AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 364 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
EL AYEL
El Ayel (Le gosse de Tanger), de Moumen SMIHI (Maroc/France)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 19/12/2005

Ce film a été présenté en avant-première internationale au Festival du Film de Marrakech 2005.

Le gosse de Tanger , titre français de El Ayel, le tout dernier film du Marocain Moumen Smihi, est-il une contribution supplémentaire au sempiternel débat sur les rapports entre tradition et modernité ?

A la lumière de ces deux concepts, le spectateur, rendu au terme des 90 minutes de ce huitième long métrage de Smihi, ne peut s'empêcher de relever le dualisme qui soutient cette œuvre. Combinaison heureuse entre le réel et l'imaginaire, El Ayel fait place nette aussi bien au documentaire qu'à la fiction.

L'histoire se situe dans les années 50 à Tanger, ville du nord du Maroc où est né le réalisateur. Si elle s'ouvre par un commentaire documenté d'images d'archives de cette époque de la "mythique zone internationale", n'est-ce pas pour mieux montrer que "celui qui se souvient est maître du temps" ? Dès cet instant, El Ayel se mue en analyse scientifique, sorte d'étude différentielle des croyances et des institutions conçues comme fondement des structures sociales.

D'un côté, l'école coranique, où les rigueurs de l'éducation religieuse poussent jusqu'à l'humiliation et à la martyrisation du corps - les séances de flagellation sont publiques ; on peut y boire de l'eau sale à partir du moment où "cela est bon pour Allah" - ; et de l'autre, l'école occidentale, où on apprend non seulement que "la science est lumière et l'ignorance une bêtise", mais aussi la morale - "l'oisiveté est la mère de tous les vices". Cet aspect du film nous rapproche de l'Aventure ambiguë de Cheikh Amidou Kane et de son hérosSamba Diallo qui, comme Larbi Salmi, subit l'éducation religieuse à l'école coranique, et fréquente l'école du "Blanc" où on apprend à "vaincre sans avoir raison". On est alors confronté ici à la formation de la personnalité d'un individu au travers de valeurs morales fondamentalement opposées. A côté de cette recherche anthropologique, se situe la dimension psychologique du film.

Pour l'illustrer, le réalisateur commence par individualiser l'un de ses personnages, Mohamed Larbi Salmi, un môme (El Ayel) de 10 ans, interprété avec beaucoup de poésie par Abdesslam Begdouri. A travers lui, il montre comment un enfant peut être troublé par ses premiers pas dans la vie, comment il peut être ballotté entre ses instincts solitaires et grégaires à la fois, entre la révolte et la soumission, entre le monde clos de sa famille ou de ses écoles (coranique et des fils de notables) et le grand vent de la rue ou des plages, entre son amour pour une femme de loin son aînée, qu'il doit partager avec celui qu'il a pour le cinéma. Sont-ce là les conséquences d'une éducation par la douceur, celle donnée à un janséniste par un père qui ne bat pas ses enfants, qui leur laisse leur chance, et qui - tout un symbole - habite la "Rue du soleil" avec sa famille qui aspire à devenir moderne ? Et concernant l'usage des symboles dans son film, Moumen Smihi use et abuse de la tonalité bleue.

Si Le gosse de Tanger montre avec beaucoup d'à-propos les caractéristiques propres à l'architecture marocaine de l'époque, l'usage du bleu vient ici renforcer l'appartenance de cette couleur au nord du Maroc dont est issu Smihi. Sous l'influence de la lumière dont elle n'est pas détachable, elle accompagne la tension musculaire qui envahit par moments les différents protagonistes. Et au final, comment comprendre l'immensité de cette mer bleue, sinon comme un besoin de liberté, d'émancipation ou d'évasion, ou encore comme l'attirance de l'infini, qui sert de catharsis "à tous ceux qui sur la terre arabe crient vivent les libertés, toutes les libertés", pour reprendre les mots du réalisateur ?

El Ayel, fruit entre autres de lectures de Smihi et de la rencontre à Paris entre le réalisateur et le structuralisme triomphant des décennies 70 - 80, l'a conduit "vers un cinéma où l'image s'enracine dans les sciences sociales et humaines, et dans la poésie". Oeuvre d'auteur, il montre une société arabe écartelée entre son passé féodal, les reliques du colonialisme, le contact avec la modernité et les misères du sous-développement. Tout ceci au travers d'une "mise en scène du regard à distance, humble, ému, émerveillé, ou malheureux", à la fois.

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

El Ayel / Le gosse de Tanger - réalisé par Moumen SMIHI - Maroc / France - 2005 - 1h30 -

Films liés
Artistes liés