, la longue période d'hibernation d'Alphonse Béni lui aura été préjudiciable, eu égard à la qualité de son film. Outre sa propre prestation et celle de Deneuve Djobong, la plastique de tous les acteurs, et quelques belles images de la caméra numérique qui constituent les seuls bons points de "La Déchirure", cette dernière réalisation de Béni ne s'est pas donné le temps de raconter une histoire comme savent le faire les cinéastes africains. Pourtant, la chute était si attendue… Le film est pesant et n'est un exemple ni par sa forme, ni par son contenu. Espérons seulement qu'il constitue une séance d'échauffement pour un coureur ayant arrêté pendant longtemps la compétition, et qui s'apprête à repartir.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
CINE-PRESS, Cameroun

LA DÉCHIRURE / THE TEAR - par Alphonse BENI - Cameroun / France / Royaume-Uni - comédie - 2005 - 1h40 min - scénario : Alphonse BENI, Jeannette HIAG - avec Fanie Njoya, Daniel Ndo, Ali Mvondo, Alphonse Beni … - Producteur : Jean Patoudem, Alphonse Beni.

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