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Dialogues contre clichés
La Valse des Gros Derrières, de Jean ODOUTAN (Bénin/France)
critique
rédigé par Godefroy Macaire Chabi
publié le 31/10/2005

En le voyant descendre les escaliers de la butte Montmartre dans Paris populaire, on peut franchement subodorer sans attendre la suite que Jean Odoutan apparaît dans ce film sous un nouveau jour. Costume, cravate, aisance physique : son apparition aux côtés de Akwélé (incarnée par Mata Gabin) tranche nettement avec ce qu'on sait de lui dans ses précédents. Première impression d'être en contact d'un film révolutionnaire.

La Valse des Gros Derrières braque la caméra sur Akwélé, jeune fille béninoise qui rêve non pas de devenir mannequin, mais "mannequenne topless" en France. Dans la voie du rêve, elle tient d'abord un salon de coiffure à Barbès, chaudron culturel à Paris grâce à Rod, joué par Jean Odoutan, le pigeon rare qui se plie en quatre et use de tous les stratagèmes possible. Le souci étant de faciliter l'immersion de Akwélé dans un environnement dur et difficile. Cette dernière monte assez vite dans la hiérarchie sociale. Mais chose curieuse, elle redescend aussi vite qu'elle est montée. Mais dans sa chute, elle rebondit assez mal sur ses fesses d'antilope incommensurable. Et peut alors se rendre à l'évidence.

Que de tribulations, que de sentiments de vengeance dans ce film analogie au jeu des chaises musicales. C'est là que réside le mystère d'un film à petit budget tourné en 2000 et sorti au cinéma en 2004, côté Paris.

Renouveau de regard sur fond de formules

Les noirs forment leur "républiquette" ici, même si l'intention n'est pas de préparer le lit d'un communautarisme ou d'un enfermement racial. La démarche a prioriparaît vulgaire. Et le danger est justement de le penser au point de décrocher. A s'y mettre, on rate le scoop de ce film qui renouvelle le regard sur la communauté noire en France. Voilà une pellicule dans laquelle le noir, cesse de se faire clochardiser. Pas de petits boulots, les basses besognes, les squats. Un peu en référence à Assiba (Claudia Tagbo) qui soumet aux flammes tout ce qui l'avilit vers la fin. Le noir ici, loin de se laisser engloutir dans la culture des autres, s'affirme totalement. Les filles (Mata Gabin et Claudia Tagbo en tête) se sont bien appropriées les intentions du réalisateur et ont joué le rôle à fond la caméra. Elles préfèrent leurs cheveux noirs crépus à n'importe quelle mèche qui ferait d'elles "une mauvaise européenne". Car à le vouloir, elles n'y parviendraient pas du tout au tout. A l'image de cette speakerine antillaise de télévision, dont l'apparition suscite toutes sortes de moqueries dans l'atelier de Akwélé. Cette dernière en répétant en boucle son rêve de devenir "mannequenne toplesse" attire l'attention sur sa particularité et invite l'extérieur à respecter sa propre vision des choses. Elle n'aimerait point devenir "mannequin" comme les autres, même si la finalité est la même pour la "mannequenne topless" qu'elle veut devenir et n'importe quelle autre mannequin.

Si Djib et Mama Aloko nous ont quelque peu habitués au penchant de Jean pour les formules et le dialogue, dans La Valse des Gros Derrières, il s'agit d'un paroxysme de l'art. Et chaque mot employé, chaque sentence sélectionnée offre plusieurs niveaux de lecture que le spectateur est forcé à comprendre. A commencer par le titre (La Valse des Gros Derrières), qui laisserait supposer une œuvre pornographique maquillée. La réalité est toute autre. Inutile de s'attarder sur des passages verbalement osés et orduriers qui viennent plus entériner l'humeur générale des acteurs que pour laisser croire à un film impudique.

Sous ses apparences libertaires, froussardes et désorganisées, le film soumet le cinéphile à un exercice qu'il doit avoir la patience de solutionner pour en percevoir la vertu. Il n'est pas question ici d'un film facile aussi bien dans le fond que la forme.

En faisant claquer les mots, il brise les clichés ou les a priori et attaque frontalement. On a presque envie de dire que personne n'est épargné pendant les 72 minutes. Les blancs, les noirs irresponsables, les femmes et tout le monde à la fois.

C'est ici la victoire de la femme sur l'ensemble de la filmographie de Jean, qui lui fait une place de choix. On ne sait pas s'il va tout de suite en réaliser encore d'aussi féministe. Jean Odoutan, prend de la distance physique dans ce film, abrège sa mégalomanie et accepte de se faire marcher dessus par les femmes dans le seul dessein de faire passer le message. A son avis, la femme, dans sa condition, son essence et ses rapports à la société, représente le véhicule essentiel et efficace du message.

Par endroits hélas, des reproches au film : détails artistiques perfectibles, gymnastiques techniques impromptues. Le montage n'a sincèrement pas servi la trame de ce film. Des dialogues qui s'achèvent à des endroits différents. Des plans qui, à la limite, agressent le spectateur par leurs incohérences manifestes et faussent sa compréhension du sujet. Mais ne nous leurrons pas, avec un budget sommaire, il n'y a qu'à ce résultat qu'on peut aboutir.

Une place de trop dans le rang des acteurs, celle de la petite Emma, grossière dans le ton et qui fait beaucoup preuve de maniérisme dans son rôle. Sa présence dans ce film reste inopportune, superflue et n'apporte sensiblement rien.

Des imperfections qui ne volent nullement au film toute sa qualité et ne font pas reculer le spectateur.

Godefroy Macaire CHABI (Bénin)

La Valse des Gros Derrières, Jean ODOUTAN, France / Bénin, 72 min, 2004, Comédie.

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