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Sexe et violence
Bronx-Barbès , de Éliane DE LATOUR
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 13/07/2006

Quel intérêt a une anthropologue comme Éliane de Latour de réaliser un film sur l'univers mal famé des gangsters, sinon de les comprendre ?

Après s'être fait la main au cinéma par des documentaires (Si bleu, si calme ; Conte et compte de la tour, notamment), elle réalise avec Bronx-Barbès une œuvre fictionnelle dans laquelle elle parle d'un ensemble de problèmes auxquels sont confrontés non seulement les jeunes de Côte d'Ivoire, mais surtout, à travers eux, ceux des ghettos de toute l'Afrique. Sexe, chômage, violence, conflit tradition-modernité, entre autres, sont ainsi explorés, bien que la réalisatrice ne prenne pas (apparemment) position ou ne semble pas donner de leçons. Est-ce d'ailleurs le rôle de l'anthropologue dont la science consiste à enquêter et à présenter ses résultats ? Cependant, sa manière d'exposer les faits n'est nullement innocente.

Bronx-Barbès - nom composé à partir de l'appellation d'un district du nord-est de New York, et d'un quartier parisien - est lourd de symboles ; négativement parlant. Tous deux ont la particularité d'abriter, pour le premier, une forte communauté noire, et pour le second, en plus des Noirs, une importante communauté d'Arabes. La prostitution, le vol et la violence en sont leurs lots quotidiens. C'est en référence à ces lieux dangereux qu'Éliane de Latour se projette en Afrique, en Côte d'Ivoire.

Elle y tourne un film ayant du rythme, un film très rapide. Il est monté comme les films d'action. Certes il y a de l'action, mais Bronx-Barbès tient plus du film de gangsters. Le spectateur est ici entraîné à suivre le parcours initiatique de deux campagnards introduits en ville et obligés - pour se faire accepter et respecter du gang qui les a recrutés - de faire leurs preuves. Et lorsqu'un soir Toussaint, alias Solo du Grand B, finit par tuer un homme à la suite d'une dispute, il se déclenche ce qui va apparaître comme la vie des gangsters. Elle est ainsi marquée par leur ascension, mus qu'ils sont par leurs aspirations à une vie meilleure, vie prenant les aspects d'un rêve utopique tendu vers un ailleurs incertain. Et parce que la trajectoire d'un gangster est faite de grandeur et, fatalement, de décadence, celui-ci finit toujours par être rattrapé par son destin. Tyson, par exemple, l'un des caïds du quartier, ne finit-il pas alors par se faire prendre par la police, tandis que d'autres se font carrément assassiner ? <

" A girl and a gun "

Éliane de Latour n'hésite pas au bout du compte à convoquer des ingrédients qui collent au film de gangsters. Il est servi au spectateur du sexe et de la violence. De la violence à tous crins. Ainsi des séquences érotiques à la limite du pornographique et ressemblant plus à de la gymnastique qu'à un acte jouissif. Ainsi des dialogues percutants comme des balles de revolver, et de la gestuelle mécanique des comédiens. Ainsi, aussi et surtout, de l'usage des armes à feu semant la mort à tout vent, y compris des armes lourdes.

Au travers de ces deux composantes (le sexe et la violence), on est en droit de s'interroger sur l'influence du cinéma hollywoodien sur Bronx-Barbès . Un cinéma dont Jean-Luc Godard schématisait l'intrigue en " a girl and a gun " ("une fille et un revolver"). La fille étant assimilée au sexe et le revolver à la violence. Certes le gangster de Hollywood vit dans un monde de luxe et d'argent, tandis que celui d'Éliane de Latour se débat dans l'univers noir et dépravé de la misère, mais, à bien y regarder, son film n'est-il pas, comme le fait remarquer Guillaume Branquart, " une transposition de l'univers du film Les Affranchis de Martin Scorsese : même volonté de réussir, mêmes compromissions obligées pour grimper les échelons, même violence sourde " ? Si cette exploration de la dangerosité du ghetto peut donc laisser le spectateur insatisfait quant à son originalité, celui-ci peut quand même se demander si 90 minutes de rythme, de sexe et de violence sont nécessaires pour justifier les rêves d'émigration de voyous sans imagination et ne sachant rien faire d'autre de leurs dix doigts que braquer, tuer et violer.

Par ailleurs, on se demande bien quelle est l'étoffe psychologique qu'Éliane de Latour a voulu donner à ses personnages, fort de l'exemple de Toussaint Grand B et Mariam, qui ne vibrent pas au même diapason.
Sur le plan de la construction du film, quel est l'apport de la séquence réunissant le groupe de femmes qui chantent au bord de l'eau pendant les ébats de Toussaint et Mariam, dans le récit ?

Finalement, on sort de Bronx-Barbès avec plus d'interrogations que de lumières par rapport à la vie des voyous dans les ghettos abidjanais. L'anthropologue a-t-elle suffisamment pris du recul par rapport au sujet exploré par la cinéaste ? N'a-t-elle pas voulu rendre sympathiques des vauriens, en les présentant comme des êtres capables du meilleur et du pire ? En fin de compte, quelle est la part de cinéma dans ce film qui montre aussi crûment la violence, au risque d'être accusé de voyeurisme ? Cette fiction aux relents de documentaire n'est-elle pas une contribution supplémentaire au regard péjoratif que les autres posent sur l'Afrique, bien que la réalité de la violence en fasse partie ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA (Cameroun)

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